CHAPITRE 32.3 * VICTORIA

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V.R.S.de.SC

♪♫ ... ♪♫

Je n’aspire qu’à la quiétude, à cette bulle d’intimité et de paix intérieure qui m’a fait défaut quelques instants plus tôt. Mais mes mots échouent à traduire ce besoin. Tout ce que je peux offrir, c’est le poids de mon regard, noyé dans le vide. Mais déjà, ses bras me resserrent plus étroitement, sa paume gambade vers ma nuque, ses doigts pressent lentement la chair tendre de mes cervicales, m’extorquant un soupir. Nos fronts se rencontrent tandis que ma main se perd dans ses cheveux caramel.

Je me redresse doucement, nos ventres se frôlent, nos sexes aussi, mais je suis dépouillée de toute énergie. Un désir presque viscéral de prolonger cette pause dans le temps, loin du tumulte extérieur, m’envahit. La suite a retrouvé son calme, un silence feutré nous borde. Je n’ai aucune envie de filer.

— Je ne veux pas quitter cette chambre. Je… je préfère rester ici, avec toi.

Il hoche la tête, compréhensif. Sa voix, sereine et grave, s’élève :

— Je sais, Vi. Moi aussi, mais, tu as tes engagements. Et moi… les miens.

Je soupire à nouveau, cette fois de dépit. Ses paroles, lourdes de réalité, tombent avec la force d’une évidence. Pas de solution miracle, de formule magique, ni de « nez qui frétille » pour arranger tous nos problèmes. Prétendre être hors du monde est vain. James et moi sommes comme le feu et la glace, des opposés, mais je brûle pour lui et il fond pour moi, ou l’inverse. À nous de trouver notre équilibre.

— Tu es attendu aujourd’hui ?

Mes mots se forment timidement, brimés par cette incertitude face à ce tournant de sa vie : d’Édimbourg à Toulouse, mon Écossais passe d’un fantôme fugace à un ancrage tangible. De l’ombre d’une absence à la chaleur d’une présence. Deviendrais-je son port d’attache ?

— Non, mais j’ai du travail en retard. Pour…

Il s’interrompt, esquisse un sourire furtif.

— Faudra que je te parle de cet aspect de ma vie. Le boulot va beaucoup m’accaparer dans les semaines à venir.

J’hésite un instant avant de croiser son regard, espérant qu’il n’y a rien d’irrévocable dans la prochaine réponse.

— Est-ce que ça te conduira à quitter Toulouse ? hasardè-je, la curiosité me piquant, la mélancolie m’effleurant.

Je dois savoir. Rien que d’imaginer qu’il puisse partir, même temporairement, me laisse une étrange amertume au fond de la gorge.

— Oui. Mais uniquement de déplacements journaliers pour le moment.

Sobre, sans fioritures, son explication me rassure. Tant mieux. Je le veux près de moi.

Sans même y penser, mes doigts vont et viennent sur son cuir chevelu, comme une envie instinctive de me lier à lui, de jeter l’ancre dans le lagon de ses yeux. Telle une marque indélébile, ses mots, eux, s’impriment dans mon esprit : James ne repartira pas.

— Quand reprend la fac ? me demande-t-il.

Sa voix est désinvolte, mais je reconnais la pointe d’intérêt déguisé.

— À la fin de la semaine.

Il acquiesce, songeur, puis son regard devient insistant, plus précis.

— T’as des plans pour ce week-end ?

Mon cœur accélère, partagé entre le désir de lui offrir une réponse qui le satisfait et la volonté d’être honnête, sans détour. Les prochains jours, je les passerai dans l'Aude, avec ma famille, pour la Toussaint. 

— Je serais probablement chez mes parents et je devrais rentrer dimanche soir…

Absorbé par mes paroles, James me caresse distraitement les bras. Comme si un tourbillon de pensées troublait sa capacité à s’exprimer, il ouvre la bouche, hésite, puis la referme.

— … mais rien n’est fixé, ajoutè-je.

Ses yeux trahissent l’intensité de son raisonnement silencieux. Faites qu’il pose la question !

— Je me demandais… ça te dirait de… sortir avec moi ? Je pourrais t’emmener quelque part. Où tu voudras. Si ça te tente, bien sûr.

Sortir avec lui. Pourquoi cette formulation me fait craquer ? Happée par cet appel auquel je ne peux résister, les mots fusent de mes lèvres.

— Samedi ou dimanche ?

— Tu as dis que tu ne rentrais que dimanche…

— Je peux revenir samedi.

Une onde de nervosité me traverse, chaude, révélatrice. Je viens de lui proposer un week-end entier avec moi… et je n’ai même pas réfléchi. Un choix instinctif, immédiat, sans retour. Un élan du cœur qui me surprend. Je dois être folle… Oui, de lui.

James savoure la spontanéité de mes paroles, je le vois à son expression mi-amusée, mi-attendrie. Une griffure le long de mon échine jusqu’à mes reins. Sa poitrine qui se gonfle. Ce n’est pas juste une réponse, c’est un saut dans l’inconnu.

— Où est-ce que tu m’emmènerais ? m’informè-je, à la fois intriguée et excitée.

— Tu veux bouger ?

Mes doigts effleurent sa tempe, puis sa pommette et son menton. Je suis trop près de lui pour ne pas sentir son souffle, et ça me rend un peu… fébrile.

— Ça ne me dérange pas. Tant que c’est à moins de… disons, trois heures de route.

Ses iris azuréens m’étudient, ses lèvres tressautant d’un sourire qui fait naître une petite secousse dans mon ventre. L’envoûtement de son regard m’aspire vers des horizons paradisiaques.

— Et si on étendait la distance à trois heures d’avion ?

— Sérieusement ?

— Tu as cours lundi ?

En vérité, mon emploi du temps est fluctuant. Il varie d’une semaine à l’autre et je ne l’ai pas en tête.

— Il faudrait que je vérifie mon agenda pour être sûre. Mais oui, j’ai maths et… je pense, un séminaire sur l’histoire de l’éducation et des systèmes scolaires.

Il émet ce son de gorge caractéristique lorsqu’il approuve une réaction et entrelace nos doigts.

— J’ai moi-même un rendez-vous à honorer lundi après-midi, annonce-t-il distraitement, les yeux dans le vague. Je pourrais le décaler à plus tard. C’est pas un entretien officiel, plus une visite à un fournisseur.

Ses mots, flottants et détachés, traversent l’air telle une brume légère. Ses gestes sont lourds de cette impalpable attention qu’il m’offre en silence. Je frémis sous l’effet de cette proximité, un frisson subtil qui se propage dans mes veines comme un souffle tropical, me rétrécissant à son monde. La conversation détend mes muscles lentement, mais sûrement, balaye les nuages de mes émotions.

Il est prêt à annuler une rencontre pour moi ? Je réagis à ce même élan et lui réponds en miroir, stipulant que rater un cours ne me fera pas de mal, d’autant que Nina m’aidera à rattraper.

Je sens ses lèvres s’esquisser dans un sourire furtif et le mien s’épanouit en retour. Il enroule ses bras autour de ma taille, s’empare de la douceur de mes hanches, avec une force discrète, mais poignante. Je me perds un instant dans la rondeur de son torse, la perfection du mouvement, dans le contraste de sa peau contre la mienne.

Mon esprit part dans une multitude de directions. L’idée d’une escapade soudaine me grise. J’ai l’impression d’être Alice, attirée par le lapin blanc dans son terrier, sans savoir de quoi demain sera fait. Tout dans cet instant me pousse à me laisser aller, à me libérer des chaînes de la routine. Un voyage exotique, hors de la monotonie de mon quotidien, une réécriture de ma réalité à quelques heures de destination, c’est une aventure à laquelle j’ai envie d’adhérer.

— L’Italie, tu connais ?

Sa voix, teintée de curiosité, me tire de mes pensées. Sa question flotte dans l’air, comme une invitation à un détour inattendu.

— Oui, j’ai visité quelques villes. Mais, tu rigoles, n’est-ce pas ?

Mon cœur rate un battement. Il y a quelque chose de tellement... spontané dans sa proposition. Je l’observe un peu plus attentivement, cherchant dans ses yeux une réponse, une piste. Mais ses traits sont si sereins, si sûrs, qu’une décharge d’adrénaline parcourt à nouveau mon dos.

— Pourquoi pas ? Il y a des vols directs vers Milan, Rome et Naples.

Je n’arrive pas à décoller mon regard de lui.

— Tu as Venise aussi, fais-je remarquer, un peu pour moi-même, comme si l’idée de cette ville avait le pouvoir de remettre tout en question.

— Venise, c’est un peu trop serré niveau délai, m’informe-t-il, ses mots flottant comme une évidence tranquille. T’es allé où ?

Ses paroles m’échappent presque, noyées dans le tumulte de mes pensées. Où ? Ma mémoire me ramène là-bas : le Colisée, le Panthéon et le forum, la chapelle Sixtine, les ruelles du Trastevere, les jardins de la Villa Borghese, les cafés animés de la Piazza Navona. Et bien sûr, les saveurs : gelatos, pizzas, carbonara, maritozzo, saltimbocca, un verre de spritz en terrasse.

Oh, et bien sûr, ma cascade improvisée sur les marches de la Piazza di Spagna et mon petit tour aux urgences. Je me revois trébuchant sur un pavé malicieux, et l’impact final qui m’a valu une jolie cicatrice.

Je ramène un genou vers nous.

— Tiens, regarde, ça, c’est un souvenir de Rome, désignè-je en exhibant l’entaille en forme de goutte qui marque encore ma rotule.

James caresse du pouce cette trace d’imperfection, qui raconte une autre facette de mon voyage. Mais l’instant d’après, cette idée d'escapade à deux me frappe de nouveau.

— J’ai été en vacances à Portofino et à Taormina en Sicile, ma grand-mère était originaire de là-bas. Mais... James, t'es sérieux ?

— Bah, oui. On regardera les destinations tout à l'heure. Milan, ça me tente bien. c'est pas mal pour commencer. Je t'emmènerai faire du shopping, enfin, si t’aimes ça, bien sûr. Et je suis sûr qu'on y mange bien.

Il parle avec une telle assurance, comme si partir à Milan dans quatre jours était une évidence, presque un banal projet du quotidien. Ses mots glissent sur moi sans tout à fait se poser. Je cligne des yeux, me forçant à me raccrocher à cette offre complètement décalée et... tout sauf dans mes habitudes.

— Attends, t'es en train de te moquer de moi, pas vrai ?

James éclate de rire, enfouissant son visage dans mon cou, avant de me serrer contre lui comme pour valider ses mots, pour les rendre réels.

Il me regarde à nouveau, visiblement amusé.

— Pourquoi je le proposerais si c’était pas le cas ? Il faut que tu sortes des sentiers battus, Vi. C’est toi-même qui m’as raconté que tu rêvais de visiter l’Europe.

Je fronce les sourcils, partagée entre l’incrédulité et l’excitation qui commence à naître en moi.

— Oui, mais...

— Mais quoi ? C’est l’idée d’y aller avec moi qui te dérange ?

Il me lance un regard mi-suspicieux, mi-déçu.

— Non, vraiment, je t’assure que l’idée est plus que tentante... mais…

Je n’ai même pas le temps de finir ma phrase qu’il me coupe.

— Alors, viens.

— Mais…

Il m’interrompt encore, avec un sourire cette fois plus franc, mais toujours ce côté irrésistible d’un défi à peine voilé.

— Victoria, me ferais-tu l’honneur de m’accompagner en week-end à Milan ? Ou à Naples si tu préfères ?

Je secoue la tête de gauche à droite, fixe mes paumes calées sur son torse.

— C'est complètement dingue, je...

— Non, pas dingue, Vi. Juste... un petit saut hors de ta zone de confort.

Un frisson d’inquiétude me traverse, presque imperceptible, mais palpable. Moi, la maniaque du contrôle, la personne qui calcule chaque mouvement, chaque respiration, chaque détail… Et là, un voyage à l’improviste ? C’est le genre de folie qui me bouscule dans mes retranchements, qui met mes certitudes en déroute.

Je lève les yeux vers lui, cherchant à déceler une pointe de doute, quelque chose qui me permettrait de reprendre pied. Mais il est là, tranquille, je... je... crois que j'aime cet homme. Il me pousse à me révéler.

— D'accord. Mais...

— Ah non, oublie tes "mais". Laisse-moi gérer. Juste... prépare ta valise, OK ?

Son ton est presque autoritaire, mais pas désagréable. Il y a une confiance en lui qui me fait me sentir à la fois nerveuse et... excitée. C’est un coup de pied dans la fourmilière de mon esprit trop rangé et... j’ai du mal à y croire moi-même, l'impulsivité l'emporte.

— Très bien. J'accepte de t'accompagner. Mais... comment tu sais pour Venise ? T’avais tout prévu ? Ne me dis pas que t'as déjà les billets dans ta poche parce que...

James rit doucement, un son rauque et chaleureux alors que ses mains chatouillent ma jambe. Je la recale contre son flanc et ses doigts poursuivent leur exploration vers ma cuisse.

— Les poches de ma nudité ? me charrie-t-il, en échos à ma boutade antérieure. Non, en fait, Isla et moi, chaque année, on part quelque part pour notre anniversaire. Le prochain est dans un mois, on a déjà commencé à passer en revue nos options et, j’en ai profité pour vérifier les vols directs.

Je hausse un sourcil, amusée par l’idée de son énième projet d’évasion. James, l’âme d’un aventurier, toujours insatiable. Cette part de lui m’attire, me fascine.

— Alors, vous allez où cette année ?

J’adopte une position plus détendue, mes paumes calées sur ses épaules. J’aime sentir la force qui émane de lui.

— Eh bien, figure-toi que c’est l’année du « elle ».

Il lâche l’information d’un ton décontracté, mais un sourire en coin trahit son petit manège. Je le scrute, un peu déconcertée.

— L’année du « elle » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire qu’on doit choisir une ville qui commence par un L.

Je saisis les contours de l’idée, mais elle se dérobe encore. On dirait une sorte de jeu.

— C’est-à-dire ?

Il jubile en silence. Je le vois à l’éclair de satisfaction qui traverse son regard. Ses épaules se haussent avec nonchalance, comme s’il savourait le spectacle de ma confusion.

— Quoi ? Ma petite cérébrale a du mal à suivre ? rigole-t-il doucement en déposant un baiser furtif dans mon cou.

Il me taquine, et il n’a pas l’air pressé de me rendre la clarté. Et, oui… j’arrive pas à mettre le doigt sur sa logique.

— Très bien, laisse-moi éclairer ta lanterne. C’est une tradition qu’on a lancée il y a des années. On choisit notre destination en fonction de l’alphabet. On a commencé par Amsterdam et Barcelone — sans le faire exprès au départ. C’est à partir de Cancún qu’on a instauré la règle.

Je souris, impressionnée par le concept. C’est rafraîchissant, et surtout, tout à l’air si… fluide dans son monde. Parfois.

— Toujours entre frère et sœur à chaque fois ? l’interrogè-je encore.

— Ça dépend de nos situations… personnelles, explique-t-il un brin malicieux. Cette fois-ci, Antoine ne viendra pas. Par contre l’année dernière, pour la Jamaïque, il n’a pas hésité à s’incruster.

J’éprouve une étrange combinaison d’intrigue et de… quelque chose qui frôle la jalousie. Si l’un d’eux est en couple, l’autre les rejoint. Amy a sans doute fait partie de ces aventures… Combien d’autres ? Non, je ne dois pas y penser. James a vécu, tout comme moi.

— Donc, tu n’es pas le seul globe-trotter de ta famille. Vous partez combien de temps en général ? Et, en plus, la Jamaïque, c’est un pays pas une ville ? ajoutè-je.

Sa main baladeuse atteint le bas de mon dos. Ses gestes sont aussi lents que la montée du désir en moi, et à chaque mouvement, je me sens de plus en plus tirée vers lui.

— On ajuste selon nos disponibilités. Parfois c’est juste deux jours, d’autres une semaine, m’éclaire-t-il, sa voix vibrante d’une joie tranquille.

Il m’attire encore plus près, et mon corps se presse contre le sien, répondant à l’appel silencieux de ses bras, de ses doigts. Chaque centimètre de notre peau en contact me brûle et me fait m’enfoncer dans cette sensation d’étreinte infinie.

— La Jamaïque, c’est pour Kingston. Pour le J, on était à Johannesbourg. J’ai passé presque trois mois en Afrique du Sud cette année-là, après le… la… l’annulation du mariage.

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