21 – Au rythme des tambours de guerre
Corps perclus de douleurs. Un peu sonnée. Mais le terrain dégagé. Merci les gars.
Lève-toi ! Allez, bouge ! Tu n’as pas fini ton travail. Il doit y en avoir encore, c’est sûr.
Oui, c’est ça. Avance, un pas devant l’autre, tu peux le faire.
Une voix, trop faible, un murmure peinant à remuer une mèche de cheveux blonds, une main tendue vers elle, essayant de la retenir.
— Tara…
Elle l’ignora. Pas volontaire. Elle ne le vit pas. Elle ne le pouvait pas.
Oui, c’est bien, cherche-les. Encore. Continue !
Sa vue se troublait. Sûrement l’épuisement, mais il lui fallait encore tenir. Elle devait à tout prix continuer, confirmer qu’il n’y en avait plus dans les parages. Ils avaient dépassé les limites. Trop des siens étaient tombés. Elle ne pouvait pas laisser cela inachevé. Par leur faute, elle ne pouvait plus sentir l’odeur de vieux cuir de Barbe grise, son premier pilote toujours fidèle, celui avec qui elle avait fait ses premières armes. Erwan l’avait remplacé, mais jusqu’à quand ? Les rangs s’étaient étoffés plus vite que les pertes accumulées, les volontaires se faisant chaque jour plus nombreux, pressés de défendre ce monde qu’ils voulaient bâtir et consolider, quitte à omettre un temps ses valeurs. Mais combien devront encore se sacrifier ?
Ils les avaient surpris dans cette ville. Chaque fois qu’ils progressaient, elle et Simon en première ligne, il en était sorti de partout, les harcelant sans relâche. Quand ils croyaient en avoir terminé, un autre groupe surgissait. Détonations et déflagrations résonnaient. Les coups pleuvaient. Il pouvait y en avoir encore. Il y en avait sûrement encore, se terrant quelque part, prêts à repartir à l’assaut. Elle persévéra, se forçant à avancer, alors qu’une sorte de raclement résonnait, comme un objet métallique frottant le bitume.
— Les tuer… Je dois les tuer, tous.
— On a un problème.
Yahel, sortant la tête du camion servant de tour de contrôle, pâle d’inquiétude. Elle interpellait Mahdi, figé face au vent, mains sur les hanches, devant le spectacle consternant des nombreux blessés dont devaient s’occuper les soignants.
— Tara n’est pas revenue, elle est encore là-bas. Seule.
— Ça t’étonne ? Laisse-lui le temps. J’irais la chercher plus tard.
— Elle n’a pas l’air bien.
Elle montra au roi l’image qui oscillait et se floutait par moment, déséquilibre vacillant.
— Dis-lui de revenir.
— Qu’est-ce que tu crois ? J’ai essayé, mais je crains qu’elle n’ait perdu son oreillette dans la mêlée… Mahdi, ils sont tous blessés ou exténués…
— Alors j’y vais. Montre-moi où elle est passée, que je retrouve son chemin.
Ils visionnèrent rapidement tout ce que l’œil de Tara et les autres caméras avaient enregistré. À voir l’ensemble, cela faisait froid dans le dos.
Mahdi suivi quelque chose du doigt sur les écrans. Yahel se figea, serra les poings sur la console. Il n’attendit pas la fin de la vidéo. À partir d’un certain point, c’était inutile. Tara avait laissé trace de son passage, marques funestes sur le bitume.
— Elle va être facile à retrouver, constata-t-il, saisissant d’un air sombre une oreillette et une arme, au cas où. Dès qu’ils le peuvent, envoie-moi les médics.
Plus aucun compagnon autour d’elle. Qu’importe, si jamais il en surgissait, elle se débrouillerait, quoi qu’il arrive. La rue qu’elle arpentait aboutissait à un croisement. Deux autres à la perpendiculaire, juste des successions de petites maisons. En face, un talus herbu bloquant son passage.
Pas un bruit. Pas un mouvement. Pas âme qui vive. Apparemment.
Suis-je arrivée au bout ? Tiens, qu’y a-t-il après cette ville ?
Ce promontoire naturel lui fut plus difficile à gravir qu’elle ne s’y attendait. Il n’avait pourtant pas l’air si haut. Mais l’arrivée au sommet méritait cet effort, la vision de cette campagne illuminée par le soleil étant de toute beauté.
Une petite bise effleura ses épaules. Elle frissonna, constata l’absence de son gilet de protection. Après tout, pas si étonnant. Elle a dansé si longtemps, si intensément, avec ses ennemis adorés, certains s’y accrochant désespérément.
Une voix l’appelait.
— Tara ?
Se tourner vers cette belle voix lui demanda un effort particulier. Non, elle ne rêvait pas. C’était bien lui.
— Mon roi, que fais-tu là ? C’est dangereux. C’est trop tôt. Il peut en surgir à chaque instant.
— Tout va bien, c’est terminé.
— Tu es sûr ? N’est-ce pas des tirs et des explosions que j’entends encore ?
Elle regarda de droite et de gauche pour s’en assurer.
— Non, tu as bien travaillé.
— Je les ai tous tués, alors ?
— Oui… Viens, il faut rentrer maintenant.
Elle cessa de regarder partout. Il lui tendait la main, patient, l’invitant à la rejoindre.
— Très bien, j’arrive… Mais ne t’approche pas ! Je pue le sang.
— Ce n’est pas grave. Viens.
La descente de la butte s’accéléra trop vite à son gré, lui ôtant tout panache d’agilité, mais heureusement sans tomber. Elle rejoignit Mahdi.
— Tu es de bonne humeur, aujourd’hui. Nous avons de la chance…
Elle haussa les épaules, ne chercha pas à saisir le sens de cette nouvelle parole énigmatique. Il en avait tant eu…
— Laisse-moi passer devant, on ne sait jamais, ordonna-t-elle en arrivant sur lui.
Il fit juste un pas de côté, comme pour la laisser passer, mais son bras s’interposa, lui bloquant le passage. Elle n’y avait pas fait attention, se demanda ce qui l’empêchait d’avancer.
— Oh… C’est…
Elle ne lutta même pas, commença à s’écrouler. Il la cueillit en douceur, la redressa, la soutint.
— Tu peux ranger ton arme, le combat est fini… Donne-la-moi, je vais t’aider.
— Si tu le dis, lui répondit-elle sans discuter, se sentant trop fatiguée.
Il prit son bâton. Elle ne le lâcha que quand il lui prouva le tenir fermement. Il le planta dans la terre meuble. La maintenant toujours, il l’aida à retirer son harnais, la persuadant d’une voix douce qu’il allait le porter pour elle. Puis il passa un bras autour de ses épaules, l’attira fermement à lui, la calant contre lui de profil. Par réflexe, elle avait machinalement levé les mains, ses mains pleines de sang qu’elle n’osait mettre en contact avec lui, pour ne pas le souiller, preuves de sa culpabilité. Et là, sensation étrange, elle se tenait debout, mais elle aurait pu être couchée sur lui, le côté de sa tête se servant de son torse comme oreiller, avec vue directe sur sa veste pour son œil artificiel. Elle eut chaud tout à coup.
— Mon roi, ce n’est pas le moment.
— Tu délires… Ne bouge pas.
Et brusquement, il plaqua ses mains de chaque côté de son corps, l’une côté ventre, l’autre côté dos, tentant de bloquer le sang qui coulait. Un élancement douloureux, fulgurant, déchira ses tripes, l’obligeant à prendre une inspiration étouffée. Elle ne comprenait pas. Qu’est-ce qu’il se passait ? D’où cela venait ? Tout s’effaça, se déconnecta, puis les sensations revinrent. Bruit mouillé, sensation humide qui se prolongeait le long de sa jambe. Et une douleur sourde, persistante.
— Non, ne bouge pas, insista-t-il doucement, puis : par ici ! l’entendit-elle interpeller.
Hein ? À qui parle-t-il ?
Elle voulut se dégager, commença à s’agiter pour voir.
— Tara, non. Tu es blessée !
Elle leva son visage vers le sien, étonnée. Elle se sentait juste… si lasse.
Comme une présence derrière elle tout à coup, puis une ombre qui s’affaissa devant eux.
— Je vois. Enlevez votre main derrière. Oui, comme ça… Là… Doucement.
— Que, qui est-ce qui… bredouilla-t-elle, s’adressant à Mahdi, mais à nouveau cette douleur fusant depuis son flanc, là où ses mains l’avaient pressée.
De nouveau un trou dans le fil des événements. Elle serait tombée sans le soutien de Mahdi. Ses pieds ne touchaient même plus le sol, l’extrémité de ses membres aussi bourdonnantes que ses oreilles. Voulant tourner la tête, il bloqua doucement son geste de la main, ses doigts s’enfilant entre ses cheveux, dont l’attache avait cédé elle ne saurait dire quand.
Ses doigts, en tout premier plan, sa main, aussi tâchés de… De sang !
Non !
— Tout va bien. On s’occupe de toi.
Non, tout ne va pas bien ! TU mens !
Son d’une déchirure, humidité décollée de sa peau, puis sensation du froid sur son ventre. Ça trifouillait en elle, là où ça faisait mal. Derrière, et devant maintenant aussi. Puis quelque chose vint entourer son ventre, pression brutale, où elle ne put réprimer un gémissement rauque, s’accrochant à sa veste. Ses doigts trouvèrent sa propre ceinture autour de son épaule. Elle se demanda comment elle était arrivée là.
— Pas joli tout ça. Bon, faut pas traîner. Elle part avec les plus urgents… Vous la tenez jusqu’à l’appareil ?
— Oui.
— Alors on y va.
Elle crut tomber, basculer en arrière, mais se retrouva dans ses bras. Elle fut un peu secouée. Il courait. Chaque pas ravivait la douleur. Un sifflement caractéristique, accompagné d’un vent fort et d’un bruit de moteur. Une hélice ? Elle entendit Mahdi dire quelque chose dans le vide, mais comprit juste qu’il parlait à Yahel. Puis elle sentit qu’il la déposait délicatement, sa crinière volant en tous sens. S’il n’y avait cette douleur, elle aurait juré être spectatrice de tout cela.
— Vous m’entendez ? Tara, restez avec nous.
Elle rouvrit les yeux, sûrement encore une absence. Elle n’était pas seule avec Mahdi. En plus de la boule de chiffon tachée de rouge qu’était devenu son débardeur blanc, gisant dans un coin, elle discerna au moins deux autres personnes avec eux s’agitant entre des silhouettes allongées, sans qu’elle puisse voir qui, dans ce qu’elle reconnut être le dernier prototype des ingénieurs, une sorte d’engin entre un hélicoptère et un drone. Mais leurs compagnons n’étaient pas des ingénieurs. Leurs vêtements blancs arboraient les serpents s’enroulant autour du bâton ailé.
Quelqu’un délaça la protection de son bras droit, puis elle y sentit une piqûre. Allongée sur le côté, sur un drap blanc à même le sol, ses yeux se fermaient malgré elle.
— Allez, restez éveillée !
Quelqu’un lui attrapa la tête, et elle se retrouva sur les cuisses de son roi, ses mains venant stabiliser son visage vers le sien.
— Écoute ce qu’on te dit, tu ne dois pas t’endormir. Compris ?… Réponds-moi.
— Il faut savoir… Tu me dis toujours que dormir est important pour se remettre.
Son visage de lion triste à l’envers au-dessus du sien, c’était bizarre.
— Pas là. Pas cette fois-ci. Il ne faut pas.
Elle sourit.
— Tu es bizarre, aujourd’hui. Pourquoi une mine si sombre ? Je ne vais pas mourir.
Il pinça les lèvres. Il ne répondit pas tout de suite. Son visage finit par se détendre quelque peu.
— Ah oui ?
— Oui. Tu as besoin de moi, non ? Je te l’ai dit, je ne mourais que quand j’aurai fini mon travail.
— C’est vrai, tu me l’as juré.
— Plus d’une fois.
— Tu as raison, je m’inquiète inutilement. Je le sais, pourtant. Tu es…
— forte, je sais.
Une de ses mains cessa de maintenir son visage, plongea dans le creux de son cou pour en ramener quelque chose. Le symbole des dragons trônait dans sa paume, toujours accroché à sa chaîne.
— Ils n’ont pas réussi à te l’arracher.
— Je te l’avais dit. Ce n’est pas encore le jour de ma mort. Je ne compte pas les laisser me tuer comme cela. Et puis…
— Oui ?
— Il y a de meilleurs endroits pour mourir.
Elle dut mettre trop longtemps à son goût pour rouvrir les yeux. Il plaqua ses mains sur ses joues un moment pour la redresser, les lui tapota.
— Regarde-moi… Dis-moi où ?
Ses yeux se perdirent au loin.
— Je vois… J’imagine une plage, la mer, l’écume des vagues… J’entends le bruit du ressac… le sable chaud sous les pieds, et les goélands criant au soleil en volant dans l’azur…
— C’est beau… On dirait mon pays.
Ce fut au tour de Tara de l’interroger.
— Ah oui ? Là où vivent tes petits lions ? Et ta reine ? Raconte-moi. Peut-être que cela me réchauffera.
Silence.
Un battement de cil. Puis le poids et l’odeur de sa veste sur elle. Et il continua à lui parler et à échanger avec elle, insistant pour qu’elle réagisse à ses histoires, de petites anecdotes, parfois de grandes aventures pour ses enfants, jusqu’à ce que le sifflement des rotors diminue.
— Je n’ai jamais eu l’occasion de vivre ça, étant enfant… Tu m’y emmèneras ?
Sa pomme d’Adam s’agita.
— Tu le verras, un jour.
Il s’écarta. Les pans du drap se soulevèrent. Elle se sentit emportée jusqu’à un support plus dur. Un brancard.
— À tout à l’heure.
Autour d’elle, ils en emmenaient d’autres. On lui plaça masque sur son visage. Elle n’écoutait que vaguement ce qu’il se disait.
— Tension basse…
— Ok, vous allez pouvoir dormir.
Enfin.
— Respirez bien à…
Elle n’entendit pas la fin de la phrase.
Douleur sourde, lancinante, dans son flanc. Corps raide. Lèvres sèches.
Allongée sur le côté, au milieu du brouillard, au-dessus du drap recouvrant son corps nu, elle distingua son bras où une aiguille fichée entre quelques hématomes s’accrochait à deux tuyaux translucides. Elle les suivit, les trouva reliés à deux poches. Un lui amenant un produit transparent. Dans l’autre, du sang. Yahel apparut dans ce champ de vision.
— Elle est réveillée, dit-elle, alors qu’une éponge lui humidifiait les lèvres.
— Pourquoi ce… sang ? Il faut… le garder pour ceux qui en ont besoin.
Parler lui pesait.
— Aujourd’hui c’est toi qui en a besoin.
Elle tenta de bouger. Mal lui en prit. Et elle détestait cette sensation de faiblesse.
— Vas-y doucement. Tu sors de la salle d’op’. On t’a un peu réparée. Un projectile t’a traversé de part en part. Pas d’organes vitaux touchés, mais tu as perdu beaucoup de sang. Il était temps qu’on te ramène… Et on t’a un peu shooté pour la douleur.
— J’ai vraiment… merdé, alors.
— Tu rigoles ! Tu n’y es pour rien. C’est même un miracle que tu n’aies pas été blessée plus gravement.
— Si… J’ai merdé… Je t’ai encore effrayée.
Yahel serra sa main dans la sienne.
— Allez, cesse de penser à ça, et repose-toi. Tu n’as que ça à faire.
C’était la dernière chose qu’il fallait lui dire. Elle lutta contre l’envie irrésistible, mais Yahel vint lui fermer les yeux, laissant ses doigts posés sur ses paupières.
— Dors, c’est un ordre.
Il retrouva Yahel à moitié assoupie, la tête sur ses bras croisés au bord du lit, toujours la main de Tara dans la sienne.
— Va te reposer, tu es exténuée, lui dit-il tout doucement en posant une main sur son épaule.
— J’ai pas envie de la laisser.
— Yahel… Elle va bien. Tout va bien se passer. Si cela peut te rassurer, je prends la relève un moment.
Elle ne la lâchait toujours pas.
— Combien de fois je vais la retrouver là… Combien de temps ça va encore durer tout ça ?
— Plus très longtemps, rassure-toi. Nous allons régler ça. Mais elle fait partie des plus récalcitrants à persuader. Tu lui en as parlé ?
— … Je ne peux pas… Je n’y arrive pas. Chaque fois que je suis devant elle, je perds tous mes moyens. De tout manière, elle ne me dira rien, comme d’habitude. Elle me cache toujours le pire, je le sais.
— N’est-ce pas ce que tu faisais quand c’était toi qui partais et elle qui restait ?… Je t’y aiderai, ajouta-t-il après que Yahel ai hoché la tête d’un air dépité. Nous ne serons pas trop de deux.
Sans mot dire, elle se décida enfin à libérer le fauteuil. Les deux amis s’étreignirent un moment, puis elle sortit, le laissant seul avec elle. Il observa Tara dormir, sa peau plus pâle que d’habitude, ces marques violacées tranchant plus franchement sur sa peau. Il laissa un moment sa main sur son front, soupira avant de s’asseoir. Plus tard, sa respiration, jusqu’ici lente et régulière, s’entrecoupa de petits gémissements rauques. Il fit le tour du lit, s’enfila sous le drap derrière elle, se cala contre son dos avec précaution, l’entoura ses bras, une main sur le front, l’autre enveloppant son ventre, faisant attention à ne pas toucher la blessure pansée. Cela marcha. Un moment. Puis les geignements reprirent, finirent par devenir plus profonds, plus poussés.
— Tara ?… murmura-t-il.
Elle ne réagit pas, seulement ces plaintes, bientôt suivies de gestes intempestifs. Elle bougea ses jambes, releva ses genoux, testa autre chose, comme en recherche d’une position plus confortable. Il la berça, sans succès, sa respiration devenant plus chaotique. En soupirant, il tendit un bras, trifouilla quelque chose. Quelques instants plus tard, il s’était déjà relevé quand une des membres de l’équipe des médics entra dans la chambre.
— Vous avez appelé, demanda-t-elle doucement.
— Oui. Sa douleur se réveille.
— Je vois ça, dit-elle après une brève auscultation. Je m’en occupe.
— Merci. Je ne vais pas pouvoir rester longtemps.
Elle sortit, revint, enleva les deux poches pendant sur le portant à côté du lit, en installa une autre, vérifia les réglages, finit par injecter un produit via le tuyau encore branché à son corps avant de sortir. Un petit moment plus tard, elle se détendit progressivement, retomba, soulagée. Il reprit sa position initiale, la serra légèrement plus fort, la rapprochant de lui, garda son bras autour de son cou, chuchotant à son oreille. Elle suivit son geste, soupirant d’aise.
Elle avait rêvé de Mahdi. Une réminiscence des premiers temps où elle l’a connu, quand il venait la voir, la chaleur de la paume de sa main sur son front, ce geste si simple et pourtant des plus apaisants. Mais à la manière dont elle se trouvait savamment calée dans le lit, de quoi la maintenir surélevée, l’empêchant de tomber du côté de sa blessure dans son sommeil, entre un jeu de coussins et la couverture patchwork enfilée sous elle, un grand châle clair par-dessus qu’elle reconnut comme le sien, le rêve se délita, s’effilocha, prenant des airs de réalité. Elle reconnaissait bien là sa patte.
Toujours mal dans ce flanc gauche, où ses doigts tâtonnant découvrirent un pansement, mais plus qu’une poche. La claire. À la vue des vilaines couleurs sur son bras, de ce qui commençait à lui revenir en mémoire, en soulevant la couverture, elle ne s’étonna pas d’en découvrir d’autres, des hématomes. Elle remercia le calmant d’agir encore.
Deux collègues médics entrèrent dans cette chambre qu’elle connaissait si bien. Ils s’excusèrent de la déranger, venaient pour vérifier, changer ses pansements. Elle les laissa l’examiner, la trifouiller, la manipuler. Ils lui firent faire quelques pas. Ils venaient de l’aider à se rallonger quand Mahdi et Yahel arrivèrent. Malgré la tête de lit surélevée, elle se dressa plus droite encore. N’ayant trouvé pour seules affaires sur le meuble que ses armes et son pendentif, elle avait gardé sa blouse d’hôpital et profité du châle.
Elle leur faisait face. Seules ses mains dépassaient, posées en toute dignité sur la couverture.
— Tu te remets vite, à ce qu’on m’a dit. C’est bien.
Mahdi, appuyé contre le meuble, bras croisés.
— J’y compte bien. Si on tarde trop, on ne pourra pas continuer sur notre lancée…
— Quoi ? Ne me dis pas que tu veux y retourner ?
Yahel, plus à droite.
— Tara, sans parler des pertes ce coup-ci, qui ne sont pas des moindres, ce serait trop risqué que tu y retournes.
Le visage de Tara prouvait qu’elle n’était pas de cet avis.
— Que te rappelles-tu de ce qui s’est passé ?
— Une embuscade. Une de plus. Ils ont beau nous avoir pris par surprise, on ne s’est pas laissé faire. Comme toujours.
Quel joli chaos. Ils étaient tous sur elle. Les coups pleuvaient. Trop vite, trop nombreux. Jusqu’à ce que les rangs commencent à s’éclaircir, sûrement grâce à l’aide de ses compagnons, à leurs tirs, qu’elle entendait, lui permettant de retrouver un espace suffisant pour remanier son bâton n’ayant jamais quitté sa main, même lorsqu’ils avaient chargé une seconde fois et l’avaient fait ployer sous le nombre.
— Tara, ils se sont littéralement acharnés sur toi. Et à chaque fois, tu es repartie à la charge. Bon sang, quand ils t’ont mis à terre, tu n’aurais jamais dû te relever.
— Pourquoi ?
— Tu n’étais déjà plus en état de te battre.
— Impossible. Je n’étais pas la seule en mauvaise posture. Le travail n’était pas terminé.
— Ça, c’est ce que tu dis. Es-tu même capable de dire quand ils t’ont arraché ton gilet de protection ? Quand ils t’ont transpercé le ventre ?
Le roi se redressa, décroisa les bras.
— Les choses sont claires, continua-t-il. Ce coup-là, ils avaient un objectif clair. La cible à abattre, c’était toi.
Tara le fixa un moment en silence. Les coins de ses lèvres s’écartèrent.
— Bien.
— Non. Cela suffit, indiqua le roi sur un ton des plus impératifs. Pour le moment, tu restes ici, en convalescence. Et lorsque ton équipe et toi serez de nouveau d’attaque, vous aurez de nouvelles directives.
Ses lèvres retombèrent. Elle sentit que cela n’allait pas lui plaire.
La conversation s’arrêta là.
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