44 – Une main sur la gâchette, l’autre dans la mienne
Cela faisait six jours qu’elle avait traversé la frontière, qu’elle vivait cachée au milieu de ce pays, au milieu de ces gens. Et enfin, elle y était.
Elle vérifia que tout était en place. Ceinture bien fixée, oreillette, armes et couteaux. Harnais bien accroché dans son dos, son précieux chargement dedans. Le camion s’arrêta. Elle descendit avec la troupe, s’avança, resta au milieu d’eux, à l’abri de ses compagnons, de tous ces dragons. Le sien, en elle, exprimait sa joie.
Les premiers tirs fusaient déjà. Ils stoppèrent pour se protéger derrière des boucliers, le temps que la première salve lancée par les leurs fasse effet. Elle retrouva l’odeur de poudre, de fumée, de poussière, la vibration des explosions dans le sol, les cris de frustration, de colère et de douleur en face.
Dans son oreille.
— C’est quand tu veux !
Une voix fusa du centre de la troupe. La sienne. Elle résonna en écho d’oreillette à oreillette. Et la charge fut lancée.
Ils s’élancèrent, s’éparpillèrent dans un désordre apparent cachant un ballet bien ordonné. Ils se répandirent tous à travers la ville pour la conquérir, partant d’un point focal, ce petit groupe resté au centre, telle une fleur qui finit par éclater ses pétales, une fleur de dragons dévoilant son cœur. Ils s’écartèrent, juste ce qu’il fallait pour la rendre visible, mais à une distance suffisante pour lui servir de protection.
Sa main saisit son bâton dans son dos. Elle s’avança lentement, essayant de boiter le moins possible, serrant d’une main ferme son arme, observant la scène alentour. Elle progressa au milieu du bruit et de la fureur, ses compagnons et les résistants semant l’enfer sur leur passage, sacrifice utile dans cette chasse aux combis noires.
Son regard sombre, glacial, surplombait un sourire noir, funeste, étirant ses lèvres.
Oui, c’est cela. Combattez pour moi, tuez-les pour moi.
Elle chercha un œil de plastique et de métal, en repéra rapidement un, se dirigea vers lui. Son sourire s’agrandit.
J’espère que tu vois cela…
J’espère que tu me vois, moi !
Soudain, elle fut déconcentrée. Un véhicule, une jeep, passa en trombe, cogna un autre véhicule, une petite explosion due à un projectile la fit basculer vers l’avant, ses passagers avec, l’envoyant s’encastrer dans un camion.
Merde !
Yahel et Simon se tenaient côte à côte face aux écrans. Ensemble, ils suivaient les événements, coordonnaient les mouvements, elle intervenant rarement, plus inquiétée par qui était parmi eux aujourd’hui. Par l’intermédiaire des caméras des autres compagnons, elle aperçut Tara au milieu d’eux, dans une pose rappelant sa splendeur d’antan. Son bras, ses mains, son œil toujours là. Seuls ses tatouages avaient laissés place à cette peau semblable à une carapace. Autre différence : elle ne combattait pas. Elle trônait au centre, les autres luttant pour elle.
Un bruit de chaises qui remuent. La sensation d’une présence apparemment familière derrière elle. Yahel n’y réagit donc pas, concentrée sur son précieux sujet d’inquiétude.
— Je ne peux pas m’empêcher d’être inquiète, tout de même. Elle n’a même pas de gilet de protection.
— Pour le moment, tout se passe bien, dit Simon, pas très sûr de lui non plus.
— C’est ta copine ? Je savais qu’elle était louche.
Une petite voix provenant d’entre eux-deux. Ce n’était pas celle de Marc.
— Bon sang, c’est pas vrai, rugit Simon après avoir arraché son casque sous la surprise. Comment tu as fait pour arriver jusqu’ici ?
La fillette, la tignasse toujours aussi réfractaire, haussa les épaules, affichant un air malicieux, gardant le mystère. Yahel, d’abord surprise, éclata de rire. Pour être allée rendre visite à la gamine plusieurs fois durant les derniers jours, cela ne l’étonnait finalement pas tant que cela.
— Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? C’est trop dangereux, ici.
La fillette restait les yeux rivés sur les écrans. Elle les montra du doigt.
— Ça bouge.
Simon retrouva aussitôt sa vigilance, remit son casque. Juste à ce moment-là, la jeep fit son envol.
— Élie ! Réponds-moi. Ça va ?… Élie, bon sang, réponds !
Son signal crachotait, instable. Le même genre d’appel fusa dans leurs oreilles. C’était Tara.
— Élie, tu vas bien ? Vas-y, mon gars, réponds ou je viens te chercher !
— Tara, tu ne bouges pas, tonna Yahel.
Des crépitements dans la radio.
— … suis coincé !
— Vous en pensez quoi, les gars, l’entendit-elle dire alors que, sur son écran défilaient les visages des compagnons chargés de la protéger.
— Tara…
— Franchement, tu vois quelqu’un d’autre ? Nous sommes les plus proches disponibles.
— Traînez pas, approuva Simon, alors que la caméra prouvait que Tara et ses gardiens avançaient déjà. D’autres arrivent.
— Alors on y va.
— En plus elle court… déplora Yahel. Sois prudente !
— Quoi, moi ?… Couvrez-moi !
— Arrête de me regarder comme ça, Yahel. Tu sais qu’elle y serait allée quand même. Et tu as vu comme moi, elle a pas attendu notre aval. Cela ne m’empêche pas d’avoir peur pour elle, moi aussi.
Il se frotta le visage de la main, comme pour reprendre ses esprits.
Tara rangea son arme. Ses protecteurs s’occupèrent des poursuivants d’Élie, alors qu’elle grimpait tant bien que mal sur les carcasses. Elle l’aperçut avec un de ses compagnons, pris en étau entre les amas de tôle. Leur chauffeur, plus bas, était déjà mort. Elle se positionna, plaçant ses jambes en appuie le plus stable possible.
— Lui d’abord, dit Élie, aidant son ami à se hisser alors qu’elle l’attrapait de son côté.
Le pauvre les assistait comme il pouvait, blessé et à moitié sonné. Elle le tira vers elle, laissa deux de son équipe terminer la manœuvre et l’emmener.
— À toi, maintenant. Prends ma main.
— … Peux pas, ma jambe est coincée.
Elle s’abaissa, se courba au maximum afin d’identifier le problème de plus près. Son œil confirma.
— Oh shit ! Pas question que je te laisse là.
— Faites gaffe ! Des chiens fous. Et ils sont nombreux.
— Tara, attention !
Elle se redressa, choppa son bâton, le mettant en position d’attaque, les lames des extrémités sorties.
— Attends juste…
Elle faucha le premier.
— Une seconde.
Elle planta le deuxième. Elle attendit un troisième, le cueillit bien mûr.
— Déjà fini ? Vous auriez pu m’en laisser !… Ah ben… J’ai pas perdu la main apparemment, constata-t-elle en replaçant son arme, se disant qu’il sera toujours temps de la nettoyer plus tard.
— C’est comme le vélo ! rétorqua Élie.
— Moque-toi…
Elle corrigea sa position, s’aidant de la structure pour coincer ses propres jambes. Et avec ses mains, elle poussa, poussa, encore et encore, grimaçant sous l’effort, pour écarter les véhicules l’un de l’autre. La tôle s’enfonça, se plia sous ses doigts. Ses jambes commencèrent à protester.
Allez… Vas-y… Pousse, s’encouragea-t-elle. John, j’aurais bien eu besoin de toi et de tes jambes aujourd’hui… Faire de même ? Non, ce n’est pas la solution. Il ne devrait plus y en avoir pour longtemps. En tout cas, j’ai bien fait de voir Marc !
— Ça y est presque, dit Élie, la voix éraillée sous l’effort.
Elle insista, poussa encore.
Allez ! Vite !
— Tara, on vient t’aider, tu n’y arriveras…
Yahel fut coupée.
— Han !… C’est bon ! s’exclama Tara alors que la carcasse venait de brusquement vriller de quelques centimètres, juste ce qu’il fallait pour dégager Élie.
Alors que Yahel pestait dans son oreille, ayant compris qu’elle avait fait régler la puissance de ses exosquelettes sans le lui dire, elle ne l'écouta pas plus qu'elle n'écouta la douleur dans ses jambes , tendit la main, prit celle du jeune homme, tira pour le remonter à son tour. Ils vinrent la seconder, le saisirent et l’aider à descendre alors qu’il évitait de poser son pied.
— Arrête de m’imiter, dit-elle pour cacher son soulagement.
Elle resta sur la carcasse, droite, fière, retrouvant son souffle. Elle riait.
— Les gars, ça s’énerve.
— Ils ont dû recevoir des ordres, ils nous lâchent.
— Tara, ils convergent tous vers toi !
— Je vois… Je crois qu’on est bon, il m’a vu. Bien, les gars, préparez-vous !
Des combis noires surgissant de partout se ruèrent dans leur direction.
— C’est cela, venez à moi. Venez vous faire tuer.
J’adore jouer les appâts !
— Deuxième salve !
Des camions arrivèrent en trombe, des hommes et des femmes en sortirent en nombre. Des dragons. Ils les encerclèrent, fondirent sur eux. Elle riait et riait encore, joie féroce, libératrice. Elle eut bien quelques balles à éviter, mais très peu, ses ennemis ayant rapidement leur vie à défendre. Encore mieux, ils furent vite submergés.
Elle descendit de la carcasse. Une odeur de fumée et un crépitement l’obligèrent à accélérer la manœuvre. Elle sauta le dernier mètre, grimaça, rattrapa son équilibre, tint debout, avança. Elle fit bien. Un souffle chaud la frappa quelques mètres plus loin. Ils vinrent l’aider à se relever.
Ils avaient rapproché un camion pour la récupérer. Elle s’aidait de son bâton pour marcher. Yahel râla lorsqu’elle l’aida à monter.
— Il faut d’abord te soigner. Tu t’es encore fait mal.
— Non. Maintenant, dit-elle en haletant, le regard noir, déterminé, affamé, un peu fou. Après, ce sera trop tard. Je ne veux pas louper cette occasion. Et je veux le faire à chaud. !
Simon fit sortir la petite. Elle avait déjà vu trop de choses pour une enfant de cet âge.
— Quand tu veux, lui dit Marc.
Elle se plaça face à l’écran, les yeux rivés sur la caméra.
— Alors, ça t’as plu, le spectacle ?… Ça fait quoi, de perdre… Pour la combientième fois ?
Elle pencha un peu la tête, sourire carnassier aux lèvres.
— Mon cher bourreau, ne te l’avais-je pas dit ? Si tu ne me tues pas, c’est moi qui te tuerais. Et je te tuerais. Je viens pour cela, et chaque jour je me rapproche de toi. À moins que…
Elle se remit droite, se rapprocha encore de l’écran.
— Tu peux peut-être encore sauver ta vie. Si tu me donnes ce que je veux, peut-être que je t’épargnerais… Alors comme ça il me voyait comme un potentiel, hein ? Donne-le-moi. Donne-moi l’autre joueur. Le véritable joueur. Je sais qu’il est là, derrière toi. Je sais qui il est. À toi de voir…
Elle fit signe à Marc, qui coupa la vidéo. Puis il la balança sur leur réseau.
— Il n’y a plus qu’à attendre.
— Ça veut dire quoi, ça ? Tu m’expliques ? C’est quoi cette histoire de joueur ? Qu’est-ce que tu mijotes ?
Tara, appuyée d’un côté sur le dossier d’une chaise, de l’autre sur son bâton, se tourna vers son amie.
— Fais-moi confiance…
— Ah oui ? Avec ça, il risque de croire que c’est toi qui es derrière tout ça. C’est comme si tu lui avais avoué diriger cette insurrection depuis le début.
— Eh bien, laissons-le croire ça. Ça m’arrange. C’est exactement ce que je cherche. Servir de cible. Pour lui, le soldat dragon est un symbole à abattre, je te le rappelle. Je suis la pièce maîtresse. On va voir comment il va réagir à ça.
— Dis quelque chose, bon sang ! s’écria Yahel en s’en prenant à Simon.
— Ça ne m’amuse pas plus que toi, mais c’est hélas un plan approuvé par les meneurs de la résistance. Ils sont parfaitement au courant. Ou presque… Tara, tu ne veux vraiment pas nous en dire plus ? Pourquoi tu parles d’un autre joueur ?
— C’est pas le moment de discuter, intervint Marc, détournant sans le vouloir la conversation, au grand soulagement de Tara.
— C’est vrai, il faut soigner tes jambes.
— Pas seulement ça, il faut qu’on bouge. Plus on tarde, plus ils risquent de revenir pour la trouver. Il ne faut pas qu’ils tombent sur elle.
— Attends, dit Simon, soudain solennel. Tara, on t’attendait pour cette attaque. La faire avec toi, ici, à cet endroit, cela nous tenait à cœur. Quand on a su que tu venais nous rejoindre, on s’est dit que ce serait le moment. Viens avec moi, tu vas comprendre.
Yahel le fusilla du regard, mais c’était trop tard. Tara enfila son châle, son corps retombant en pression perdant la chaleur procurée par l’ivresse de la bataille. Il l’aida à marcher sur quelques dizaines de mètres, la guida jusqu’à une sorte de promontoire, une grande estrade, des escaliers permettant de monter par l’arrière. Au sol, tout autour, de la terre brute et des graviers épars. Derrière, un petit chemin menait à une porte enchâssée dans un mur grisâtre, sinistre, immensément long. De l’autre côté de ce mur, cela pétaradait sec, cela criait. De douleur, de joie, de victoire.
Elle toucha cette sorte de scène, tachée de traces sombres, rougeâtres ou noirâtres. Ça puait la mort.
Elle comprit.
Combien d’autres victimes sur cette tribune macabre ?
Elle mit le dos de sa main sous son nez.
— Ça va ?
— Oui… Ce n’est rien…
Un vent glacé lui arracha son châle, le fit voler quelques mètres plus loin. Simon le récupéra, vint le lui remettre sur ses épaules. Elle s’accrocha à sa présence, au contact de ses mains qui s’attardaient, comme pour s’assurer qu’elle ne le perde une nouvelle fois.
Yahel, pendant ce temps, s’était discrètement éloignée à la recherche d’un certain objet.
Empêchez-la de venir jusque-là, pensa-t-elle en le récupérant. Même si ce n’est qu’un simulacre, il ne faut pas qu’elle voie sa propre tombe.
Simon les aida à la ramener dans sa chambre. Déjà bien sonnée par force soins et antidouleurs, elle n’était plus qu’un paquet informe qu’ils posèrent délicatement dans son lit.
— Bon sang, tu t’es encore mis dans un état… J’ai peur pour toi, tu sais. Tu es sûr de toi ? Dis-moi que tu ne te mettras plus en danger comme ça.
Il semblait l’implorer, effaré. Elle peinait à garder les yeux ouverts, n’arrivait déjà plus à lui répondre. C’était mieux comme ça de toute manière. Il n’aurait pas aimé la réponse. Yahel dut intervenir pour le calmer.
— Laisse-la. Elle n’est déjà plus en état de te dire quoi que ce soit, de toute façon…
— Folie tout ça…
Elle crut sentir une caresse, puis un baiser sur son front. Elle n’y reconnut pas Yahel. Peut-être rêvait-elle déjà.
Elle avait plongé depuis plusieurs heures quand la petite ouvrit la porte tout doucement après avoir gratté pour annoncer sa présence.
— Élie m’a dit que je te trouverais là. Qu’est-ce que tu fais ?
— Chut. Ne fais pas trop de bruit. Je suis juste revenue pour un de ses soins quotidiens.
L’enfant considéra Tara allongée de côté, comme si elle avait bougé dans son sommeil. Yahel avait repoussé la couverture en fourrure pour appliquer la crème sur son dos. Elle corrigeait quelque peu sa position en parlant à la gamine.
— Elle dort encore ?
— Oui. Elle s’est vraiment fait mal, plus qu’elle ne le dit.
La petite curieuse s’approcha, mis son visage face à celui de Tara, puis s’écarta.
— C’est étrange… Ta copine à l’écran, elle avait l’air de s’éclater. Là, on dirait qu’elle est carrément crevée…
Yahel soupira.
— Elle est assommée par les traitements.
Et peut-être pas que ça…
Elle ferma le pot, demanda à la petite de le reposer sur la table de nuit, remit la couverture sur Tara, la bordant comme on le fait pour un enfant.
— Ça sent drôle, dit la petite en ouvrant l’autre pot déjà posé sur le meuble, le sentant par curiosité.
— C’est ce qu’on utilise pour ses jambes. Ce sont d’anciennes blessures qui la gênent.
Sa main dépassait, avachie, offerte. La petite posa doucement ses doigts sur l’armature métallique la recouvrant, suivit une des tiges. Yahel se leva, rejoignit sa petite protégée de l’autre côté du lit, corrigea la position de la couverture pour couvrir la main voyageuse, repoussa une mèche de cheveux retombant sur le visage de la dormeuse.
— Viens, il faut la laisser tranquille.
L’enfant resta immobile.
— Je ne veux pas partir…
— Rassure-toi, je me suis arrangée. Pour le moment, et tant que nous sommes là, tu restes avec nous.
La petite entoura Yahel de ses petits bras. Et sans que personne ne la voit, pas même celle à qui ce signe fut destiné, elle leva le pouce.
Tara se réveilla progressivement, s’extirpa péniblement de la chaleur de la couverture, chercha, trouva, prit la gourde, but. La silhouette dans la pénombre était trop petite pour être celle de Yahel.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Tout le monde dort… Je m’ennuie.
Elle regarda autour d’elle, se rallongea, remit la couverture sur elle, revint sur la fillette.
— Toi aussi, tu devrais dormir. Il est tard.
— Mmm… fit-elle d’une moue sceptique. Je suis trop énervée. Je voulais te dire, pour l’instant, ça marche ! Je les adore, tous les deux ! En plus, ils me parlent jamais comme si j’étais une gamine trop idiote pour comprendre…
— Bien…
— Dis, elle est belle ta couverture, dit-elle finalement en passant ses mains sur les fourrures. Je n’en ai jamais vu des comme ça. Elle a l’air bien chaude !
— Ah, oui ?
Tara s’amusa de ses mots. Elle remua, s’écarta du centre du lit en se débattant avec le coussin réservé à ses jambes, en profita pour se mettre à plat sur le dos, lui laissant son oreiller.
— Si tu veux l’essayer, il y a de la place pour deux.
— C’est vrai ? Merci !
La petite s’y engouffra, fut en extase.
— Elle te plaît ?
— Oh oui !
— Elle est basée sur le modèle de celle d’un roi.
— Tu me racontes n’importe quoi. Je n’ai plus l’âge des contes de fées…
Et pourtant si, tu l’as encore, cet âge. Qu’est-ce qui t’a fait grandir si vite dans ta tête ?
— C’est la vérité. Je l’ai connu. Et je me suis battue pour lui.
Silence.
— Tu sais… Yahel… Elle est venue me border ce soir. On m’a jamais bordé avant… C’est bizarre. C’est comme si j’avais eu envie de pleurer. Et pourtant, j’étais pas triste !
— C’est encore mieux. Ce sont les plus belles. Ce sont des larmes de joie… Qu’elles soient de joie ou de peine, ne garde jamais tes larmes en toi. Laisse-les sortir, laisse-les couler, ou ton cœur va s’assécher.
Silence. La petite sembla méditer ces paroles.
— C’est vrai qu’ils t’ont torturée ? Je les ai entendus en parler.
Quel triste mot dans la bouche d’une enfant si jeune. Dites-moi qu’il n’est pas trop tard pour elle.
Elle se tourna vers la petite.
— Oui… J’imagine que cela n’a pas toujours été facile pour toi non plus…
L’enfant confirma en secouant la tête.
— Alors profite de chaque instant.
Elle attendit que la respiration de l’enfant ralentisse, s’approfondisse. Elle bougea lentement ses jambes, se disant en sentant les bandages compressifs entourant l’articulation de ses genoux qu’ils avaient mis le paquet ce coup-ci.
— Vous tenez vraiment à les bousiller, avait ronchonné un des médics.
Mouais, il va falloir y aller doucement, mais ça devrait le faire.
Elle se leva sans la réveiller, prit son bâton, profitant de la lumière de la pleine lune, partit sur le toit du bâtiment pour s’entraîner sans être vue. Lorsqu’elle revint au lever du jour, elle faillit tomber sur Yahel et Marc qui se dirigeaient vers sa chambre. Elle se cacha juste à temps.
— Je vais jeter un œil sur Tara avant de continuer de la chercher.
Ils ouvrirent la porte. Marc pouffa.
— Ah ben, en voilà une autre qui a disparu, mais on a retrouvé la première.
— Chut, elle dort.
C’était Yahel, qui venait d’entrer dans la chambre. Marc la suivit. Tara s’approcha, resta contre le mur du couloir à côté de l’entrée de la pièce. Elle jeta juste un œil, aperçut son amie assise au bord du lit, immobile, couvant du regard la fillette en train de dormir.
— Elle est si paisible…
Une éternité passa. Elle ne voulait pas les déranger, ni être repérée, évitant ainsi les questions compromettantes. Elle allait partir quand un petit gémissement se fit entendre, suivi d’un autre.
— Elle doit faire un cauchemar…
Tara entendit la douce voix de Yahel.
— Chut, je suis là, tout va bien. Tu es en sécurité avec moi.
Elle regarda à nouveau. Yahel s’était allongée sur le lit, caressait les cheveux de la fillette qui se calma.
— Un autre petit démon qui fait des mauvais rêves, dit doucement Marc.
— Mmh… Certains démons ne sont que des anges dont les nuits sont hantées.
À ces mots, Tara ferma les yeux, leva son visage vers le ciel.
Pourvu qu’il ne soit pas trop tard…
Elle les laissa.
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