6 – 2 Je t’ai regardée changer
Elle avait dû insister pour qu’on lui installe un système sur sa main, lui permettant de tenir une cuillère ou une fourchette, histoire de pouvoir au moins manger seule ou pour l’aider à remonter son caleçon dans les moments intimes, comme elle l’expérimenta sans demander d’avis. Ils lui avaient rapporté des vêtements, plus attractifs que ceux d’aspect pyjama d’hôpital. Elle n’avait rien anticipé, contrairement à Yahel, et partie sans rien ce fameux jour, elle avait atterri ici complètement démunie. Elle soupçonnait même qu’il n’y avait à priori plus rien à récupérer chez elle, le pillage plus que probable dans le bordel qu’elle imaginait, même si, ou justement parce que les soignants s’efforçaient de filtrer les informations dans leurs conversations. Pour le bien des malades, argumentaient-ils. Un hôpital sans BFMTV, de quoi se plaignait-elle ? Donc inutile de demander à ce qu’on aille chercher ses affaires. Surtout qu’ils étaient tous quelque peu occupés. De toute manière, elle était loin d’être la seule.
Une fois un peu plus vaillante, elle visita les lieux. Cette planque, souterraine comme celle où elle intervenait souvent pour les stocks, présentait aussi son tunnel menant sur l’extérieur. À part cela, beaucoup plus d’espaces accordés à une forme de clinique, pas mal organisé au vu du contexte. En furetant un peu plus loin, elle trouva un stock d’armes, bien diminué. Déplacé ou utilisé ? Et quelques dragons sur place, surtout en encadrement et en garde. Le seul discours de leur part : c’était compliqué là dehors, qu’elle profite d’être en sécurité pour se reposer, et donc mieux guérir. Et on lui avait déconseillé de sortir du souterrain, par sécurité. Pour le moment, disaient-ils. Elle prit rapidement sur elle, tout ce petit monde bien affairé dans cette ruche au centre en perpétuel mouvement. Et après tout, si elle avait vraiment voulu en savoir plus, pourquoi n’allait-elle pas parler aux autres patients ? Il n’y avait qu’à voir ce qui atterrissait ici, certains dans des états pires qu’elle, bien pires, parfois désespérés.
D’ailleurs, Yahel, ni qui que ce soit qu’elle connaissait ces dernières semaines n’avaient remontré le bout de leur nez. Barbe grise, le Jeunot, Marc… Ils semblent tous avoir désertés. Même Belle voix manquait à l’appel. Dommage, ses histoires et ses soins lui manquaient.
Un lion en cage, voilà ce qu’elle devenait.
La faute à Belle voix, s’il ne l’avait pas sortie de sa torpeur… Peut-être méritait-il un autre surnom, quelque chose autour du magicien ? Plus sympathique que manipulateur, même si elle le soupçonnait d’avoir joué avec elle. Rien qu’à la manière dont il lui posait des questions, tout en douceur, bien posée, style conversation philosophique. Pour lui redonner de la volonté d’avancer, peut-on lui en vouloir ?
Étonnant d’ailleurs qu’elle ait eu si vite confiance en un gars dont elle ne pouvait même pas mettre un nom ou un visage dessus et qu’elle n’avait vu, ou plutôt entendu en tout et pour tout que trois fois. Faut dire qu’elle ne lui avait pas demandé. C’était son petit amusement, rien que pour elle.
Elle ne se calmait que quand ils la droguaient. Ils en avaient décidé ainsi d’un commun accord en constatant qu’elle avait un peu de mal à garder son calme lors des soins qui devaient être fait pour son œil. Le reste, elle supportait, mais pas ça. La sensation de ces choses qui trituraient dans la cavité ! Rien que d’y penser, elle en frissonnait, entre dégoût et effroi. Et impossible de se contrôler, elle gesticulait pire qu’un gamin la première fois chez le dentiste.
Elle était d’ailleurs encore groggy lorsque toute une clique entra dans sa chambre. Tous en grande conversation. Parmi eux, elle eut le plaisir de reconnaître Yahel et Marc. Ils l’entourèrent, sauf le dernier, entré quelques secondes plus tard.
Crinière.
Tiens, c’était la première fois qu’il apparaissait depuis qu’elle était là. La première fois qu’ils étaient aussi proches. Elle aurait peut-être l’occasion d’échanger quelques mots avec lui.
Toujours avec son éternel haut noir, il s’installa dans la même position que la première fois où elle l’avait croisé, à l’arrière des autres, comme pour contempler le spectacle à venir. Elle se demanda ce qu’il pouvait bien fabriquer avec toute cette troupe.
Yahel s’approcha d’elle.
— Je sais, je t’ai un peu abandonnée… Pas trop le choix, il a fallu que nous parions à certaines urgences.
— Pour sûr. Entre autres, éviter que tout s’arrange définitivement grâce à la mort de tout le monde… renchérit Marc.
Elle les regarda perplexe.
— Il y a des endroits où il faut toujours quelqu’un aux manettes, précisa-t-il. Ça te parle si je te dis qu’on n’a plus de nouvelles de…
Il cita le nom d’une ville qu’elle ne visualisa pas très bien, la géographie n’étant pas son fort, mais ils avaient abordé ce sujet plus d’une fois durant leurs conversations. Tara compris. Cette ville et un bon périmètre autour étaient devenu un lieu inaccessible, du moins pas sans compteur Geiger ni combinaison anti-radiation.
— Bref, continua-t-il, on est là aujourd’hui, car on a peut-être une solution pour toi.
Marc reprit alors sa conversation avec les autres, médecins et ingénieurs d’après les sigles sur leurs vêtements. Ils l’examinèrent, observèrent et notèrent ses blessures, leur emplacement, leur profondeur…
Elle apprécia d’être encore sous calmant !
Le débat sembla s’achever. Marc entreprit de lui expliquer.
— Tu te rappelles ce que je pratique comme recherche avec les autres ? Ce n’est encore que de la théorie et cela n’a jamais été expérimenté sur un humain. Mais j’ai bon espoir. Si tu es d’accord, on peut essayer avec toi.
Il prit alors un objet dans les mains d’un autre participant au projet. Objet qu’elle fixa pendant qu’il lui détaillait comment ils comptaient procéder. Du jargon pas évident à comprendre. Elle en retint tout de même que cette espèce d’armature en forme de bras n’allait pas s’enfiler comme un gant.
— Je sais que ça te donne le sentiment de servir de cobaye… En fait, c’est ça…
Il se gratta l’arrière de la tête.
— Sauf avis contraire, nous prévoyons de commencer par le plus fastidieux : ton bras gauche. L’opération sera longue. Tu devrais être longtemps endormie, sauf sur la fin où nous devrons te réveiller pour quelques réglages. Je crains que cela ne fasse un peu mal… Pas sûr… On ne sait pas… Mais cela te permettra de retrouver plus rapidement ta mobilité, et même plus !
Tara s’était redressée, fit aller son œil de la chose à Marc, puis Yahel, ricocha sur Crinière, toujours en retrait des autres et qui n’en perdait pas une miette. Décidément bien intriguant celui-là. Il restait en arrière-plan à écouter, sans intervenir, en spectateur. Le seul à ne pas prononcer un mot de toute l’assemblée. Silence complet. Ou il venait là pour apprendre, ou pour servir de témoin. Après tout, une théorie qui tenait la route. L’affaire abordée dans cette chambre serait susceptible d’intéresser un certain fameux ! Ce cher roi à qui elle n’a toujours pas été intronisée, ou qui ne lui a toujours pas été officiellement présenté, selon le point de vue. Si elle se souvenait bien, Barbe grise lui avait dit un jour que ce Mahdi viendrait un jour lui parler pour faire connaissance avec elle. Elle attendait toujours.
Elle reporta son attention sur cette structure tout droit sortie d’un film de science-fiction.
— Et pour ton œil, on utilisera la même technique, quoique cela devrait être plus simple.
Silence.
— Alors, que décides-tu ? lui demanda Yahel quelque peu inquiète. Tu peux prendre le temps d’y réfléchir si tu veux, et tu as le droit de dire non.
Tara leva son regard vers elle. Un regard direct, décidé.
— Fais ce qui doit être fait.
— Tu es vraiment sûre ?
Elle ne cilla pas.
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