6 – 4 Je t’ai regardée changer

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L’opération suivante s’avéra en effet plus rapide et plus facile à supporter, car moins longue avec uniquement les quelques gestes possibles par sa main et son poignet droit. Surtout qu’elle savait à quoi s’attendre. Pour son œil, tout était déjà terminé. La première étape consistait à l’installation d’une sorte d’interface venant tapisser l’intérieur de son orbite durant l’anesthésie générale, le reste devrait simplement être serti dans cet habitacle plus tard, lorsque cela aurait cicatrisé. Elle ne voulait pas en savoir plus à ce sujet. Elle savait juste que tout pouvait se faire sans besoin de drogue, mais elle les trouvait bien optimistes.

Quand ils la réveillèrent pour les réglages nécessaires à l’appareillage de sa main droite, elle ne sentait rien du côté gauche, juste une piqûre proche de son épaule. Ils avaient dû endormir la zone.

Sauf que cette fois-là, à son premier réveil post-opératoire, un autre cauchemar. Différent, halluciné, délirant. Égarée, elle peinait à émerger. Tout n’était que confusion, chaos. Le corps fébrile, douloureux, mais ce n’était pas le pire. Elle avait chaud, trop chaud, du mal à trouver son air. Le monde obscur tournait, basculait autour d’elle. Une charge oppressante sur son œil, dont elle ne pouvait se dépêtrer, un tambour battant dans son crâne, entêtant, assommant.

Qu’est-ce qui m’arrive ?

— Holà ! Viens m’aider, il faut la mettre sur le côté.

Des mains la saisirent, la firent basculer sur la droite. La nausée la submergea.

— Maintiens sa tête. Il ne faut pas qu’elle se fasse mal à l’œil.

Seule de la bile remonta la brûla de l’intérieur au passage. Pour une fois, elle aurait bien crié à l’aide, ne souhaitant que la fin de son malaise. Pourtant, cette aide providentielle était déjà là, bien présente. Ces mains qui la transbahutaient, soutenaient sa tête contre un récipient en métal, pour la reposer ensuite sur un oreiller regonflé, assurèrent sa position latérale.

Le masque posé sur son visage l’aidait à respirer. La main de Belle voix, reconnaissable entre toutes, massait son dos de bas en haut. Elle l’entendit conférer avec d’autres, dont Yahel et Marc, quoique difficilement discernables dans cette forêt agitée de têtes masquées et charlottées. Ces magnifiques prunelles noires dans ces yeux d’une grâce léonine, étaient-ce ceux de Belle-voix ? Ou elle délirait et un lion noir ayant pris forme humaine s’était infiltré dans l’équipe ? Les autres étaient-ils vraiment là d’ailleurs ? Sa confusion se rapprochait tellement de celle qu’elle éprouvait dans ses cauchemars éveillés. Oui, ce devait être cela, elle dormait encore. Ce regard lui rappelait pourtant quelqu’un…

— Tu crois que c’est une infection, ou c’est son corps qui rejette les implants ?

— Au moins un signal d’alerte que nous envoie son organisme. On lui en a beaucoup demandé, récemment, et il réclame une pause… Un peu bruyamment…

— On va vérifier ça. Mais j’aime pas ça du tout : elle est brûlante. Il faut faire baisser sa température, ou elle ne passera pas la nuit.

— Vous êtes bien pessimiste…

— Je sais, mais je préfère fonctionner dans ce sens. Avec une fièvre pareille… On termine les examens et je reviens vous dire aussitôt ce qu’il en est.

Silence.

— Si je ne lui avais pas fait ça, elle ne souffrirait pas autant.

— Et moi ! C’est moi qui l’ai embarquée dans cette histoire.

Belle voix répondit aux deux dernières voix affligées. Yahel et Marc.

— Ça suffit tous les deux. Si elle n’était pas là aujourd’hui, c’est probablement son cadavre que vous auriez retrouvé quelque part. Faites-lui un peu confiance. Elle va surmonter ça. Elle est plus forte que vous ne le pensez.

Puis tout près de son oreille, elle l’entendit chuchoter.

— Tu entends ça. Tu ne peux pas lâcher maintenant, ce serait dommage… Ils t’attendent. Et regarde ce que tu as accompli jusqu’ici, tu peux aller encore beaucoup plus loin.

Elle sentit le dos de sa main caresser son front.

Apaisant, pensa-t-elle avant de plonger.

L’instant suivant, un poids pesait sur son ventre. Machinalement, elle remua pour qu’il disparaisse, en vain. Jusqu’à ce que son cerveau perçoive l’origine de cette masse. Un dragon, le corps enroulé sur lui-même, la gueule ricanante. Dans une exclamation effarée, elle sursauta.

Elle se réveilla, ouvrit un œil.

Sur son ventre, une main bandée, encagée, métallisée.

Hagarde, ne comprenant plus ce qu’il en était, ce qu’il se passait, elle bondit, voulut reculer, s’entendit gémir d’horreur, mais la main restait, sans qu’elle puisse y faire quoi que ce soit, tout cela devant ces ombres lointaines.

— Hey, doucement, chut… C’est ça qui te gêne ?… Tout va bien, je te l’enlève… Tu ne te rappelles plus ? C’est ta main. Tu as dû bouger dans ton sommeil…

Une belle voix grave, assurée, parlait doucement, rassurante. Des grandes mains à la peau sombre, familières, cueillirent l’intruse, l’éloignèrent, la posèrent à côté, cette étrange main qui ne bougea pas, qui n’avait jamais vraiment bougé, réalisa-t-elle.

Je me sens si lasse…

— Elle délire, tu crois ? lui demanda une voix de femme.

— Non… Vraisemblablement un cauchemar… Sa fièvre a baissé. Le traitement est efficace.

La paume d’une main pesa un instant sur son front, voyagea, pressa sa joue, son cou, disparut. Un poids agréable s’installa sur le haut de son corps, le recouvrit, duveteux, moelleux, le bout chatouillant son menton.

— Elle va mieux. Regarde, elle est déjà calmée.

Encore cette main salvatrice, elle la reconnut au toucher, sûrement faufilée sous la couverture, peu ou prou au même endroit que cette précédente, si froide, si inhumaine. Celle-ci ne resta pas inactive. Elle passait lentement de droite et de gauche, pressant un peu, la massait, comprit-elle. L’image d’un bébé réconforté par la main de son parent lui vint à l’esprit.

— Bonne idée, ton truc. Ça a l’air de lui faire du bien ! Ses traits se détendent…

— Tant mieux. Il faut qu’elle se repose.

Un poids doux pressa un instant son front, alors que des mains féminines plaquaient ses joues, le temps que la femme parle tout prêt d’elle.

— Tu entends, ma vieille, tu te reposes, et tu te remets, Hein ?… Je t’en prie, fais-moi ce plaisir…

Silence.

— Mahdi ?

— Mmh ?

— Merci de prendre soin d’elle.

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