12 – 3 La mort est un ange, et la mort est notre Dieu, nous tuant tous
Les premiers moments de tension passés, les dragons laissèrent vite place aux médics, qui restèrent le temps d’apporter de premiers réconforts, tels que de l’eau et de la vraie nourriture.
Tara resta parmi ceux de la première garde, avançant toujours. Jusqu’à ce qu’ils fouillent le parking souterrain d’un immeuble.
Une ombre au sol. Une femme, assise dans un coin, recroquevillée sur elle-même, épuisée, assoiffée, à bout.
Cette femme…
— De l’eau. Par ici, vite !
Elle s’accroupit à sa hauteur, tenta quelques mots de réconfort. La pauvre âme, surprise et confuse, eut un regain d’énergie et tenta d’abord de se défendre. Tara attrapa gentiment ses mains s’agitant frénétiquement pour les lui bloquer.
— Hey, ne crains rien, tout va bien ! Emma, c’est moi, Tara.
La femme finit par se calmer, puis relever les yeux pour voir qui lui parlait. Elle eut d’abord un petit recul, les yeux écarquillés, puis elle pencha la tête. Des larmes apparurent au coin de ses yeux. L’épuisement sembla la regagner, en même temps que le soulagement.
Tara prit la gourde que lui tendait Simon. Elle l’aida à boire.
— Là… Doucement. Un peu à la fois.
La femme finit par se laisser aller dans les bras de Tara, qui ne put que la cueillir maladroitement. D’autres arrivèrent, prêts à la prendre en charge.
— Ne t’inquiète pas, tu peux aller avec eux, ils vont prendre soin de toi.
La pauvre n’avait pas l’air tout à fait tranquille, mais devant le petit sourire d’encouragement de Tara, elle se laissa emmener sans broncher.
Tara rendit la gourde à Simon.
— Je ne t’ai jamais vu agir ainsi. D’habitude, tu laisses les autres faire ça.
Suivant du regard le petit groupe qui quittait le parking, elle lui répondit, pensive :
— Je la connais… Je me demande comment elle est arrivée jusqu’ici…
Tara alla la retrouver le lendemain dans la partie du campement où étaient rassemblés d’autres réfugiés. Un peu revigorée, Emma fut plus disserte.
— C’est bien toi… dit-elle en passant juste une main sur son visage, comme pour s’en assurer.
— Oui. Désolée, j’ai un peu changé.
— Tara, ils disent qu’ils vont nous emmener demain dans un meilleur endroit.
— Mmm, c’est vrai, tu peux le croire. Je ne serais pas là, sinon…
— Je ne veux pas…
— Emma, je…
— Tara, je ne veux pas, je ne peux pas !
Elle s’accrocha à elle.
— Mes enfants !
Et Emma lui expliqua tout la situation.
— Chez ta mère, c’est ça ? Elle n’habite plus… ?
— Non, elle a déménagé.
Emma lui expliqua où.
Là-bas ? Décidément, le monde est bien petit. C’est vrai que ce n’est pas loin. Je n’ai jamais été aussi près, d’ailleurs ! Étrange hasard… ou le destin qui se joue de moi ? Qui s’associe au diable ?… Je vois… Très tentateur, que tout cela…
Plus tard, Tara rejoignit son équipe près de leur feu. Elle s’y colla au plus près, tendant ses mains pour les chauffer. Yahel lui tendit une gamelle et elle se mit à manger.
— Tu es bien silencieuse. Tu as de nouveau mal ?
Elle secoua la tête.
— Non, je réfléchis.
Yahel attendit un temps, puis :
— Il paraît que tu as aidé une femme hier, c’est elle que tu viens d’aller voir ?
Elle acquiesça.
— Emma. Je l’ai connue il y a quelques années. On a bossé dans la même boite, un temps… Je me demandais ce qu’elle faisait seule ici, et elle m’a raconté.
Elle posa son bol et se tourna vers eux.
— Mahdi, elle ne veut pas partir avec nous. Elle veut ses enfants.
Il la fixa, impassible, attendant la suite.
— Elle n’habitait pas ici. Elle vivait avec son mari dans une autre ville au sud du pays. Lorsque la débandade a commencé, ses enfants étaient en vacances chez sa mère. Ils ont essayé de faire la route pour les rejoindre, mais cela ne s’est pas très bien passé, et voilà où elle en est. Elle est toute seule, et elle veut juste retrouver ses enfants.
Silence.
— Tu veux l’aider ?
Elle hocha la tête.
— Pourquoi elle ? Ce n’est pas ton genre ?
— Va savoir. Certaines personnes vous touchent plus que d’autres.
— Où essaye-t-elle d’aller ?
— Dans une petite ville, à quelques dizaines de kilomètres plus au nord. Yahel connaît aussi ce coin-là.
Cette dernière écarquilla les yeux de surprise. Mais par décence, elle se tut.
— Nous n’avons pas prévu d’aller là-bas pour le moment, et difficile de se séparer, même de vous deux en même temps. C’est un peu prématuré.
Elle secoua la tête.
— Je comptais plutôt y aller seule avec Emma. À pied s’il le faut. Je sais que nous avons besoin de tous les véhicules et de tout le monde.
Silence.
— Laisse-moi y réfléchir.
Une fois Mahdi parti, elles allèrent se coucher dans leur duvet, Yahel s’incrustant avec Tara.
— J’ai froid, moi, prétexta-t-elle, Tara n’ignorant pas une recherche de réconfort, pas illogique après toutes les images encaissées.
Le silence ne dura pas.
— Vérifier une ou deux choses, hein ? gronda Yahel à voix basse. Je me doutais que tu n’y allais pas que pour les beaux yeux de cette pauvre femme.
— Cela reste ma première raison. Mais avoue que le hasard est bien étrange. Si je ne l’avais pas croisé, rien ne m’aurait fait penser à retourner là-bas. Absolument rien. Pour moi, c’est du passé révolu et effacé. Et là, une opportunité me tombe dessus, comme ça… Une opportunité dont je me serais bien passé, mais puisque cela se présente… De toute manière, depuis le temps, et vu tout ce qui s’est passé, je suis sûr d’avoir confirmation de ce que je pense retrouver.
Yahel préféra se taire. Elle ne voulait pas savoir ce que Tara ferait si elle se trompait sur son intuition. Elle se colla juste un peu plus fort contre son dos.
Un peu plus tard, Mahdi toqua et entra dans le camion, les feux extérieurs dévoilant tout le paquetage de son couchage dans ses bras.
— Mesdames, puis-je me joindre à vous, cette nuit ? Cela me changera.
Elles se consultèrent du regard, Tara se tortillant pour voir Yahel.
— C’est demandé si galamment…
— J’ai réfléchi à ta demande, dit-il une fois son duvet installé, et lui assis dessus. Là où tu veux accompagner cette personne, c’est là où vous avez grand toutes les deux. Tu vas en profiter pour faire un pèlerinage, c’est cela ?
— Je ne dis pas que je ne vais pas aller voir une ou deux choses…
— Yahel, tu resteras en permanence l’écran ouvert. Tu ne dormiras que quand elle dormira. Et si besoin, je te relaierai. Mais, Tara, tu as bien conscience que ce coup-là, personne ne pourra te venir en aide dans la minute ? C’est très risqué d’y aller seule. Cette femme aura du mal à se défendre.
— Je vois ça comme un baptême du feu, ou un rite de passage. L’occasion de me tester, de voir où j’en suis, de prouver de quoi je suis capable…
— Très bien… Et si jamais tu trouves des volontaires en passant, on verra s’il faut s’organiser pour venir vous chercher.
— Entendu !
— Quand comptes-tu partir ?
— Je vais lui laisser encore un ou deux jours pour bien récupérer.
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