22 – 3 Tu as vidé mon cœur et créé un pique
Yahel toqua doucement deux petits coups avant d’entrouvrir la porte.
— Je peux ?
— Oui, entre…
Elle trouva Mahdi assit en travers au niveau de la tête de lit, son pantalon apparemment à peine renfilé, encore mal rattaché. Il venait de recouvrir une Tara endormie en fœtus, la tête sur sa cuisse, après l’avoir un peu bougée pour l’installer plus confortablement. Il lui caressait les cheveux, en profitant pour lui dégager le visage. Une dernière mèche dévoila les griffes du dragon agrippant son cou.
Il avait l’air aussi exténué qu’elle.
— Nous avons eu une petite discussion…
— Je vois ça.
— Tu l’as ?
— Oui.
— Alors pose-le là.
Il la regarda faire.
— Tu veux bien m’amener une serviette ?
Elle s’exécuta. Il souleva brièvement la couverture, le temps d’essuyer doucement la sueur sur le visage et le corps de Tara. Puis il retourna la serviette pour faire de même sur son propre corps, où des marques sombres apparaissaient sur ses épaules.
— Elle voulait toujours y retourner ? C’est ce que nous pensions ?
Il acquiesça.
— Cela n’a pas été évident de l’en dissuader… Petit démon.
Il avait dit cela en la couvant du regard.
— S’associer à un démon, c’est une bonne idée pour atteindre ceux de la même espèce, mais c’est parfois difficile…
— Surtout quand il ne réalise pas qu’il peut être un danger pour les autres autant que pour lui-même.
Yahel eut un sourire malicieux.
— Et surtout quand on s’y attache ! N’est-ce pas ?
Il secoua la tête, puis descendit précautionneusement du lit après l’avoir bien installée sur l’oreiller.
— Laissons-la se reposer, on partira plus tard. De toute façon, j’en ai aussi besoin… et je préfère ne pas être là quand elle se réveillera.
En se réveillant, elle poussa un profond soupir, posa une main au-dessus de son œil. Tout venait de lui revenir en mémoire.
Comme il lui est facile de me manipuler.
Elle se redressa, s’assit sur le lit en gardant la couverture contre elle.
Je suis si faible. Même mon corps me trahit.
Résignée, elle entreprit de descendre du lit. Elle avait une jambe sur le point d’atteindre le sol quand elle le vit.
Mon arme… Pourquoi me le rendre maintenant ?
Elle vint prendre son bâton dans sa main. Elle entama un premier enchaînement, en trouva le poids étrangement subtilement différent, plus pesant. Elle ne remarqua pas les commandes supplémentaires. Quelque chose changeait en elle, un autre poids noir et lourd, s’agitait.
Je sais que cela ne sert à rien, mais…
Un premier coup s’enfonça dans la porte menant à la salle d’eau.
Se défouler…
Un deuxième et un troisième ébranlèrent le lit.
Un peu, ça ne peut que…
Le mur, le pied de lit.
Faire du bien !
Le meuble, ce qu’il y avait dessus.
Quelle honte !
La glace vola et se brisa. Sept ans de malheur à ce qu’il paraît.
De nouveau la barre de métal du pied de lit.
Cette fois-ci, ce n’est pas uniquement le fait de l’effort, le choc vibrant de ses bras à son corps qui la fit rugir.
Contrôle-toi !
Yahel entendit le chaos depuis le couloir. Elle était restée là à l’attendre. Une soignante voulut entrer pour voir.
— Je serais vous, j’attendrais.
Deux minutes après, il n’y avait plus de bruit depuis un moment. La nurse ouvrit la porte avec prudence, malgré Yahel. Elle entendit couler l’eau de la douche qui couvrait à peine un long râle sortit du fond des tripes. Les dégâts dans la pièce ne l’arrêtèrent pas.
— Tout va bien ? Vous avez besoin d’aide ?
Une réponse rauque, furieuse, fusa de derrière le rideau.
— Dégagez !
Un bruit sourd résonna.
La femme ne demanda pas son reste.
— Désolée, lui dit Yahel en la voyant ressortir effarée. Elle laisse juste une trace de son passage…
Elle referma la porte et reprit son attente.
Quand elle sortit, Tara ne montra pas le moindre étonnement à la vue de Yahel. Elle avait enfilé les derniers vêtements qu’ils lui avaient apportés, le châle par-dessus, sa ceinture en partie cachée et où elle avait accroché sa protection de bras et le harnais vide. Elle fit passer son bâton derrière sa tête, le tenant à deux mains sur sa nuque. Elle était là, regardant Yahel comme après une bonne blague, les cheveux encore humides.
— On rentre ?
Son amie opina en souriant elle aussi.
Encore une fois, elle était épatée par la capacité de résilience de Tara. Ce fut peut-être difficile cette fois-ci, mais elle la voyait toujours repartir de l’avant, et advienne que pourra.
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