Le Croisic - Les éoliennes
La chapelle du crucifix se dresse sous la lumière grise du petit matin. Dernier édifice d'un autre temps épargné par les transformations successives du quartier. Tel une vigie, elle veille et porte son frêle clocheton comme un élan vers le ciel. La pierre de granite donne au bâtiment, en ce début de journée pâle, un air austère et froid. Postée à l’extrémité de la zone pavillonnaire, elle semble attendre les fidèles qui ne viendront pas. Oubliée là, elle dénote parmi les constructions récentes. Préservée par respect du passé, mais mise à part, dérisoire vestige archaïque, elle attend sans espoir de renaissance. Un léger brouillard efface les contours des pavillons.
Je gare ma voiture sur le parking de covoiturage, près du cèdre dont les branches s'étalent au pied d’un petit muret de pierre qui clôture la pelouse autour de la chapelle. Le GR34 passe tout près et je peux le récupérer facilement. Je pars vers Le Croisic et décide de remonter le chemin des douaniers par la côte nord. Je ferai le tour de la presqu’île probablement en quatre heures, si je marche sans me presser. Je passe devant la gare, ou je cherche à me remémorer mon passage des années plus tôt avec mes parents quand nous étions en vacances pour quelques jours en juillet. Mais rien ne me revient. Trop d’années se sont écoulées. Tout a bien changé, aucun élément ne me rappelle ma venue. Je doute même d’être venu un jour. La petite gare attend ses voyageurs dans le calme matinal. Toute la place a été refaite, les travaux sont récents. Je poursuis mon chemin et je m'arrête dans une boulangerie pour acheter le pique-nique du midi. Puis je traverse le petit port, mon déjeuner dans le sac à dos ; un sandwich et un flanc.
Après une bonne heure de marche, je passe la pointe de la presqu’île de Guérande, longe le golf pour rejoindre Le Fort de l’océan, transformé en hôtel, quand j’aperçus alignées au loin, à peine perceptible dans le léger brouillard grisâtre qui efface l’horizon et cache leur forme, un champ d’éolienne planté entre le ciel et mer, face à la côte ouest. J'avance crédule. Leurs images se dessinent, se font plus nettes. Je ne rêve pas elles étaient bien là. Elles défigurent le paysage. Mon regard s'accroche aux structures d’acier comme à un fil barbelé tendu sur l'horizon. Mes yeux souffrent à ne plus pouvoir pénétrer l'infini, s'épuisent à vouloir s'échapper de cette barrière meurtrissante tendue vers le ciel. Cette image me déchire l'âme lui interdisant de rêver. L’espace sauvage et envoûtant de la mer a disparu. Je ne vois plus dans ce tableau que ce rappel de notre naufrage; la nécessité de l'humanité a saccagé ce monde pour répondre à ses besoins insatiables. Plus aucun bateau ne s'aventurera dans cet espace perdu à jamais, plus aucune voile ne se balancera sur la mer, plus aucun mât ne griffera le ciel. L'horizon à jamais défiguré par cette blessure, les éoliennes s'alignent comme des points de suture entre le ciel et la mer à jamais mutilés, séparés. Était-ce le prix à payer pour sauver les générations futures d’un chaos certain ? Je détourne le regard pour me soustraire à cette blessure. Je poursuis mon chemin espérant enfin revoir un paysage naturel, mais les monstres d’acier me pourchassent. Je ne peux plus rien voir d’autre. Cette laideur s’impose à moi, comme si l’horizon tout entier me suivait.
La mer remonte sur les plages, claque sur les rochers en écume blanche, elle ne change pas, elle accepte, elle poursuit ses mouvements perpétuels de balancier, insensible à cette blessure. Le temps joue pour elle, elle sait, elle, que la patience vient à bout de tout. Que la houle et les vagues l’emporteront un jour sur ces blocs plantés dans ses profondeurs meurtris. Rien ne lui résiste, elle use, lime, érode et réduit en sable les plus hautes falaises, les plus dur rochers. Alors que lui importe, un jour son infatigable travail aura rongé les pieds de ses géants. Quand ses baisés de sel auront érodé leurs grandes ailes soufflantes qui déchirent l’azur, alors, elle engloutira l’outrage. Elle retrouvera sa beauté d’autrefois et l’œil, enfin, pourra contempler l’union du ciel et de la mer à nouveau réunis. Moi, je n’ai pas cette patience, ni ce temps. Et même si ce spectacle me désole, je me résigne et continue mon chemin. Le souvenir restera imputrescible. De l’autre côté de la route qui longe la plage, des maisons sont à vendre. Elles attendent endormies, portes et fenêtres fermées qu’on les anime. Mais qui voudrait ouvrir ses volets chaque matin sur ce panorama. Combien ont dû quitter l’endroit à regret criant au massacre.
Depuis longtemps je souhaite venir dans cette région ; Le Croisic, Le Pouliguen, Pornichet, La baule, Saint Nazaire, Saint Brévin, Pornic, tous ces noms tapaient dans ma tête comme des lieux on j’avais passer mes vacance d’été avec mes parents. J’aurais voulu retrouver les plages sur lesquelles j’avais couru enfant. Mais le temps passe, les lieux changent. Je ne retrouverai probablement pas le camping, le petit chemin qui remontait à la mer et qui sentait bon l'immortel d’Italie avec son odeur si particulière de curry. La nuit les vers luisants s’allumaient dans les buissons.
J’arrive à une croix de pierre qui fait face à la mer. Sur de la pierre tendre, au pied de la croix était gravé : « A ma fille 7 août 1845 ». Un drame s’était déroulé ici, une jeune femme s’est noyée sur ce rivage. Je remarque un carton posé au pied du monument, retenu par deux petites pierres blanches, où sont écrites ces quelques lignes, « Ceci est ma tombe, merci de ne pas toucher aux fleurs ». Un maigre bouquet emballé dans du plastique est posé près du mot. Qui avait pris le temps de faire cette offrande au passé ?
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