Inspiration
Avec un sourire satisfait, il retire la feuille de sa machine à écrire, la pose sur un tas juste à côté, souffle sur la bougie, puis se lève pour aller à sa fenêtre. La lune est encore haut dans le ciel, et il a achevé son premier roman. Son tout premier roman. Il ne peut pas retenir ses lèvres d'afficher un sourire pleinement satisfait, envahi par un fort sentiment d'accomplissement. Il scrute distraitement l'ombre des toits se détachant du ciel londonien, songeant déjà aux corrections qu'il a à faire, et aux maisons d'éditions qu'il allait solliciter. Il tire la chaise vers lui pour s'y asseoir, et rester confortablement tout à son observation de la nuit. Il s'amuse des nuages qui passent devant la lune, il se réjouit de l'ombre des oiseaux qui percent le ciel tranquillement, il scrute la moindre étoile qui lui semble briller un peu plus que sa voisine. Confortablement avachi, c'est sans s'en rendre compte qu'il s'assoupit, serein.
Un petit bruit contre sa vitre vient taquiner son sommeil. Remuant ses longs membres courbaturés, il n'ouvre pas encore les yeux. Mais c'est sans compter sur un deuxième petit coup qui s'abat et semble résonner dans le silence de cette nuit calme. Ses lunettes ont légèrement dégringolé sur son visage, et le flou qu'il distingue en ouvrant les yeux ne l'aide pas à désenfumer son esprit. Cependant le son sur sa vitre, s'apparentant clairement à celui d'un caillou que l'on jette, se charge de l'éveiller pour de bon. Un petit sursaut, il redresse ses fines lunettes rondes sur son nez et se lève, s'appuyant sur les accoudoirs de son siège, et ouvre grand les yeux en scrutant en bas de sa rue. Il ne distingue que peu de choses, il doit bien l'avouer, mais il lui semble qu'une ombre s'agite réellement deux étages plus bas. Plissant les yeux, il s'écarte vivement de la vitre quand un nouveau petit caillou s'écrase juste devant lui. Complètement hagard, William tourne sur lui-même en cherchant de quoi éventuellement se protéger, lissant nerveusement sa chemise froissée. Mais il se fige quand il lui semble entendre son nom crié à l'extérieur. Précautionneusement, il s'approche de sa fenêtre, et plutôt que d'y tendre ses yeux, il tend cette fois-ci l'oreille.
« William ! Murmure aussi fort que possible une petite voix fluette, Williaaaam ! »
Cette voix ressemble à celle d'un enfant qui s'impatiente. Fronçant les sourcils, il écoute cette voix mystérieuse qui l'appelle de différentes façons, scandant sans se lasser son prénom. William fronce les sourcils, et sent naître en lui, plus que de la peur, une furieuse curiosité. Il a envie de sortir, de rencontrer cette voix qui apparemment le connaît. Avec un peu de fébrilité, il s'empare de sa veste et de son écharpe, se cognant à ses meubles dans la semi-obscurité qui règne dans sa chambre. C'est en dévalant les escaliers qu'il enfile lesdites veste et écharpe, s'équipant de ses chaussures en arrivant à la porte d'entrée. Quand il pose la main sur la poignée de la porte, il a un instant de doute : peut-être que c'est un piège ? Un danger ? Peut-être la fatigue lui joue-t-elle des tours ? Mais quand il voit une silhouette s'agiter derrière l'épaisse vitre de la porte, la vilaine curiosité reprend le dessus, et il abaisse doucement la poignée. William se mord l'intérieur de la joue, appréhendant ce qu'il découvrira face à lui.
Il ouvre la porte d'un coup, et échappe malgré lui un petit cri qui s'apparente à un petit rire de stupeur. Face à lui, un jeune enfant aux épais cheveux bruns, le torse fièrement bombé, les mains croisées dans le dos, et... Se tenant bien droit sur ses deux jambes, bien campé sur des... Sabots ! William le fixe d'une façon allant contre ses manières de garçon bien élevé. Et plus il le fixe, plus il se rend compte que, cachées dans ces cheveux fournis, deux petites cornes commencent à s'y frayer un chemin.
« William ! Tu es là ! »
Le jeune enfant tape soudainement dans ses mains d'un air ravi, et s'avance pour se saisir du poignet de l'homme face à lui.
« Viens ! Les autres sont fous d'impatience à l'idée de te revoir ! Ça faisait longtemps, s'enjoue l'enfant-faune, qu'est-ce qu'il t'a pris de nous laisser si longtemps sans nouvelles ? »
William, tiré par la manche, ne peut que se mettre en marche, absolument autant émerveillé qu'abasourdi. L'enfant l'assaille de questions auxquelles il est présentement incapable de répondre, fasciné par le petit être qui se trouve devant lui, et qui l'entraîne il ne sait où avec une force certaine. Mais étrangement, il se sent en confiance avec ce jeune faune guilleret. Cependant, plus il l'observe, plus il sent naître en lui un sentiment familier.
« Excuse-moi, réussit-il finalement à dire, la gorge légèrement enrouée, mais... Où... Où m'emmènes-tu ?
-Où ? S'étonne le faune en tournant un instant son visage malicieux vers lui, au repère benêt ! Je sais que ça fait longtemps, mais tout de même. »
William hoche la tête avec un léger rire pour donner le change. Il n'en a en réalité aucune idée. Le repère ? Il... Il n'a pas le temps de s'arrêter sur une pensée fugace qui lui paraît pourtant essentielle dans la compréhension des événements quand une branche effleure de très près son visage et le fait se baisser dans un réflexe instinctif. Il est maintenant en pleine forêt, et les babillages joyeux du faune lui sont incompréhensibles tant il est distrait. Mais il n'a pas le temps de s'arrêter pour essayer de distinguer comme il se doit les lieux, toujours tiré par le poignet par un être mi-enfant mi-animal intrépide.
« Tu sais, moi je savais que tu allais revenir ! Je n'arrêtais pas de le dire à Zorya, elle n'y croyait plus elle... Je crois les autres non plus d'ailleurs, mais alors quand ils vont te voir William ! Oh cette fête qu'on va faire ! Se réjouit-il d'avance en écartant d'une main assurée les branches recouvrant vraisemblablement l'entrée d'une grotte.
-C'est vrai ? Répondit William distraitement, trébuchant de nombreuses fois, et se courbant fortement pour suivre son guide impromptu dans la grotte. »
Ce n'est en réalité pas une grotte, seulement un passage qui mène à une immense clairière, semblable à celle que l'on voit dans de nombreuses peintures. Et à quelques mètres seulement, un petit feu de camp brûle paisiblement, accompagné des conversations multiples des êtres incroyables rassemblés autour. William reste cette fois-ci réellement figé, les yeux invariablement rivés sur ce feu de camp, et ces gens paisiblement assis autour. Le petit faune le regarde avant d'éclater de rire, de lâcher enfin son poignet avant de se mettre à courir vers la petite assemblée en s'écriant :
« Regardez qui je nous ai enfin ramené ! Je vous l'avais dit ! Je vous l'avais dit ! »
Il commence à chanter joyeusement en pointant du doigt la silhouette sensiblement dégingandé de William, les yeux écarquillés et les lèvres entrouvertes dans une parfaite peinture de la stupeur. Une femme se lève d'un bond aux cris du faune, et cette femme réveille un profond sentiment de déjà-vu à l'intérieur de lui. Même avec la seule lueur qu'offre les flammes, il reconnaît sans mal les traits paisibles et bien dessinés de Calliope. Une jeune femme à la beauté éternelle, et à la douceur inégalable. Ses yeux d'ordinaire impassibles trahissent à présent la surprise fugace qui s'empare d'elle. A ses côtés se lève Sylvain, il le reconnaît sans mal lui aussi, malgré la barbe fournie qui recouvre ses joues. Soudainement, William reconnaît chacun des êtres qui se tourne vers lui pour le regarder de leurs grands yeux étonnés, dans lesquels brillent toujours une éternité certaine. Il en oublie même de respirer. Mais le jeune faune, qu'il reconnaît maintenant comme étant Silène, le fils de Sylvain et de Calliope, revient en galopant pour de nouveau le saisir et le faire rentrer dans le cercle constitués de ces êtres qui lui deviennent de plus en plus familier. Chaque prénom retrouve le visage souriant progressivement, et William a l'impression d'être de nouveau un petit garçon. Impression renforcée par le fait que ces êtres ne se sont couverts d'aucune ride après toutes ces années. Le temps n'effleure pas ces créatures magnifiques. A mesure qu'il se souvient, il prend également la mesure de ce qu'il a oublié pendant tant d'années. Alors que tous se pressent autour de lui, l'assaillant de questions incompréhensibles, l'étreignant tantôt fermement, tantôt avec douceur, il sent des larmes poindre. Des larmes de joie, des larmes d'enfant. Calliope le fait s'asseoir sur le petit banc en bois sculpté face au feu, et son sourire, aux yeux de William, ne trouvera jamais d'égal. Silène, accompagné de quatre autres jeunes faunes s'assoient en tailleur face à lui, et le fixent, le visage décoré d'un sourire impatient.
« Je... Bon sang, rit William avec émotions, dire que je vous... Je vous avais oublié, comment... ?
-Tu es parti longtemps, réplique Sylvain en remettant un morceau de bois dans le feu.
-Je sais... Mais comment j'ai pu vous oublier vous ? »
Le jeune Silène prend un air renfrogné aux aveux de William.
« Je me disais bien qu'il y avait quelque chose de changé chez toi, marmonne-t-il, vexé, tu n'arrêtais pas de te prendre des branches en pleine figure, et tu trébuchais tous le temps... Avant, tu connaissais le chemin par cœur.
-Et comment... Comment c'est possible ? Vous êtes exactement les mêmes qu'il y a... »
Il s'arrête un instant, et, comme un coup dans l'estomac, le nombre d'années passées lui reviennent.
« Qu'il y a 13 ans, complète Calliope avec un léger sourire, lui servant une coupe de vin.
-C'est tout simplement incroyable, souffle William. »
Il se saisit de la coupe qu'on lui tend, et sans gêne, il scrute chaque visage, oubliant un peu également les nombreux regards qui le détaillent aussi, autant fascinés, qu'émus, que méfiants. Ainsi, pendant un temps qui lui est devenu indifférent, William s'est laissé aller à la redécouverte de ses amis, discutant sans discontinuer, riant à gorge déployé, jouant avec les jeunes faunes... Il retrouve avec bonheur ceux qui ont été toute son enfance, ceux qu'il a oubliés d'une façon qui reste encore pour lui mystérieuse, il les redécouvre, il les aime comme au premier jour. Cette seconde grande famille qui l'entoure ne saurait le rendre plus heureux. Cependant, alors qu'il forme une ronde avec Silène et ses amis, le jeune faune aux cornes naissantes le regarde avec des yeux pleins d'espoirs.
« Eh, William, cette fois-ci, tu restes avec nous ? N'est-ce pas ? »
Pendant un instant, il est évidemment tenté de répondre que oui, pendant un instant, tout son corps lui intime de rester ici, dans cette clairière. Mais quelque chose, une autre force interne lui murmure qu'il ne peut pas. Il repense à son appartement, ses études, son roman... Un sourire triste répond à Silène avant même les mots.
« Mais...
-Je suis désolé, répond doucement William, je ne peux pas... C'est... C'est ineffable, je... J'ai cette autre vie que je ne peux pas laisser comme ça... »
Le faune baisse la tête. William sent de nouveau quelques larmes taquiner le coin de ses yeux, il remet nerveusement ses lunettes bien en place sur son nez. Un nouveau silence naît au sein de cette petite communauté. Très lentement, le corps aussi lourd que le cœur, il se relève. Il sent que s'il reste ici quelques secondes ? Minutes ? Heures de plus ? Il n'a aucune idée du temps qui passe, ici. Il est temps pour lui de partir. Il jette un regard d'enfant pris en faute aux deux adultes qui lui paraissent si divins. Silencieusement, Calliope et Sylvain le comprennent, et acquiescent à ses excuses non-formulées. Une étreinte, des regards, quelques sourires... Et William retourne vers cette petite entrée dissimulée derrière les feuilles.
« Je vous oublierai pas, cette fois, murmure-t-il avec un petit sourire ému. »
Un dernier coup d’œil à cette assemblée fantastique, et le voilà qui disparaît derrière les branches et autres feuilles.
Quelques coups frappés sèchement à la porte font violemment sursauter William, le faisant presque chuter de son fauteuil.
« Debout ! Il est déjà 8h ! s’époumone une femme à la voix nasillarde et dont il entend déjà les pas s'éloigner. »
Il se redresse difficilement, le corps terriblement endolori, et l'esprit encore bien occupé par ces personnages fantastiques qui lui ont rendu visite durant la nuit. C'est en se remémorant cela qu'il s'éveille soudainement. Observant tout autour de lui, il se lève pour chercher une preuve de ce qui s'est déroulé. Un petit bout de feuille, son écharpe, son manteau... Mais rien. Rien n'a bougé, et rien n'a atterri mystérieusement dans sa chambre. Dépité, il se rassoit, dévisageant d'un air découragé le manuscrit qu'il a achevé hier soir. Au moins, ça c'est réel. Fixant finalement ses mains d'un air pensif, un sourire lui échappe en repensant à ce petit faune plein de vie qui l'entraînait à travers les bois. Rêve ou non, il ne veut plus laisser ces créatures inanimées dans un coin de son esprit. Il veut les rendre réels.
Pris d'une soudaine vague d'énergie, William se prépare vivement, glissant un carnet tout neuf dans son sac, alors qu'il s'apprête à partir en direction de son université. Revigoré, et souriant, il marche dans ces rues qu'il connaît par cœur quand, en arrivant au croisement précédant son école, il lui semble apercevoir un petit être dont les cornes essayer de percer des cheveux touffus... William sourit. Il semble que son roman ne soit pas aussi achevé que ce qu'il pensait.
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