Chapitre 3.1
Traci Mendoza
Il n’y avait pas grand-chose à savoir sur Traci Mendoza. Mais s’il fallait retenir un point important chez elle, c’était qu’il ne fallait jamais, au grand jamais, la mettre en colère. Et pourtant, il semblait que la terre entière s’était alliée pour la rendre furieuse, et ça, pratiquement tous les jours.
Ce fut sa première pensée lorsqu’elle chargea son arme.
Pourtant, elle avait fait un effort en se réveillant ce matin même. Après de longues discussions, ou plutôt de longues disputes avec son frère, Traci s’était engagée à découvrir les joies d’une vie de lycéenne. C’était le jour J et Traci avait minutieusement préparé son état psychique. Elle avait étudié toutes les situations possibles et inimaginables dans sa tête, passant de la présentation de sa personne devant ving-cinq adolescents ennuyés, jusqu’au moment fatidique où elle devrait bien de se faire des amis. Jouer la gentille ou la méchante ? Faire semblant d’être sympa ou au contraire, la jouer mystérieuse ?
Ba !
De toute façon, elle avait toujours su que si un jour elle devait être actrice, elle serait littéralement la pire. Jouer un rôle n’était pas son fort. Yale remplissait suffisamment ce critère pour les deux. Traci avait toujours été impressionnée par sa capacité à faire croire aux autres qu’il était un animal sans défense, puis, le lendemain, devenir un homme d’affaires redoutable lorsqu’il s’agissait de buisness. Donc, Traci avait décidé de rester naturelle. Ou du moins, de rester le plus possible car même quand elle ne le voulait pas, elle avait tendance à effrayer son entourage.
Alors en entrant dans sa classe pour la première fois, soit 8 heures plus tôt, elle avait réalisé l’introduction la plus courte de sa vie.
- Bonjour, je m’appelle Traci Mendoza. Je suis nouvelle. Ravie de vous rencontrer.
Elle se souvient que quelqu’un avait ricané, mais elle n’avait su dire qui. Puis, le professeur, un homme un peu trop jeune et un peu trop perdu, lui avait carrément demandé si la place du fond lui allait, parce qu’il y en avait plus et qu’il était sincèrement désolé. Elle avait hésité une seconde à lui répondre « non » juste pour le voir perdre ses moyens mais s’était finalement ravisée. Le pauvre devait déjà supporter une classe bourrée d’hormones tous les jours alors bon…
Puis, lorsque l’heure du déjeuner avait sonné, Traci s’était levée à la lenteur d’un animal apeuré. Voir tous ces jeunes s’activer pour rejoindre leur groupe et éclater de rire à tout va l’avait mise mal à l’aise. Elle n’aurait jamais su dire pourquoi, mais à cet instant précis, elle s’était sentie vulnérable.
Était-ce donc pour cette raison que dans tous les films qu’elle avait vus jusqu’à présent, l’héroïne qui se retrouvait seule dans un lycée semblait si triste ?
Traci avait alors choisi de manger dans le jardin mal entretenu de l’école. Malgré le froid mordant de la ville, elle s’était bien décidée à y rester, parce qu’en moins, on la laissait en paix. Peu d’élèves avaient, comme elle, osé l’aventure d’un déjeuner au sein d’un congélateur.
Bref.
La journée n’avait été qu’une succession de : « Mais où suis-je bon sang ? » et de « Les aiguilles de cette horloge sont cassées ou quoi ? ». Traci n’avait guère apprécié l’expérience et avait commencé à collecter les insultes qu’elle adresserait à son frère lorsqu’elle rentrerait chez elle. Les élèves ne l’avaient même pas calculée une seule fois ! Du moins…
Jusqu’à la rencontre d’une belle brune.
En sortant du bâtiment en fin d’après-midi, Traci s’était retrouvée enlisée au milieu d’une foule pressée de rentrer. Manque de bol et d’un hasard trop prévisible, elle avait foncé droit contre une élève qui avait trébuché et lâché un juron. Traci, elle, avait perdu l’équilibre et s’était dangereusement retrouvée au bord des escaliers.
Elle s’était déjà imaginée avec un traumatisme crânien et deux côtes cassées.
Fort heureusement, une princesse charmante l’avait sauvée de ce sort funeste.
- Hop là ! Fais gaffe où tu poses les pieds chérie !
À peine s'était-elle remise de sa possible chute que Traci avait rencontré les yeux les plus beaux qu'elle avait vus jusqu'ici. Sa sauveuse, drôlement grande et ravissante, lui tenait encore le bras qu’un sourire en coin se dessinait parfaitement sur son visage anguleux.
- Je… merci, avait murmuré Traci.
La belle brune avait froncé les sourcils, probablement parce qu’elle n’avait rien compris au milieu de tout ce bruit mais Traci n’avait jamais pu la remercier une deuxième fois, car une voix dans la foule leur avait hurlé dessus, l’air impatiente et irritée.
- Kelsey, tu voudrais pas dégager ? Tu fais chier tout le monde, là !
Par ce que la jeune fille avait répondu :
- Oh, la ferme, Gab’ !
Puis, sans lui donner le temps de réfléchir, la dénommée Kelsey avait souri une dernière fois à Traci, le genre de sourire que l’on adresse à un ami de longue date, avant de la dépasser et rejoindre le parking de l’école, sans un regard en arrière.
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