Hedera helix

 Mon rythme cardiaque s’accélère, intensifiant mes battements au moindre pas de l’Évolution. Je le sais, je le ressens. Mon corps ne cesse de m’envoyer des signaux de détresse, hurlant frénétiquement son désir de fuir. Ce qui nous attends est un danger, une finalité. Que cette Source soit la Mort ou non ne change rien. Son regard écarlate dévoile sa détermination, il me rappelle qu’un liquide à la teinte identique coule dans mes veines et que celui-ci pourrait s’arrêter à chaque instant. Mes muscles tremblent, des sueurs froides couvrent ma peau. Si seulement je pouvais m’évanouir, je n’aurais pas à affronter le sort qui m’attends.

 Actuellement, je ne m’accroche à personne, pas même au Désastre à mes côtés. Le combat entre ciel et mer me l’a montré, nul ne se mettra en travers de son chemin. Quel que soit l’imprévu, quelle que soit la menace, l’Évolution continuera sa marche. Sans jamais s’arrêter, sans jamais être dépassée. La vie et la mort l’accompagneront sur ce chemin dénué de fin. J’ai peur, je ne veux pas m’arrêter sur cette route. Non ! Je ne dois pas mourir ! Je me le suis promis, c’est là mon objectif ! Je ressortirais victorieuse de ces épreuves, je serais la meilleure voyageuse ! Et enfin… enfin… je pourrais être avec lui.

— Ma pauvre chérie, susurre Taxus en arrêtant sa marche, serais-tu effrayée ?

Je peux voir l’Évolution me tendre une main avant de la retirer d’un air coupable. Ce geste m’étonne légèrement. Voulait-elle me toucher, afin de me transformer en bête immonde ? Pourquoi a-t-elle retiré son geste ? Qu’est-ce qui la motivait ? Qu’est-ce qui l’en empêche ?

• Tu as raison de penser ainsi, continue la Source. Ce que je m’apprête à faire est impardonnable. Cependant, j’ai pris ma décision.

Cette déclaration ne m’étonne guère. Une partie de moi connais cette femme, comme si un morceau de sa personne m’avait accompagnée pendant tout ce temps. Au fond, je comprends parfaitement sa motivation, car je possède la même. Avant de devenir voyageuse, j’ai eu de la détermination. Je savais ce que je voulais, et actuellement, je serais prête à tout pour l’obtenir.

• Je te comprends, dis-je en soutenant le regard de Taxus. J’ai moi-même une raison de vivre, un choix qui me pousse à faire des sacrifices. Quel que soit l’obstacle, même si dieu en personne vient à se manifester, je ne lâcherais jamais prise.

Une lueur de tendresse prend place sur son regard écarlate. Pendant ce maigre instant, j’ai l’impression d’avoir en face de moi une mère aimante.

• Tu as bien été élevée par cette personne, tu as du caractère. J’aurais aimé prendre place dans cette maigre famille qu’est la tienne. J’aurais aimé être ta mère, te donner de l’amour… commence la Source.

L’Évolution penche la tête vers le ciel, tentant de camoufler ses larmes.

• J’ai conscience que ce scénario est impossible. Cependant, rien que pour une fois, laisse-moi être ta mère.

L’étonnement accompagné d’une légère incompréhension m’anime. Que tente-t-elle de dire ? Quels sont les sentiments derrière ces paroles ? Je prenais Taxus pour une meurtrière sans cœur, et en voyant son expression, je commence à hésiter.

 Je regarde furtivement mon partenaire, l’étonnement est moins présent sur son visage. Comme s’il comprenait l’Évolution. C’est en constatant cette expression, que j’en vient à jalouser le moment qu’ils ont eu tous les deux. Mes yeux se dirigent une nouvelle fois vers Taxus, son visage humide me fait face, le regard animé d’une expression glaciale.

• Il est grand temps pour moi d’accomplir notre accord Hedera. Je vais te donner des informations, je vais te dire ce que sont les malédictions.

Une petite étincelle de joie illumine mon visage tandis que le Désastre s’agite de manière suspecte à ma droite :

— Je t’en prie Tsiru-ja, ne lui dit rien ! Rien que ça, laisse-la être ignorante sur ce sujet !

Un air ahuri prend place sur mon visage, que vient-il de dire ? Serait-il en train de me trahir ? Pourquoi cherche-t-il à camoufler la vérité ?

— Tais-toi Gangrène, dis-je encore étonnée de son geste, je veux savoir.

Le Désastre pose sur moi un regard teinté d’un léger mépris.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles, n’écoute pas ses… kof ! kof !

Mon partenaire se cabre de douleur, la main fermement posée sur sa bouche. Je connais cette toux, j’ai eu la même dans l’amphithéâtre ! Je me retourne brutalement vers Taxus, la main tapotant légèrement le dos de Gangrène.

• De cette manière, il ne nous gênera pas, déclare la Source. Essaye juste de supporter sa toux, veux-tu ?

La tendresse que m’avait communiqué l’Évolution a désormais laissé place à ma rage intérieure, dont je freine actuellement l’explosion.

— Parlons-en vite fait, répliqué-je avec mépris. Je ne veux pas lui faire de mal.

Un sourire satisfait prend place sur le visage de Taxus.

— Dis-moi Hedera, sais-tu que les émotions d’autrui dégagent de l’énergie ?

— Arr… kof ! kof !

Je concentre mes mains sur mon partenaire, tentant d’apaiser sa toux.

— J’en avais seulement une vague idée, déclaré-je.

— Savais-tu également que chaque monde possède un équilibre qui lui est propre ? continue Taxus.

Où compte-t-elle en venir ? Je ne comprends pas.

— Cela paraît évident.

L’Évolution continue d’arborer son expression glaciale, poursuivant son explication :

• Pour faire simple, les émotions de chaque être s’accumulent dans leur monde, puis finissent par être recyclées. C’est là, le fonctionnement d’une annexe en bonne santé. En revanche, les sentiments négatifs sont plus complexes à détruire, leur énergie subsiste davantage avant de disparaître.

Je fronce les sourcils en entendant son explication, tandis que mon partenaire tente une nouvelle fois de reprendre la parole :

— Arrête, tu lui en a KOF ! kof ! Kof ! Kof ! Aaaah ! Kof !

Je tapote une nouvelle fois sur son dos, la toux du Désastre s’intensifie. À ce rythme, il n’aura plus de voix !

• Je n’ai pas fini Hedera, oublie ton partenaire et regarde-moi. Tu te doutes bien que les malédictions n’ont rien de vivant.

Une petite révélation élargit mes paupières, je comprends ce que veut dire l’Évolution.

— Ce qui signifie que les maléfices sont des amas d’énergies négatives ? Des restes de sentiments ?

— Exactement.

Si une telle vérité est avérée, alors Gangrène ne souffrirait-il pas à chaque fois qu’il consomme ces choses ? C’est horrible ! Supporter cette souffrance seul, sans personne pour le comprendre. Et pourtant, quelque chose m’échappe dans son comportement. Pourquoi le Désastre ne souhaite-t-il pas que je sache la nature des maléfices ?

— Bien, maintenant que les choses sont claires, passons au véritable problème, reprend Taxus.

Comment ? Il y a encore autre chose concernant les malédictions ?

— Non ! hurle d’une voix rauque mon partenaire. Tais-toi ! Kof ! Kof ! KOF !

— Arrête de parler, chuchoté-je à Gangrène avec une légère panique. C’est douloureux, ne force pas.

Le Désastre me regarde, l’œil mouillé de larmes. Son iris me supplie de ne pas écouter la Source. Que dois-je faire ? Cette situation est assez douteuse. D’un côté, j’ai les informations que je souhaite, je perdrais énormément à ne pas entendre les explications de Taxus. Et d’un autre, mon partenaire me supplie d’arrêter. Qui dois-je écouter ?

— Sais-tu pourquoi je vise la mort de tous les voyageurs ? me demande la Source.

— Hedera, non…murmure le Désastre avant une autre crise.

Je ferme les yeux, laissant la culpabilité m’envahir. Je suis désolée Gangrène, je choisis d’écouter l’Évolution.

— Je n’en ai aucune idée, dis-je à Taxus.

Le regard blessé de mon partenaire se marque au fer rouge dans ma mémoire, je sens le regret m’engloutir.

• Je savais que tu ferais le bon choix, ma chère enfant. Pour tout te dire, les voyageurs ne sont pas des êtres destinés au voyage. Ils dépendent d’un procédé qui leur est interdit.

Mes sourcils se hausse d’étonnement, mon regard se concentre sur les iris écarlates de mon ennemie.

• Vois-tu, reprend Taxus, seules les Sources et leurs serviteurs sont autorisés à voyager. Leur passage est parfait, ils ne font aucune erreur. Alors que les voyageurs produisent de nombreuses brèches dans leur parcours. Et c’est dans ces passages entre plusieurs mondes que se déplacent l’énergie négative restante. Celle-ci finit par s’accumuler afin de créer un maléfice.

Les paroles de l’Évolution me figent sur place. Ce n’est pas possible…

— Ce sont les voyageurs qui sont à l’origine des malédictions ? demandé-je sonnée par la surprise.

La Source me sourit, camouflant difficilement le sadisme présent sur ses traits.

— Et voilà, ce n’est pas compliqué à comprendre.

Taxus s’approche de quelques pas, un regard médusant posé sur moi.

— J’imagine que tu vois pourquoi ton partenaire souhaitait mon silence.

Un souffle de panique remue frénétiquement mes poumons. Je ne veux pas y croire. Gangrène savait, et il ne m’a rien dit. Encore aujourd’hui, il cherche à me protéger de cette vérité. Je comprends pourquoi le Désastre était si dépressif à notre première rencontre. Je comprends pourquoi il n’était pas aussi enjoué que moi. Je commençais à lui en vouloir, en me posant des questions sur la confiance qu’il m’accorde. Au fond de mon être, je ressens parfaitement ses sentiments. Si j’avais été à sa place, j’aurais également caché la vérité.

• Notre quête est éternelle, déclaré-je ébranlée par le désespoir. Quoi qu’il arrive, les malédictions frapperont toujours.

Je ne veux pas admettre cette réalité ! Je veux me réveiller de ce cauchemar ! Et pourtant, le regard du Désastre suffit à évaporer mes doutes. Dire que j’espérais triompher de cette mission, que ce travail serait réalisable. Il n’en est rien. Je suis destinée à mourir, soit d’épuisement, soit par la main obscure d’un maléfice. Ce travail est horrible, ce n’est pas ce que je voulais, ce n’est pas ce que je souhaitais !

 Mes jambes s’affaissent sous le poids de mes propres émotions. Mes mains sont fermement posées sur mon crâne, mon corps tremble, sombrant petit à petit dans le désespoir. J’ai envie de pleurer, j’ai envie que tout s’arrête ! Pourquoi les voyageurs ne m’ont-ils rien dit ?! C’est lâche ! C’est ignoble ! Comment ai-je pu accepter un tel travail ?! Tout ce que j’ai fait, c’était pour être avec lui ! Je voulais travailler avec l’homme que j’aime !

• J’aurais voulu te révéler la vérité puis en finir par ta mort, malheureusement il m’est impossible de te tuer. Tu peux remercier l’Avarice, grâce à elle tu es obligée de rester dans cette réalité, dit doucement Taxus.

Qu’essaie-t-elle de me dire ? Qu’il me faille maudire l’Univers et l’Avarice pour m’avoir fait vivre ? J’ai beau être en train de désespérer, il est hors de question que je fasse une telle chose ! Car même si le travail que j’effectue est infini, ce n’est pas une raison de le fuir ! C’est vrai, je suis en vie ! Mon but premier est toujours présent. Je souffre, j’endure, ce sont les prix à payer pour ma santé ! Je ne peux pas souhaiter la mort, sous prétexte que mon plus grand souhait ne se réalisera peut-être jamais. La preuve, mon partenaire continue sa mission à mes côtés. Lui aussi se bat, lui aussi survit malgré son souhait. Il m’accompagne, me protège, s’inquiète pour moi. Grâce à lui, je ne me sens jamais seule, je ne sombre pas, je reste fixée sur notre objectif.

 C’est exact ! Je ne peux pas traîner la fierté du Désastre dans la boue. Il se sacrifie pour mon bien, il donne de lui-même. Et moi, je désespère ? Quel culot ! Je ne mérite même pas d’être sa partenaire. Je devrais le savoir, rien n’est encore joué ! L’Univers est infini, de même pour ses possibilités. Quelque part, dans un monde éloigné du nôtre, se trouve forcément une solution !

• Tu n’as pas besoin de me tuer, répliqué-je en relevant la tête. Cela ne sert à rien. Quoi qu’il arrive, je resterais debout, comme le plus redoutable des cafards ! Je n’échapperai pas non plus à ma mission, j’exterminerai chaque malédiction. Je voyagerais accompagnée du Désastre, et nous sauverons l’Univers !

Je jette un regard furtif à mon partenaire, une expression soulagée habite son unique œil. Je souris maigrement, posant ma main sur son dos.

• Gangrène, merci de t’être inquiété pour moi au point de me cacher la vérité. Désormais, tu n’auras plus besoin de le faire. Car je te jure qu’à partir de maintenant, nous affronterons n’importe quelle réalité. Ensemble, nous sommes invincibles.

Une petite larme borde son iris sombre. Sa crise de toux s’est calmé, bien que le Désastre ne soit plus capable de parler avant un moment. Je le comprends, cette expérience a dû être difficile. J’attendrais le temps qu’il faut, puis j’entendrais sa réponse par ses lèvres, il me parlera comme il l’a toujours fait.

• Comme c’est mignon, reprend Taxus d’un ton moqueur. Je m’en veux tellement de devoir briser de si belles paroles.

Je tourne la tête vers l’Évolution, le visage arborant un air interrogateur. La Source nous observe avec un sourire machiavélique.

— Gangrène, marche et mets-toi derrière moi. Tout de suite.

L’ordre de Taxus résonne dans l’espace environnant. À l’écoute de ces mots, mon partenaire se lève brutalement avant de se positionner en aval de la Source.

— Gangrène ? demandé-je abasourdie. Qu’est-ce que tu fais ? Reviens à mes côtés.

J’ai tout à fait conscience que le geste du Désastre n’était pas de sa volonté. J’ignore ce que tente l’Évolution, mais je ne la laisserais pas agir ! J’avance d’un pas décidé en direction de mon partenaire, ma marche s’arrête aussitôt.

— Voyageuse Hedera helix, ne bouge pas.

Le pouvoir des mots arrache tout contrôle à mon corps, une sueur froide s’écoule le long de mon front.

 La Source se met soudainement à siffler, d’un son aussi apaisant que lorsqu’elle avait fait apparaître les escaliers dans sa demeure. Cette douce sonorité amène la création d’une légère distorsion derrière mon partenaire. Une faille s’ouvre, dévoilant l’entrée vers un paysage montagnard, de la même façon que le ferait mon navigateur. La panique prend possession de mes muscles, je me débats contre l’ordre dicté par l’Évolution. Je sais ce que cette garce compte faire, elle ne doit en aucun cas reparler !

— Arrête ! Ne fais pas ça ! hurlé-je.

Je pose un regard désespéré au Désastre, celui-ci me répond par une panique tout aussi certaine que la mienne.

— Gangrène ! Libère toi ! 

— Inutile, me répond Taxus. C’est la fin, abandonne.

Le Désastre force sur ses muscles tentant lui aussi de se déjouer du pouvoir des mots. Je vois ses doigts remuer, il y a une chance qu’il se libère des ordres.

— Gangrène…

— Non ! crié-je en essayant de camoufler l’ordre. Arrête !

Le Désastre se débat, libérant légèrement sa main gauche.

— …Saute dans le portail.

Les paroles de l’Évolution résonnent entre mer et ciel, assourdissant tout le reste. Les jambes du Désastre s’animent puis se jettent naturellement dans la brèche. Je regarde mon partenaire disparaître, sans protestation, comme si rien ne comptait pour lui. Le désespoir m’engloutit, je reste figée sans pouvoir hurler. Parti, mon partenaire est parti. Je suis seule, sans Gangrène et son charmant sourire à mes côtés. Pourquoi ? Comment n’ai-je pas pu anticiper ces événements ?!

 La rage que je contenais en moi explose, je me mets à grogner contre cette Source qui me regarde d’un air méprisant.

— Rends-le-moi ! hurlé-je à m’en détruire les cordes vocales. Rends-moi mon partenaire !

Je termine ma supplication dans un sanglot. Mon corps se libère de l’ordre, s’abaissant sur le sol de pierre. J’avais réussi à supporter le choc des malédictions uniquement parce que Gangrène était avec moi. Maintenant que je suis seule, je ne peux plus tenir.

• Ce doit être douloureux évidemment, déclare Taxus. Néanmoins c’était le seul moyen qu’il me restait.

— Nous séparer ? C’était ça le seul moyen ? Nous isoler ?!

— Rassure-toi, je ne compte pas le laisser seul, je vais accompagner ton partenaire.

Et elle croit que ça me fait plaisir ?! Que je lui sorte un : merci d’éloigner le Désastre et me laisser seule. Elle compte me rendre encore plus inutile ou quoi ?!

— Pour maintenir la bonne santé du Désastre, reprend la Source, je me devais de vous séparer.

— Des conneries, grogné-je. Rends-moi mon partenaire !

Taxus soupire sans retenue avant de reprendre la parole :

— Plutôt que de laisser traîner cet horrible moment, passons à la vitesse supérieure.

Ma rage ignore ses paroles, mes muscles se crispent, prêt à expulser ma colère par la violence. Peu importe si son contact me transforme, elle mérite de recevoir quelques coups ! L’instant suivant, mon corps bondit, le poing prêt à s’abattre sur ma cible. Et pourtant, je me retrouve une nouvelle fois immobilisé, prête à recevoir un nouvel ordre.

— Voyageuse Hedera helix, donne-moi ton navigateur.

La panique refait surface, surmontant la colère qui m’anime. Ma main bouge d’elle-même, sans que je puisse la contrôler. Je force sur mes muscles, rien ne se passe ! Je décroche l’objet de ma hanche, je grogne de contestation. Ma main tend la boîte métallique, Taxus la saisit sans hésitation.

 La Source pointe son index dans ma direction puis l’abaisse vers le sol. Mon corps suit cette même gestuelle, me retrouvant à genoux face à l’Évolution.

— Il est grand temps pour moi de te libérer de cette tâche qui t’encombre.

La peur et le désespoir rejoignent mon flot d’émotions instables. Que compte-t-elle faire de mon guide ?

— Voyageuse Hedera helix, à partir de cet instant…

Taxus referme sa main sur mon navigateur, force, puis détruit avec aisance l’objet métallique. Sa paume ouverte laisse échapper les restes de mon guide, pulvérisé en un tas de débris inutiles.

 Des larmes s’écoulent de mes yeux, je ne peux plus détourner le regard de cette vision illustrant ma propre fierté.

— … Vous êtes virée, merci pour vos bons et loyaux services.

— Non, gémissé-je, tentant vainement de récolter les morceaux de mon navigateur.

Que vais-je faire ? Sans cet objet, je ne pourrais pas retrouver mon partenaire !

• Le sort qui t’attend est de rester ici éternellement. Le mal de temps n’affecte pas seulement tes repères temporels, il t’empêche également de vieillir, de te reproduire.

Je gémis de plus belle, chacune des phrases dictées par l’Évolution est un poignard que l’on m’enfonce.

• Désormais, tu n’es plus voyageuse. Tu n’as plus de missions, plus de partenaire. J’ai supprimé toutes les chaînes qui te retenaient. Estime toi heureuse d’être à nouveau humaine Hedera… Non, Hélène Gretel.

Une fois ses derniers mots dictés, Taxus se dirige vers le portail. Sans même me regarder, ses lèvres laissent échapper un petit mot d’excuse à peine audible. Son corps fond dans le paysage montagnard, puis la faille s’évanouit. Je me retrouve seule avec les débris de mon navigateur.

 Hélène Gretel, cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu mon véritable nom. Ces deux seuls mots prouvent ma nature humaine. Tout comme l’a dit Taxus, je n’ai plus rien. Aucune chaîne, aucun secours, aucun partenaire, aucune mission, aucun espoir. Je frappe contre le sol de pierre en pleurant, hurlant de plus belle. Je recommence, encore et encore, comme si mes larmes provenaient d’un puit sans fond. Je crie le nom de mon partenaire, je pleure le nom de l’homme que j’aime. J’ai beau les appeler, supplier l’Univers, ces deux-là ne viennent pas me sauver.

 Tout à l’heure, je m’estimais heureuse d’être en vie, j’y croyais dur comme fer ! Quelle erreur, c’est justement cette survie qui a causé ma perte ! Pourquoi l’Avarice m’a-t-elle protégée ? Taxus est tout aussi responsable ! Elle aurait pu me tuer dans un autre monde, pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?! Pourquoi me laisse-t-elle souffrir, loin de tous ? Je suis seule désormais, sans personne à qui me confier, cette survie est une prison ! Le mal de temps m’empêche de vieillir, de fonder une famille. Cette information me détruit de l’intérieur, finissant le travail qu’avait effectué la réalité de mon ancienne mission.

Finie, je suis finie, je n’ai plus rien…

Ce n’est pas vrai.

C’est étrange, je ne suis pas dans une autre dimension et j’entends cette voix. Visiblement, je commence à perdre la tête.

Je peux te faire voyager, retrouvons-le.

Ce n’est pas possible, plus rien ne peut être fait. Je suis piégée à jamais dans ce monde.

Veux-tu rester seule ?

Non, bien sûr que non ! Qui voudrait une telle chose ?

Alors je peux t’aider. Voyageons, utilise-moi.

Comment puis-je réaliser une telle prouesse ? Je n’ai plus de navigateur !

La méthode initiale.

Mes yeux s’écarquillent face à cette révélation. Je l’avais oublié, la méthode interdite, le moyen de voyager sans navigateur. Mon professeur me l’avait apprise, mais il m’avait également mise en garde. Cette procédure est dangereuse et peut mettre en péril la vie du voyageur. Qui plus est, je ne pourrais pas choisir ma destination. Le monde où j’atterrirai sera purement aléatoire. Les risques pour que je me retrouve perdue à jamais sont énormes.

Veux-tu rester seule ?

C’est vrai, je ne gagnerais rien à rester plantée là. Je dois sauver mon partenaire, Gangrène m’attend ! J’en suis sûre ! Je ne peux pas le laisser seul avec cette garce ! Je vais les retrouver, affronter de nouveau cette Source et gagner ce duel ! Taxus ne m’a pas achevée, elle va le regretter ! Je suis prête à mettre ma vie en jeu, je suis prête à tout pour retrouver ce que j’ai perdu.

Je jure de reprendre mon partenaire des griffes du monstre qui me l’a enlevé !