Le peuple de la mer
L’île trembla d’une seule voix lorsqu’une vague fracassante s’abattit sur sa côte. Outre les algues et résidus marins habituels, la mer déversa une forme humaine qui s’échoua, inerte, sur le sable blanc. Cette dernière respirait faiblement, les yeux clos, le teint pâle et le corps ruisselant de l’eau dans laquelle elle baignait quelques minutes plus tôt.
Une nouvelle déferlante déplaça la figure cadavérique qui, dans un effort prodigieux, remua la tête afin d’éviter le torrent qui fondait sur elle.
Alors qu’elle reprenait doucement vie, un jeune homme qui pêchait son souper du soir l’observait de ses yeux bleus. La silhouette, aussi mortifiée soit-elle, lui semblait être une déesse. Ses longs cheveux noirs brillaient au soleil et son uniforme moulant dessinait admirablement ses courbes. Jamais il n’avait vu une femme aussi belle.
Il abandonna son activité et s’avança près de sa remarquable découverte. Avec une tendresse à peine contenue, il la plaqua contre son torse et s’aventura dans les profondeurs de l’île, prêt à tuer quiconque s’approcherait de son trophée.
Le soleil déclinait dans le ciel quand la jeune fille se réveilla enfin. Couchée sur une paillasse en herbe de dernière qualité, elle ne voyait rien de ce qui l’entourait. Une odeur fétide montait dans ses narines et un goût métallique emplissait sa bouche.
- O’tawo na ? s’enquit une voix derrière elle.
Elle sursauta, inconsciente de l’endroit dans lequel elle se trouvait. Son esprit embrumé ne lui permettait de plonger dans ses souvenirs que pour des cours instants. Des flash-backs lui parvenaient de son subconscient : de l’eau, une tempête et un tumulte général qui s’élevait dans l’obscurité. C’est alors que l’horreur de la situation la frappa de plein fouet. Le bateau avait coulé dans l’océan déchainé, entrainant le corps de ses parents avec lui.
- O’mana shi ?
L’homme qui avait prononcé ces mots s’agenouilla face à elle et la dévisagea avec inquiétude. La jeune fille ne savait que répondre. L’inconnu parlait-il seulement sa langue ?
- Où suis-je ? se renseigna-t-elle d’une voix tremblante.
- Ile de nous. Toi être morte sur la plage.
Elle accueilli douloureusement la nouvelle. Une larme coula le long de sa joue et vint s’écraser sur la main de son sauveur qui lui caressait délicatement le visage. En dépit de la peur qu’il lui inspirait, elle ressentait un sentiment de plénitude à ses côtés. Peut-être était-ce dû à ses yeux bleus étincelants qui lui rappelait tant ceux de son père.
- Quel est nom de Déesse ? demanda le jeune homme, articulant chaque mot avec soin.
- Je m’appelle Marie.
- Moi Ahoté. Fils de chef Tribu.
Ainsi, pendant les jours qui suivirent, Marie en apprit bien plus sur ce peuple sibyllin que bien d’historiens diplômés. Ses appréhensions s’étaient complètement envolées. La perte de ses parents lui paraissait si lointaine, presque irréelle, qu’elle ne ressentait plus qu’une pointe de nostalgie à leur évocation. Ce lieu semblait bercer dans une aura de magie qui l’empêchait d’abandonner ses habitants pour retrouver sa vie.
Cependant, la routine dans laquelle la réfugiée se complaisait depuis son arrivée prit brutalement fin. L’été s’achevait sur l’île abandonnée, emportant avec lui les derniers rayons de soleil. La sécheresse s’était abattue sur cette civilisation dépendante de la pluie. Non seulement les jarres entreposées à l’orée de la forêt demeuraient vides, mais les réserves d’eaux maigrissait elles aussi dangereusement.
C’est pourquoi, quand les premières gouttes frôlèrent le sol desséché du campement, les femmes se hâtèrent d’aller en récolter. Marie se joignit à la partie, heureuse de pouvoir finalement se rendre utile.
Le voyage fût long et éprouvant, le chemin dangereux et les pentes glissantes. A de nombreuses reprises, il s’en fallut de peu qu’elle ne se brise la cheville. Elle ne put s’empêcher d’admirer ces femmes fortes et courageuses qui n’hésitaient pas à risquer leur vie pour se procurer de quoi nourrir leur famille.
Ils arrivèrent finalement à un promontoire d’où l’on pouvait admirer l’étendue de la côte. Une rivière aux flots déchainés s’écoulaient entre des arbres gigantesques. A quelques pas seulement de cette dernière s’érigeait une grotte, sombre et délabrée.
- Marie, appela la doyenne du groupe dans sa langue natale, va chercher les pots vides et apporte-les ici.
La jeune fille s’exécuta rapidement. Aussitôt s’engouffrait-elle dans l’antre qu’une obscurité menaçante la foudroya. Une chape de plomb semblait recouvrir les lieux. Elle s’aventura à tâtons vers le centre de la grotte, longeant le mur pour ne pas trébucher. Les yeux plissés, elle tentait d’apercevoir les récipients qu’elle était venue chercher.
Or, ce fut tout autre chose qui attira son attention. Un faible rayon lumineux s’infiltrait à travers la paroi rocheuse et éclairait un caillou de la taille de son poing. Ce dernier était parfaitement poli et de minces arabesques couraient à sa surface.
Marie s’en saisit précautionneusement, le déposa dans le creux de sa main et l’observa de plus près. Sa légèreté l’impressionnait, de même que sa forme : d’un ovale parfait, la pierre semblait avoir été taillée par la main d’un homme.
- Tout se passe bien, Marie ? s’inquiéta son aînée, tout en s’engageant dans la tanière.
- Oui, ne t’en fais pas. C’est juste que… je ne trouve pas les jarres.
Lorsque la vieille femme franchit les quelques pas qui les séparaient encore, Marie se hâta de déposer la gemme dans sa besace en cuir. Bien que des centaines d’éclats de roches tapissaient le plancher de la région, sa raison l’incitait à ne pas divulguer sa trouvaille. « On ne sait jamais ce que je pourrais en tirer », spécula-t-elle intérieurement, déjà convaincu d’attirer la convoitise des petits marchands du village.
- Dépêche-toi, le soleil se couche déjà ! Nous ne pouvons pas traîner plus longtemps, les enfants ont besoin de liquides pour étancher leur soif.
Plongée dans un monde de gloire et de richesse, la jeune fille effectua le trajet du retour dans un profond mutisme.
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