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Elle s’est tournée vers la table du brunch, toujours ce truc qui la chiffonne, rien de criant mais…Il parle avant elle :
- Capitaine ! C’est bizarre, vous ne trouvez pas, ce brunch grand luxe continental et ce petit plateau avec ces olives noires, ces galettes et ce petit ramequin d’huile – il trempe son doigt dedans- d’olive.
- Bien vu, Louis ! Cela faisait un moment que je cherchais ce qui détonnait. Oui ! Je vous ai appelé Louis, on va en finir avec les « capitaines » à tout va. On a le même grade, non ?!
- Donc, je peux vous appeler Lisa ?
- Oui, évidemment ! Mais pitié, arrêtez la blague que vous propagez dans tout le service avec nos initiales identiques, comme quoi, c’est le destin et blablabla… D’accord ?
Juste à cet instant, toute l’équipe de techniciens sort, talonnée par Thomas : « C’est à vous, capitaine ! Le légiste vous attend au salon, les quatre corps sont tous dans cette pièce. »
- Merci les gars, dit Persaud. Et il s’élance de son pas souple vers la maison noircie et en partie détruite vers l’arrière par le feu.
Elle le rejoint en trois enjambées : « Vous savez aller vite, finalement ! Au fait, c’est d’accord, hein ?! Dit elle en lui tendant gants et chaussons et en enfilant les siens, terminée la petite blague des deux LP, hein ?! » Il sourit et ne répond pas.
Ils font irruption en même temps dans le salon après avoir cherché derrière deux ou trois portes. Le légiste est là, accroupi près de quatre formes sous sac mortuaires : « Bonjour les deux LP ! Bonjour capitaine Péron ! »
Elle lève les yeux au ciel, Persaud, lui se marre carrément. Il adore quand elle lève les yeux au ciel, elle le fait souvent et c’est à peu près le seul marqueur visible de ce qu’elle pense.
- Bon, qu’est ce qu’on a Doc ?
- Pas joli, joli ! trois adultes, un adolescent, très jeune d’après la taille. Un homme, deux femmes, l’une très jeune, l’autre, âge à déterminer. L’adolescent, approximativement dix à douze ans.
Elle a le cœur qui se serre à la pensée de cette mort affreuse, surtout pour l’enfant. Elle demande :
- Modus Operandi ?
- Combustion très violente, rapide, mort instantanée ou quasi. Je dirai lance flammes, les techniciens vous en diront plus. L’homme et la femme plus âgée ont reçu chacun pré mortem une balle dans l’abdomen et une dans le genou ; de quoi les neutraliser puis leur infliger la crémation de leur vivant. La femme plus jeune et l’adolescent, une balle chacun dans la nuque, morts sur le coup et brûlés ensuite, un acte de charité peut-être ? Ne pas les faire souffrir ? Selon les techniciens, tout s’est passé à l’arrière de la maison et après les corps ont été amenés dans ce salon.
Louis est perturbé par tant de cruauté :
- C’est pourquoi, l’arrière de la maison est quasiment entièrement brûlé, c’est là qu’ils ont massacré ces malheureux et ils ont brûlé tous les endroits où ils ont pu poser leurs sales pattes d’assassin.
Elle lui pose légèrement la main sur le bras, sa voix toujours impersonnelle :
- Louis, on y va ! On va repasser toute la baraque au peigne fin, appelez Thomas qu’il rapplique. Après on va analyser tout ça au bureau et ensuite nous irons au labo et à l’institut médico-légal quand le doc aura fini son travail. Elle le regarde, visage sans expression, lui la regarde, tendu, espérant un peu de chaleur. Le légiste les regarde, soupirant discrètement et retourne à ses sacs en attendant ses assistants pour emporter les corps à l’institut.
Elle appelle le commissaire, lui fait un résumé de la situation.
- On reste encore un bon moment sur place, on va éplucher la baraque avec Persaud et Blain. Au fait, toujours pas de traces du proc’, c’est l’homme invisible ! Qu’est ce qu’on fait si on a fini avant que monsieur daigne se montrer ? On met les scellés et les bouts et on le laisse se débrouiller ? On l’attend et on lui sert son petit déjeuner ?
- Ca va, ça va, capitaine Péron ! La rabroue gentiment son chef, on a compris que le procureur Altus n’est pas du tout votre genre.
Elle devine son rire silencieux à l’autre bout du téléphone et elle sourit en tournant le dos à ses deux collègues. Son chef l’aime bien, elle le sait, et elle l’aime bien aussi. A part elle, elle le surnomme « papi panda ». Il aime par-dessus tout rester à son bureau, grignoter des plateaux de légumes crus à cause de son cholestérol et attendre les résumés, comptes rendus, topos, rumeurs, racontars, ragots, bref ! Tout ce qui permet d’animer son travail et ses journées sans bouger de ses pénates. Il a été un grand, très grand flic mais les malheurs et les horreurs, ça use les grands cœurs et le sien l’a lâché il y a cinq ans sans crier gare à même pas cinquante ans. La mort de près ! La mort bête, sur un lit d’hôpital avec des tuyaux partout et le défilé de la famille, des amis, des collègues qui ne savent pas quoi dire ou qui pleurnichent ou qui disent n’importe quoi, les pires banalités. En résumé, une mort triste et ennuyeuse qui, finalement, n’a pas voulu de lui et lui a permis une promotion et d’être peinard.
Elle raccroche et se tourne vers la maison avec un geste envers les deux autres pour les entraîner à sa suite. Bruit de moteur, puissant. La voiture dans la côte arrive à belle vitesse, une berline BMW dernier modèle, rutilante, même l’odeur d’échappement parle luxe et pognon.
- Hé bien, le voilà ! S’exclame t-elle. Quand on parle du chacal, on voit sa queue ! Le procureur Altus lui même qui nous honore en nous donnant un peu de son précieux temps. Bon, messieurs ! On lui fait faire le tour du propriétaire vite fait en débitant le topo tout aussi vite fait, trois formules de politesse, et hop ! On le remet dans son carrosse et on se met au boulot en vitesse. Compris ?! On ne va pas y passer la journée, il y a encore du travail. N’oubliez pas de mettre gants et chaussons. On lui en donne une paire de chaque aussi.
Les deux autres se marrent, elle s’avance vers la figure de mode qui sort de la voiture, main tendue, visage impassible, lui tout sourire voulant visiblement faire bonne impression.
- Bonjour capitaine Péron ! Comment allez-vous ?!
Il ne s’excuse pas du retard, elle a envie de lui répondre qu’elle va aussi bien qu’on peut aller quand on a vu quatre cadavres calcinés dont un enfant. Et qu’en plus, ça ne le regarde pas, surtout lui, comment elle va. Elle ne répond pas et attaque directement le topo en lui tendant gants et chaussons en se dirigeant vers la maison suivi de ses équipiers. Elle l’amène directement au salon où heureusement les assistants du légiste ont embarqué les corps et le doc dans le fourgon de la morgue et où ne subsistent que les traces des corps brûlés, puis fonce vers l’arrière le trainant dans son sillage, opère un demi tour et revient dans le grand hall pour se diriger vers la sortie, les deux autres fermant étroitement la marche pour ne laisser aucune chance à leur visiteur de faire des digressions, s’attarder ou faire demi tour. Persaud en profite pour faire, mine de rien, quelques clichés du proc’ avec son bonnet et ses chaussons bleus.
Elle lui prend la main d’autorité, lui serre fermement la paluche.
- Voilà, monsieur le Procureur, vous savez tout, on revient vers vous dès qu’on a constitué le dossier. Bon retour et excellente journée.
Elle le plante là et rentre dans la maison précédée de ses sbires, referme la porte avec un tour de clé et se dirige rapidement vers le salon. Persaud a le temps de voir la tête ahurie du proc’, toujours ganté et botté de plastique bleu, son sourire de tombeur encore accroché à sa mâchoire comme frappé de paralysie. Il ne s’est pas écoulé dix minutes entre son arrivée et son départ. Arrivé devant sa cheffe et l’OP, il éclate de rire, déclenchant le rire trop longtemps retenu du jeune. Elle les regarde, visage impassible et lève les yeux au ciel. Il est aux anges.
- Beau gosse, ce proc’ ! Hein, Thomas ?! La classe, l’élégance…
- Ca oui ! fait Thomas les yeux un brin rêveurs.
- Ce n’est pas fini, vous deux ! Les reprend Lisa, cinglante. Vous irez lui faire votre déclaration et lui rouler une pelle au bureau et maintenant au boulot. Je veux qu’on examine chaque centimètre carré, qu’on ouvre tous les placards, les tiroirs, les boîtes et contenants. On regarde derrière les meubles, les livres… C’est compris ?
- Compris chef ! clament les deux autres en chœur encore rigolards.
Elle lève encore les yeux au ciel, Persaud repart vers les anges.
- Allez ! Les houspille t-elle. Au travail ! Assez perdu de temps et prenez des photos de tout ce qui vous semble anachronique ou digne d’intérêt.
"Cette fille va me rendre dingue", pense t-il à part lui, et ça me plaît.
Ils avancent tous les trois dans la maison lentement, à petits pas, comme des démineurs, examinant chaque centimètre carré de sol, le dessous des meubles, des coussins. Ils ouvrent tous les tiroirs, tous les placards : vides !
- Ya un problème ! Lance Persaud de la pièce où il se trouve. Tous les tiroirs et meubles sont entièrement vides, ou plutôt, entièrement vidés.
- Moi aussi ! Renvoie Thomas en écho
- Et moi aussi ! renchérit Lisa. On prend des photos des meubles, des tiroirs dedans et dehors et il faudra demander aux techniciens s’ils ont fait des prélèvements sur tous les meubles et surtout à l’intérieur ; dans le cas contraire, les faire revenir dare-dare.
- Le seul meuble encore habité de toutes les pièces que j’ai visitées, c’est la bibliothèque. Elle est encore chargée à bloc de tous ses ouvrages, relève Persaud.
Elle carbure à toute vitesse. Les assassins ont ramassé à la va vite tout ce qui pouvait rapidement se jeter dans des sacs… voulaient sans doute faire disparaître toutes traces éventuelles et pas le temps de chercher et faire le tri. Pour les livres, impossible! Trop lourds et il y en a trop, la bibliothèque grimpe jusqu’aux quatre mètres cinquante du plafond.
- Bon, messieurs, on s’attaque à la bibliothèque ! Thomas, vous grimpez sur l’échelle coulissante et vous nous passez les bouquins. On les ouvre et on récupère tout ce qui peut tomber de là dedans et on ensache séparément papiers et photos. Allez, c’est parti ; et il faudra penser aussi à mettre les techniciens sur cette zone si ce n’est pas déjà fait.
- OK ! Répondent en chœur les deux autres, Thomas est déjà quasiment en haut de l’échelle.
Finalement, elle est satisfaite, ce n’est pas une si mauvaise équipe ; si on pouvait lui affecter encore un ou deux collègues, ce ne serait pas du luxe. Cela fait la cinquième demande qu’elle dépose en ce sens à son chef, on peut rêver !
Ils s’activent vite tous les trois, Louis se charge de faire coulisser l’échelle avec Thomas accroché à ses barreaux, pas trop rassuré durant ces transferts à la verticale. La récolte est bonne, déjà 4 sachets de paperasses et deux sachets de photographies. Ils ne s’attardent pas à examiner leurs contenus, ils verront ça tranquillement au bureau et au labo. Les livres s’entassent sur le sol à leurs pieds, la moitié du meuble est déjà vidé. Grâce à sa grande taille, Louis peut maintenant accéder aux étagères et aider Thomas. Elle n’en peut plus, il est midi passé, elle est debout depuis six heures ce matin et partie à jeun pour la visite médicale, elle n’a pas déjeuné. Elle se sent pâlir et se pose sur le sol froid pour se reposer un instant. Elle ne se sent pas très bien et aimerait bien s’allonger un court instant mais elle sent le sol humide et frissonne. Bizarre qu’il n’y ait pas un seul tapis dans une maison de ce standing. Au moment où elle va livrer cette réflexion à ses équipiers, Louis se retourne et la voit au sol, pâle, le visage tiré. Il se précipite :
- Lisa ! Capitaine ! Ca va ?! Vous êtes blanche comme la mort, vous faîtes un malaise ! J’appelle le 15 !
Il la relève, la prend dans ses bras et va la poser sur l’énorme banquette Chesterfield de la bibliothèque ; le cuir est glacé, elle frissonne encore.
- Thomas ! Descend de là et va chercher des coussins dans le grand salon et un plaid si tu trouves ! Vite, elle se trouve mal !
- N’appelez pas le 15, ça va aller, c’est juste que je suis à jeun depuis hier midi et j’étais à la visite médicale ce matin tôt, prise de sang etc…Pas eu le temps de manger, je suis venue direct...
Il la regarde pendant qu’elle débite son petit laïus avec son air impassible, plonge dans un gouffre de culpabilité. Merde ! Pendant qu’il s’envoyait en l’air et trainait, elle, elle bossait quasiment sans discontinuer depuis vingt quatre heures au point d’oublier de se nourrir. Il se sentait vraiment nul, un sale con.
- Bon, écoutez, chef, dit-il d’autorité, il est presque treize heures et il nous faudra encore une bonne heure voir plus pour finir, alors on va faire pause. On va envoyer le bleu nous prendre une solide collation et on va se requinquer, d’accord ?!
Elle opine du chef, elle a besoin de reprendre des forces ; entre temps, Blain est revenu avec tous les coussins qu’il a pu trouver et tous les deux la calent et la couvrent avec. Visiblement, cela leur fait plaisir de la bichonner, elle se laisse faire et esquisse un sourire :
- Ca se dit encore « requinquer » ?!
Il lui sourit franchement, les yeux dans les yeux : « A Paris, je ne sais pas mais en Guyane, ça circule encore. »
- Prêt pour la commande, chef ! Je ne suis pas fâché de manger un bout aussi, les interrompt Blain.
- Ce que vous voulez mais du rapide, d’accord et mettez un coca pas light dans ma commande, ça va me « requinquer ». Dit-elle avec une autre esquisse de sourire en direction de Persaud.
- Moi pareil ! envoie Louis sans se retourner vers le bleu. Il est connecté à son regard, ne la lâche pas des yeux. Il sourit, se déconnecte et se pose lui aussi dans le Chesterfield. N’oublie pas de prendre la note, Thomas, qu’on te rembourse.
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