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Ils font un rapide tour dans la grande maison qui est aussi lisse que celle de Paris et certainement celle de Bruges. Une fois au sous sol, on imagine aisément la scène de crime, il reste la trace des attaches des deux corps sur les chaises et l’odeur de chair mordue par la brûlure acide persiste encore. Elle demande à Farouk et Hamid de leur décrire exactement la scène qu’ils ont eue sous les yeux en découvrant la grande pièce enterrée. Ce qu’ils font en n’omettant aucun détail.
- Donc, les gardiens les connaissent, les occupants aussi forcément. Ils arrivent avec un ou deux sacs contenant l’acide et un mini lance flammes. Ils neutralisent le couple, vraisemblablement la sœur de Bachellerie et un homme – son frère ? Un ami ? On n’a pas encore réussi à mettre la main sur le frère qui d’après ce que l’on sait en France, est en froid avec sa famille depuis longtemps. Ils descendent au sous sol, les attachent, leur brûle le visage et les mains à l’acide puis les arrose de flammes sans mettre vraiment le feu. Certainement pour les traces ADN. Ils remontent, mitraillent et abattent les gardiens dans leurs maisons et repartent vers le bûcher sur la route pour y mettre le feu. On ne sait pas par quel moyen ils sont venus mais on peut parier sur la voiture, un 4X4 de location peut-être ; la piste est trop rude pour des motos.
- Ca se tient parfaitement, capitaine, admire Hamid, je vais envoyer un message à Taroudannt et Agadir pour que les agents de la sureté fassent le tour des loueurs de 4X4, avec un peu de chance, on tombera dessus.
- Reste le motard, dit Farouk, fait-il partie de l’équation ? Où est-ce une coïncidence ? Mais à Paris, vous avez trois motards qui semblent être impliqués, y a-t-il un lien avec le notre ici ? Mais où est passée la lieutenante ?
- Elle est remontée vomir, cela fait cinq bonnes minutes, vous avez réussi votre coup, capitaine Péron, rigola Louis, je pense qu’elle ne souhaitera plus aussi ardemment se joindre à nous.
Lisa garde un visage impassible mais elle est satisfaite et d’avoir fait le point sur la scène de crime et d’avoir réussi à dégager leur chaperon. Ils saluent en passant les gendarmes et leur collègue à peu près remise et quittent les lieux après avoir décidé de repartir vers Taroudannt faire une halte déjeuner avant d’aller sur Agadir. Hamid a pris soin de téléphoner au superviseur pour que ses hommes s’occupent de trouver des membres des familles de ces pauvres gens pour leurs funérailles à venir. Sur la route, Farouk appelle leurs hôtes afin qu’ils leur préparent un déjeuner léger pour quatorze heures.
A la table du déjeuner, l’humeur est meilleure, les nuages semblent avoir quitté le regard du beau capitaine et son ami est aux petits soins pour lui.
- Où en êtes-vous de votre demande Interpol afin de venir vous aussi sur place à Paris ? S’enquiert Louis
- Ca avance, trop lentement mais ça avance ; j’ai fait une demande pour nous deux. Je vais demander qu’on intervienne pour activer un peu le rythme.
- Farouk est d’une grande famille à Casa, tôt ou tard, il obtient toujours ce qu’il veut, le taquina Hamid.
- Oui ! C’est pratique ! Dit le commandant dans un grand sourire
- Si cela peut vous plaire, je vous prêterai avec joie mon appartement, il est dans un beau quartier et la concierge est une femme adorable, elle se pliera en quatre pour vous rendre service si besoin. L’automne est plutôt gris à Paris mais il y a tant à voir.
- Ce sera avec joie, n’est-ce-pas Farouk ?! Il me tarde vraiment, merci chère Lisa !
- Allons faire une petite sieste avant d’aller à la rencontre de l’ogre, nous avons une bonne heure devant nous avant de pendre la route, propose Farouk.
- Ok, on fera le débriefe ce soir avant dîner.
Une fois dans leur chambre, les deux hommes s’étreignent, relâchant un peu la tension accumulée depuis le matin, ils s’allongent tout habillés, dans la fraîcheur des draps propres et se tiennent la main sans bouger.
- Fais ton maximum, Farouk, et qu’on parte vite même si ce n’est que pour quelques jours. J’ai besoin qu’on soit loin d’ici.
Il promet.
De leur côté les deux flics français, bien que préoccupés par ce qui pourrait arriver à leurs nouveaux amis, sont satisfaits. Lisa informe Louis des conclusions des trois légistes et de la scientifique. A propos des ADN, rien qu’ils ne connaissaient déjà mais en revanche l’ADN prélevé sur les morsures autour des chairs grillées en Belgique et des chairs crues retrouvées en France et au Maroc, cet ADN là appartient à un seul protagoniste, Bachellerie. Le mari serait donc le cannibale du groupe, les autres des prédateurs sexuels pédophiles et des tortionnaires sadiques.
Ils restent ainsi, allongés, sans plus rien dire, essayant de penser à autre chose. Lisa tente à nouveau de faire affleurer une pensée qui l’a traversée lors de leur première nuit au Maroc. C’était un truc personnel, elle était en train d’élaborer une petite surprise à leur retour, pour son anniversaire, une petite fête intime rien qu’eux deux. Voilà ! Ça y est, elle sait ! Ce qui l’a mis sur le qui vive, c’est que depuis le début de leur relation, elle n’a pas pensé à la contraception, Louis non plus ne s’est pas protégé, il faudra qu’ils en parlent dès leur retour à Paris.
A dix sept heures, ils sont confortablement assis à la terrasse de la brasserie au milieu d’une clientèle cossue et bavarde. Malgré le COVID, la terrasse est bondée. Chacun vient pour voir et se faire voir, toutes les brasseries à la mode se ressemblent à travers le monde, un miroir narcissique tendu aux autres et à soi-même. Lisa et Hamid ne résistent pas et dégustent une pâtisserie avec leur thé à la menthe tandis que les deux autres se shootent au café. Louis est détendu et fume une cigarette bientôt rejoint par Hamid alors que Farouk reste concentré et très attentif à leur environnement. A dix sept heures quarante cinq, un groupe imposant, parlant russe et français, s’insère sous un parasol non loin des policiers. Au milieu se détache un véritable colosse, la soixantaine musclée, blond, bronzé, le sourire rare et le regard affuté. C’est l’ogre !
Lisa a entamé une conversation futile et animée avec Hamid sur les mérites comparés des différentes pâtisseries offertes à la gourmandise de la clientèle pendant que Farouk et Louis discute de leur prochaine escapade touristique. Ils tachent de ressembler à un groupe d’amis touristes lambda. Le bonhomme regarde toute la terrasse, son regard glisse sur eux et il remet ses lunettes de soleil. Tout son groupe discute mais lui reste mutique.
Derrière la férocité et l’acuité de ses yeux, Lisa a entraperçu fugacement un voile. Quel lien véritable a cette force de la nature avec leurs affaires, s’il n’est pas le cannibale ? A-t-il participé à ces abjectes bacchanales ? A-t-il reçu ou donné de l’argent aux époux Bachellerie ? Elle espère que les autres carnets dans le coffre du banquier vont parler ! Et Mathilde, pourquoi rien ne sort du côté belge de l’affaire ? Il faudra qu’elle l’appelle dès son retour. Ils rentrent dans deux jours.
Farouk envoie des texto aux postes de police de la promenade du front de mer pour qu’ils surveillent discrètement et attentivement le russe quand il ira faire sa promenade, noter s’il parle à quelqu’un ou s’arrête quelque part. Ils ne peuvent y aller eux-mêmes, c’est sûr qu’il a du mémoriser toutes les têtes présentes, ils se feront repérer.
Mia a envoyé un mail avec un topo très complet. L’ogre de Riga, c’est Nicolas Volodine, père russe de Saint Petersburg et mère lettone de Riga. Elevé par sa mère en Lettonie jusqu’à l’âge de dix ans pour échapper aux griffes mafieuses du père, truand haut placé dans la mafia de la ville. Enlevé par son père à ce même âge et a depuis toujours vécu avec lui jusqu’à sa mort il y a quinze ans. Le vieux était une véritable terreur, il a fait de son fils un digne successeur. Nicolas Volodine s’est marié, brièvement, avec une comédienne, russe aussi, et a eu avec elle deux enfants, des jumeaux, un garçon et une fille. Le garçon est mort adolescent d’un mauvais coup de couteau dans une rixe entre bandes et la fille a disparu des radars. Son ex-femme a porté plainte contre lui pour enlèvement mais elle s’est vite rétractée quand son appartement et sa voiture ont brûlé pendant qu’elle était en répétition au théâtre de la ville. Côté vie privé, rien de bien notable, fréquente quelques fêtes, des prostituées, femmes le plus souvent même si on lui prête de réputation un appétit de prédateur en ce qui concerne le sexe mais aucune réalité ou preuves de ce côté-là. Il semble qu’il entretienne volontairement cette réputation. Mia espère fouiller encore et trouver des photos de sa fille et son fils ; elle a pu récupérer de vieilles photos de son ex-femme qu’elle va exploiter pour les rendre plus nettes et lisibles.
Farouk lui envoie un texto : « Nous devrions y aller, on apprendra rien de plus »
- Et si on y allait ?! Clame Lisa à la cantonade, on a de la route et demain une rando assez longue.
Message reçu, les quatre policiers se lèvent en faisant mine de converser et rejoignent leur voiture ; le commandant les informe du dispositif qu’il a demandé aux policiers de la plage, au cas où.
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