20-
Les autres sont tout ouïes.
- Sa femme était russe, fille d’un mafieux des plus puissants de Russie, il l’avait rencontré lors d’une mission en Russie et elle a tout quitté pour le suivre. Ils se sont mariés à Paris et de ce que j’ai pu trouver, elle n’a plus remis les pieds en Russie, ni dans aucun pays d’Europe centrale ou de l’est. Elle vivait très discrètement, presque recluse dans leur maison en Normandie, avec ses deux fils. Je creuse encore. Je vous tiens au courant.
- Capitaine ! Je viens d’avoir BB, l’interpelle Blain, il sera là pour le déjeuner et bien sûr pour le debriefe.
- Ok ! Si jamais il quitte le bureau dans l’après midi, vous lui collez un agent un peu malin derrière ; je veux savoir où il va. Prévenez notre agent qu’il colle au train d’un gars des renseignements donc il doit se montrer deux à trois fois plus malin pour le filer.
Elle expédie de la paperasse en retard, ouvre quelques dossiers en souffrance ; rien ne lui vient, trop obsédée par cette affaire. A onze heures quarante cinq, elle quitte le bureau en leur souhaitant à tous bon appétit. Louis la regarde, intrigué et lui sourit. Elle file à son appartement récupérer le peu de courrier qui arrive encore par la poste, avertit la concierge qu’elle reçoit dans quelques jours deux amis qui viennent du Maroc pour un temps indéterminé et lui demande d’avoir la gentillesse de faire un bon ménage, de changer draps et serviettes et de passer le tout au lave linge et au séchoir. Si elle en est d’accord, quand elle saura la date exacte de leur arrivée, elle lui laissera de quoi leur faire quelques courses, surtout pour les petits déjeuners. Elles se mettent d’accord et elle grimpe chez elle pour ranger tout ce qu’il y reste de trop personnel ou intime afin que ses amis se sentent un peu chez eux. Elle va passer à la boutique mini lab et faire développer une photo de tous les quatre lors de leur escapade à ce merveilleux lac ; elle la mettra sous cadre dans l’appartement pour leur rappeler cet heureux moment.
Après le mini lab, sa photo encadrée sous le bras, elle file chez l’épicier prendre une bouteille de champagne et remonte à son appartement, dépose la photo sur la tablette au salon et appelle la fleuriste pour lui commander un très gros bouquet de fleurs. Ce sera prêt dans trente minutes ; elle trouve un paquet de chips dans son placard, elle picore en regardant les infos, rien de bien réjouissant côté nouvelles, encore moins côté météo. Elle récupère son bouquet, file jusqu’à l’appartement de Louis ses fleurs et sa bouteille dans les bras. Au palier du sixième, elle se hérisse, la porte est entrouverte. Elle pose doucement la bouteille au sol, sort son flingue de son holster, arme le chien et s’avance dans l’appartement. Du bruit dans la cuisine, elle avance sans bruit, son arme pointée.
- Ne bougez plus, hurle t-elle et levez les mains bien hautes.
Elle est frappée de stupeur ; là, devant la cuisinière de Louis, une fille en short et brassière dos, pieds nus, se dandine, les écouteurs vissés aux oreilles. Elle lui tape sèchement l’épaule et recule la visant toujours lui fait signe de lever les mains. L’autre s’exécute après avoir enlevé ses écouteurs.
- Pas un mot et ne bougez plus ! ordonne t-elle la tenant toujours en joue.
Elle pose son bouquet sur la table et prend son téléphone, le numéro de Louis. Il répond et n’a le temps de rien dire.
- Je suis chez toi là, enfin chez nous ; tu peux me dire ce que fait une fille à moitié nue dans ta cuisine ? Elle est au bout de mon flingue. Réponds moi par texto et sois convaincant ! Voix très sèche et un peu troublée.
Il envoie un texto : « Je m’isole et je t’appelle ! Au fait que fais tu à la maison à cette heure ci ? Et range ton flingue ! »
Elle remet son arme dans le holster et regarde la fille, un air de famille.
- Restez où vous êtes ! Où plutôt, prenez ce bouquet et mettez le dans un vase, vous avez l’air de connaitre la maison.
La fille obéit en se marrant. Louis appelle :
- Tu es jalouse ? Ou furieuse ? Ou bien les deux ? Attaque-t-il en riant
- Arrête ! Jai eu un coup au cœur quand j’ai vu la porte ouverte, l’engueule t-elle un peu ; et quand j’ai vu cette fille si à l’aise chez toi, pense t-elle pour elle même.
- Tu es jalouse ! J’aime ça ! Mais calme toi, c’est Candice et tu as éventé mon secret d’ubiquité.
- Mmm??? !
- C’est ma cousine Candice, elle habite au cinquième, elle a un petit bébé qu’on entend parfois ; et ses parents, mon oncle et ma tante donc, que tu as déjà rencontrés devant l’ascenseur, habitent au quatrième. Son mari est pilote de ligne, souvent absent et pour s’occuper, elle me prépare à l’avance tous les délices que tu engloutis. Le miracle c’est elle !
- Ok, dès que je raccroche, je présente mes excuses.
- Et toi, ma jalouse, que fais tu à la maison à cette heure là à part mettre au jour mes secrets ?
- Je préparai une surprise pour ce soir, pour mon anniversaire ; et je ne suis pas jalouse.
- Si tu l’es, et je te l’ai dit, j’aime assez ça venant de toi. Alors, à tout à l’heure, faites connaissance ! et il raccroche en riant.
- Vous êtes Lisa, bien sûr, je vous ai reconnue tout de suite, Louis parle de vous sans cesse. Il est tellement follement amoureux. Je suis Candice, sa cousine, il a dû vous le dire.
- Enchantée, oui et je vous présente mes excuses, vraiment ! Et merci pour tous ces délicieux repas, j’ai cru à un miracle tellement Louis se démenait à la cuisine.
- Il aime réellement cuisiner et je ne faisais que les préparations pour lui faire gagner du temps. Il est tellement heureux de vous faire plaisir.
Elles discutent ainsi un moment, Lisa met la bouteille au frais et le bouquet est joliment arrange dans un vase. Elle doit filer, c’est bientôt l’heure et elle ne veut pas être en retard. Elle veut même arriver un peu en avance et coincer Balitran à part, elle a quelques trucs à éclaircir avec lui.
Au bureau, tout le monde est sur le pont et elle espère que le proc’ ne va pas leur faire le coup du retard. Le débriefe doit commencer dans vingt minutes, elle repère BB et lui fait signe de la suivre. Ils s’enferment dans le bureau des auditions, elle a toujours son arme dans son holster et sait que lui a remisé la sienne à clé dans son tiroir comme cela est exigé dans les locaux.
Elle monte au front direct :
- Pourquoi suiviez-vous le capitaine Persaud à moto quand nous sommes sortis du restaurant ?
Il a l’air sincèrement surpris.
- Je n’ai jamais suivi le capitaine à moto ! Pourquoi aurai-je fait cela ?
- Je ne sais pas, à vous de me le dire ! Vous êtes plein de mystères !
- Je vous retourne aussi le compliment, capitaine ! Et non, vraiment, je ne l’ai pas suivi, aucun motif, ni aucun ordre de votre part ou de la hierarchie pour cela.
- Le motif, par exemple, c’est peut-être de savoir où il habite, quelle est notre relation.
- Je sais déjà où il habite, et vous aussi d’ailleurs, tout l’équipe en fait ; rappelez vous que je suis flic aux renseignements, je sais beaucoup de choses sur beaucoup de monde, et ce que je ne sais pas, il m’est très facile de le découvrir. Vous voyez, je n’ai aucune raison particulière de le suivre.
- Un homme baraqué comme vous, sur une grosse cylindrée noire l’a suivi alors que nous sortions du restaurant, j’en suis sûre. Il a cru qu’il était repéré et il a filé.
- Ou alors, il a fait « coupe fil » par des rues adjacentes et vous a collé au train tous feux éteints un peu plus loin.
- Je n’ai rien remarqué, il a du filer.
Balitran ne répond rien, une chance sur deux que le gars en question, lui, sait maintenant où habitent les deux flics amants.
- C’est tout, chef ?!
- Oui, à peu près ! Vous avez beaucoup de secrets Balitran.
- Vous aussi, capitaine, vous aussi !
Ils rejoignent le groupe, tout est prêt, le Maroc et la Belgique sont en ligne, Papi panda sirote une infusion en attendant le coup de sifflet et le proc’ se fait attendre.
- Mia, dans cinq minutes, à seize heures exactement, s’il n’est pas là, vous appelez son secrétariat et on commence sans lui. On ne va pas y passer la nuit.
C’est le moment que choisis le procureur pour faire son entrée, un salut à l’envolée et il se cale dans le premier fauteuil à sa portée
- Nous n’allons pas repasser tous les éléments précédents que tout le monde connaît mais nous allons y caler les dernières infos et dégager le ou les mobiles, c’est ce qui nous fait défaut depuis le début. Capitaine Persaud, je vous laisse le soin d’exposer les dernières news.
- D’abord, ce qu’on a appris récemment par les légistes : Il n’y a qu’un cannibale et c’est Bachellerie, les autres protagonistes sont des prédateurs sexuels et des tortionnaires d’enfants. Une belle galerie de monstres mais pour l’instant, à part l’épouse et la sœur, on n’a pas réussi à identifier les autres. L’un deux a laissé découvrir par mégarde une gourmette mais la photo est floue, Mia travaille encore dessus pour tenter de voir s’il y a un monogramme, un prénom, une inscription quelconque. On sait aussi que la plupart des enfants venaient du Maghreb, grâce à nos amis marocains, on a réussi à avoir un début de liste d’une vingtaine d’enfants disparus sur les deux dernières années avant le COVID. On ne sait pas encore avec certitude comment ils réussissaient à les faire passer en France et en Belgique mais on suppose qu’ils les faisaient accompagner par leur mère ou un membre de leur famille ou quelqu’un se faisant passer pour tel avec de faux papiers. Cette ou ces personnes ont dûs être éliminés et enterrés profondément quelque part sauf celle qui se trouvait encore avec l’enfant dans la maison à Paris. Pour faire tout ça, il faut des exécuteurs des basses œuvres mais on y reviendra plus tard. Pour l’identification des autres participants, on compte aussi sur les carnets saisis à la banque blanchisserie des Bachellerie, on espère par recoupement trouver des liens. Grâce à des récépissés de dépôts et un petit ours mascotte en peluche, on a confirmé des liens très étroits des Bachellerie avec la Russie, notamment avec une clinique de chirurgie orthopédique de Moscou. On suppose que c’est l’un des chirurgiens de cette clinique qui se chargeait des tortures au couteau. L’argent envoyé par Bachellerie était au porteur donc non nominatif ; on a demandé à nos homologues russes si cela était possible de vérifier les voyages du personnel vers la France ou le Maghreb et de tracer l’argent. Nous n’avons pas beaucoup d’espoir de ce côté, les mafias locales là bas, noyautent tout le système. Il recevait aussi de l’argent de Russie et d’ailleurs qui transitait par les lessiveuses Belge et Luxembourgeoise ; mais rien ne sort encore de ce côté. Il y avait énormément d’argent en liquide aussi, chez eux mais aussi dans leur coffre, dans notre lessiveuse, bien française, celle là. Nous avons le carnet, c’était colossal. Au Maroc, nous avons pisté les mafieux russes habitués des lieux, une tête dépasse, l’ogre de Riga, un mafieux très puissant et très craint et très secret aussi. On planche dessus, ça va sortir.
Lisa observa Balitran qui avait un peu tiqué sur la dernière affirmation de Louis.
- Nos collègues marocains ont aussi réussi à isoler trois passeports qui pourraient appartenir aux exécuteurs. La capitaine va nous faire ce que nous supposons, avec nos collègues marocains, être le modus opérandi et la chronologie.
- On pense qu’ils ont commencé par la Belgique car la maison était inoccupée, du moins on n’y a pas trouvé traces de corps, ont effacé tout ce qu’ils ont pu mais n’ont pas du trouver le sous sol qui nous a livré de morbides mais précieux renseignements. Ils sont ensuite allés vers le Maroc, ont loué un 4X4, trois hommes blonds, grands et baraqués, avec un fort accent slave. Ils se sont rendus dans le douar où ils ont massacré tout le monde, cette fois, ils ont trouvé le sous sol et y ont exécuté la sœur Bachellerie, identifiée grâce à la comparaison ADN et un autre homme, mais on ignore qui, les visages et les empreintes toutes passées à l’acide. Ensuite, ils sont repartis vers la France, la PAF d’Agadir vient de signaler à nos collègues qu’ils ont pris un vol régulier, on a les photos de l’aéroport, on va voir si on peut les localiser ou si ils sont déjà repartis vers l’Est. A paris, ils se rendent chez les Bachellerie, seul couac, il y a un enfant et « sa mère ». Et là deux motivations s’emmêlent, exécuter des protagonistes devenus gênants ou gourmands et des témoins innocents mais indésirables et punir les époux Bachellerie de quelque méfait qui n’a rien à voir avec toute cette abomination, d’où les neutraliser par balle et les carboniser vivants alors que l’enfant et la femme ont été abattus du premier coup avant de subir les flammes, juste des témoins au mauvais endroit au mauvais moment. Ils ont effacés tout ce qu’ils pouvaient mais là aussi, ils n’ont pas trouvé le sous sol.
Elle jette un coup d’œil à l’assemblée, le proc’ aussi a l’air nerveux.
- Ces carnets, on peut les voir ? Ont-ils parlé déjà ?
- Non, répond Thomas, ils sont au labo, ils nous reviendront sûrement avec les conclusions d’ici deux ou trois jours.
- Et avez-vous une idée de qui est qui dans votre belle théorie ? Relance le proc’
- Pas encore, rétorque la capitaine, mais on creuse, on creuse, monsieur le procureur, ça prend forme.
Elle reçoit un texto d’hamid : Nous arrivons demain en fin de journée à Orly- débarquement à dix neuf heures quarante. Hâte !
Elle répond en souriant : Nous y serons tous les deux, hâte aussi !
- Bon, conclut-elle, je crois que nous avons fait le tour de tout ce que nous possédions, le dénouement est proche, je le sens. Aussi, il est presque dix huit trente et je propose que l’on rentre. Nous avons du travail devant nous ! Et, au fait, nos collègues marocains arrivent demain soir, nous nous chargeons, le capitaine Persaud et moi de leur logistique et d’aller les récupérer à Orly. Bonsoir Commandant Farouk, bonsoir capitaine Hamid, bonsoir commandant Peeters.
Tout le monde répond à la cantonade et Mia coupe toutes les transmissions. Tout le monde salue le commissaire et le procureur et se dépêche de partir avant une nouvelle salve de questions. Elle envoie un texto à Louis : « Je passe à mon appartement voir avec la concierge si tout sera OK pour demain soir pour nos amis, tu viens avec moi, tu me suis ou je te retrouve à la maison ». Il répond : « Je te suis ».
A l’appartement, tout est déjà nickel, ne manquent que les courses, Louis remarque la photo et l’embrasse.
- Tu es tellement attentionnée, je t’aime !
En partant, elle passe remercier la gardienne et lui annonce que ses invités seront là demain soir, aussi, si elle pouvait se charger des courses dans la journée, ce serait parfait. Elle sait qu’elle peut compter sur elle.
Annotations