Reliques
De retour chez elle, tard dans la nuit, Abby n’arrivait pas à dormir. Son réveil projetait l’heure au plafond :
03:17.
Cette journée l’avait épuisée et, pourtant, elle ne trouvait pas le sommeil. Elle n’était pas fébrile, ni stressée. Ni même anxieuse. Non, elle n’arrivait tout simplement pas à comprendre. La semaine avait été très riche en informations, mais elle ne parvenait pas à faire le lien.
D’un côté, deux cadavres retrouvés gelés dans la Moskova. L’un était nu, l’autre possédait des documents de Futura Genetics. D’un autre côté, Futura Genetics, justement, plus importante société de biotechnologie au monde, dirigé par Nathan Craig. Un personnage brillant, beau et charmant que rien n’était venu sérieusement entacher après quelques mois d’enquêtes. Il y avait aussi Mikhaïl Komarov, chef des recherches sur le génome humain, qu’Abby qualifierait d’étrange sans pour autant trop savoir pourquoi. Juste une vague impression. Peut-être simplement parce qu'elle lui plaisait.
Et puis il y avait les Sini Bojé. Un groupe religieux à l’idéologie créationniste plus que douteuse qui avait fait un don important à Futura Genetics, dans le cadre de ce qui apparaissait à Abby comme une simple, mais fumeuse opération de séduction. Même si elle devait bien avouer qu’elle ne connaissait que peu l’affaire.
Si ce n’est ses possibles dessous.
Drôle d’affaire, là encore. Les Sini Bojé auraient mis la main sur d’importantes reliques historiques – Hitler et le Christ ! – et auraient demandé à Futura Genetics d’en faire des analyses.
Quel genre d’analyse ?
Cela lui semblait insensé au plus haut point. Quelle que soit la valeur du don fait par les Sini Bojé, Abby voyait mal Futura Genetics se risquer à de tels actes. Le Saint Suaire était une relique sacrée et, comme les restes d’Hitler, le tout était extrêmement bien gardé et le seul fait d’être en possession de composants de ces reliques était forcément illégal.
Sans compter l’impact émotionnel sur l'opinion publique. Le Christ, adoré par au moins deux milliards de personnes sur la planète, et Hitler, sans doute la personne la plus haïe du XXe siècle ! Un mélange détonnant qu’aucune analyse scientifique, aucune justification sérieuse ne pourrait jamais désamorcer dans l’esprit des gens. Futura Genetics serait forcément fustigée de toutes parts.
La société n’avait sûrement aucune raison de tenter une opération aussi insensée.
Mais il y avait autre chose qui gênait Abby. Elle avait appris que, c’était officiel, les dirigeants russes possédaient les restes du Führer. Soit. Grand bien leur en fasse. Aussi stupéfiant que cela puisse lui paraître, c’était un fait avéré. Mais concernant les reliques christiques, elle bloquait. Bien qu’elle n’ait eu strictement aucune connaissance sur la Tunique d’Argenteuil et le Suaire d’Oviedo, elle connaissait bien le Saint Suaire de Turin et, surtout, elle n’ignorait pas qu’il s’agissait d’un faux. Si ses souvenirs étaient bons, à la fin des années 1980, une équipe de scientifiques avaient procédé à la datation au carbone 14 de la « sainte » relique. Et le résultat avait été sans appel. Elle ne se souvenait plus de la date précise, ou, plutôt, de l’intervalle de confiance lié à la technique du carbone 14, mais le suaire datait du XIIIe siècle. Absolument pas de l’an 30 et quelques de notre ère comme cela aurait dû être le cas s’il s’agissait bien du suaire du Christ. Et c’était depuis la position officielle de l’Eglise elle-même :
Le Saint Suaire était un faux.
Elle devait en avoir le cœur net. Elle devait retourner voir les Sini Bojé. Mais avant tout, elle devait aller à la morgue.
Cette affaire était trop étrange. Elle voulait voir les corps.
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