Mise au point

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Abby rassembla à la hâte ses affaires et se précipita dans le couloir. Sibirsk marchait d’un pas rapide et assuré, penché en avant. Visiblement pressé. Abby dut presque se mettre au pas de course pour pouvoir le suivre.

Ils montèrent un escalier, sans un mot, puis Sibirsk s’engouffra dans un bureau. Il s’assit derrière une grande table de verre et invita Abby à s’installer face à lui.

— Très bien, madame Lockart. Que voulez-vous savoir au juste ?

— Tout ! dit-elle, avec un grand sourire, décidant de ne pas spécifier que c’était « mademoiselle » et non pas « madame ». Qui êtes-vous ? Qui sont les Fils de Dieu ? continua-t-elle.

— Les Sini Bojé forment un groupement religieux.

— Je suis au courant. Et après ? demanda-t-elle avec un large sourire.

— A quel point de vue ? fit Sibirsk, feignant de ne pas voir où elle voulait en venir .

— Par rapport à ce dont nous venons tout juste de parler : la théorie de l’Evolution.

Sibirsk esquissa un léger sourire.

— Il y a le point de vue classique, majoritairement reconnu.

— Le darwinisme.

— Oui ou, plutôt, le néodarwinisme, également appelé « théorie synthétique de l'Evolution ».

— Qu'est-ce que le « synthétique » vient faire là-dedans ?

— C'est tout simplement parce que le néodarwinisme regroupe plusieurs disciplines en une seule théorie globale.

— A savoir ? fit Abby en prenant des notes.

— La génétique des populations, la morphologie, la systématique, l'embryologie, la biogéographie et la paléontologie. Dans cette optique, l’apparition de la Vie est un formidable concours de circonstances heureuses qui a abouti aux premières formes de Vie. Par la nature même de la Vie, sa capacité à se reproduire, un mécanisme de réplication entre en jeu. Et comme avec toutes les mécaniques, il y  a un hic. Des bugs surviennent. Cela peut se traduire sous la forme d'un manque, d'une redondance, ou d'une modification. Lorsque ces bugs ont un impact sur la forme de Vie, il y a sélection en fonction de l’environnement. C'est la fameuse théorie dite de la « sélection naturelle ». En fait, on peut la voir comme une application à la biologie de l'argument fondamental de l'économiste Adam Smith en faveur d'une économie rationnelle. Historiquement, ces travaux ont en effet joué un rôle primordial dans la pensée de Darwin et sont probablement à l'origine du déclic final de sa théorie de l'Evolution.

— Epargnez-moi la biographie de Darwin, dit-elle poliment. Je connais tout ça : les modifications avantageuses se multiplient, car ceux qui les portent sont plus aptes à survivre et à répandre leurs gènes. Et ainsi de suite. Les formes de vie se différencient.

— Tout à fait, c’est la théorie de l’Evolution : la conjonction des erreurs de réplication et de la pression de l’environnement engendre les différentes espèces.

— Très bien. Je suppose que vous allez maintenant m'exposer le point de vue opposé. Votre point de vue, asséna-t-elle.

— Non, pas du tout. Ca n’est pas l’opposé.

Abby resta stoïque. Sibirsk était-il créationniste, oui ou non ? Qu’est-ce que ce type pouvait bien être en train de lui raconter ?

— Il ne s’agit pas de dire le contraire, reprit-il. C’est juste une théorie différente. Ce qu’il y a, c’est qu’elle ne reconnaît pas la possibilité de l’apparition de la Vie avec les lois de la Physique telles qu’elles sont. On fait appel à Dieu pour l’apparition de la Vie, qui, dans ce schéma, ne peut pas se différencier. Dieu aurait créé chaque espèce à part, selon un schéma immuable. Et il n’y aurait aucune évolution possible. La Vie sur Terre serait fixée, telle quelle, sans variation au cours des temps.

— C’est bien ce que j’ai cru comprendre de la conférence… Mais vous dites que ce sont des conneries ? De quel bord êtes-vous donc ? fit Abby, réellement perdue.

— Nous croyons à une combinaison des deux théories.

— Mais quel genre de combinaison ? L’une n’exclut-elle pas l’autre ?

— Pas du tout. C’est beaucoup plus subtil que ça.

— Vraiment ? Mais je ne comprends toujours pas. Si vous n’êtes pas d’accord avec eux, pourquoi accueillir une telle conférence ?

— La communication, madame Lockart. Nous devons être forts. Fédérer les gens. Et donc, nous devons nous allier avec ceux qui partagent tout… ou partie de notre point de vue. Un peu comme en politique. Les partis se rassemblent pour être plus forts, même s’il y a de grandes dissensions. C’est même parfois franchement n’importe quoi, mais ça se fait. Tout simplement parce que ça fonctionne.

— Sauf que généralement ces gens-là n’admettent pas leurs divergences de pensée. Ce que vous, vous faites. En reconnaissant de telles manœuvres, vous ne craignez pas que cela se retourne contre vous ?

— L’honnêteté est au contraire une très grande force. Nous fédérons un maximum de gens sur des idées générales, puis nous leur montrons, en interne, que notre point de vue est le plus raisonnable. Ce que je vais vous exposer, en somme.

— Quelles sont donc ces idées générales dont vous vous réclamez ? fit Abby, réellement curieuse de ce que ce type allait bien pouvoir lui sortir.

— Notre principal message est que Dieu est parmi nous. Nous sommes religieux avant tout. Et jusque dans l’approche scientifique du Vivant. Nous pensons que la Vie sur Terre a été voulue, pensée et, surtout, orientée par Dieu lui-même. Exactement comme ce conférencier l’a dit ! Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est sur le mécanisme de la Vie. Nous lui reconnaissons beaucoup plus de dynamisme et une très grande partie des caractéristiques évolutionnistes.

— En somme, vous reconnaissez les faits évolutifs avérés, mais vous restez créationnistes. Vous voyez une finalité au phénomène de l’Evolution. Une finalité bien évidemment divine, fit Abby avec un ton qui, avec le recul, lui apparut dangereusement dédaigneux.

C’était trop tard. Sibirsk semblait l’avoir mal pris.

— Créationnisme, reprit-il après un long silence. Le mot gêne dans les milieux scientifiques classiques. Il fait peur même, parfois. Le mot Créationnisme vient pourtant juste du fait que nous croyons en la Création, par Dieu, de la Vie.

— Et de la Terre, lâcha Abby.

— Madame Lockart… Votre insolence n’a d’égal que votre charme, fit doucereusement Sibirsk. Mais il faut, je crois, remettre un certain nombre de choses à leur place.

— A savoir ?

— En fait, il existe plusieurs mouvements créationnistes. Le conférencier appartient à ce que nous appelons les créationnistes dits « Terre jeune ».

— Comment ça, « Terre jeune » ? C'est un drôle de nom ! fit Abby, qui connaissait pourtant la signification de cette expression.

— Comme vous l’avez souligné, d’après la Bible, Dieu a tout créé, le Ciel… comme la Terre. Les créationnistes Terre jeune prennent ces écrits tels quels. Et dans cette optique, Dieu aurait créé la Terre vers quatre mille ans avant Jésus-Christ seulement. La Terre serait donc très jeune, d’où cette étrange appellation. Inutile de dire que ce mouvement créationniste est aussi extrême que ridicule. La Terre, créée quatre mille ans seulement avant le Christ ? Absurde. Toujours dans cette optique, la Vie est d’un fixisme à toute épreuve. Aucune évolution n’est possible. Savez-vous alors comment ces gens justifient les dinosaures, témoins fossiles d’une évolution ayant eu lieu à une période des millions d’années antérieures à la création de la Terre ?

Abby le savait. Ivan ne le lui avait que trop bien expliqué. Le fameux mystificateur film divin. Mais elle ne comprenait pas comme ce Sibirsk pouvait à ce point démolir le créationnisme... tout en en étant. Elle se contenta de répondre vaguement par la négative, complètement dans l'expectative.

—… non ?

— D’après eux, tout ce qui nous apparaît antérieur à la création divine de la Terre ne serait que des artefacts divins créés par Dieu pour nous induire en erreur, précisément pour empêcher toute démarche scientifique de prouver ou d’infirmer son existence.

— Comme si Dieu n’avait rien d’autre à faire ! C'est complètement tordu !

— Et vous ne savez pas encore à quel point, fit Sibirsk en hochant de la tête. Car dans cette optique, si l’on recherche tout ce qui est antérieur à 4000 av. J.-C., que faire du moindre regard tourné vers les étoiles ? Plus nous regardons loin, et plus nous regardons dans le passé. Ainsi, seule la lumière provenant d’une sphère de quelques milliers d’années lumières de rayon serait réelle ? Le reste ne serait que les images, virtuelles, d’une magistrale mystification divine ?

Abby acquiesça.

— Ces gens, reprit Sibirsk, prennent pour argent comptant les dires de la Bible, là où un gamin de dix ans comprend vite que ces textes ne sont que des métaphores empreintes d’un peu de poésie, dont le but est de donner une leçon de morale et de vie en société.

— Vous n'êtes donc pas « Terre jeune ». Mais alors ?

— Certains nous qualifient de créationnistes « Vieille Terre ».

— Parce que vous, vous admettez le véritable âge de la Terre et de l'Univers, j'imagine ? fit Abby en continuant de jouer le jeu.

— Nous croyons effectivement à l’histoire de l’Univers telle que la Science nous la décrit. Nous croyons au Big Bang. Et là où tous les physiciens butent, sur le pourquoi du Big Bang, nous, nous avons la réponse : Dieu est la cause première. C’est aussi simple. Et aussi complexe. Tout comme pour l’apparition de la Vie. Dieu. Lorsque les lois de la Physique décrochent, nous n’appelons pas Dieu à la rescousse, c’est lui qui se révèle à nous. C’est aussi simple que ça. Et c'est définitif.

— Au final, vous êtes donc très proches des idées scientifiques actuelles ? remarqua Abby.

— Oui, nous sommes très modernes. Et probablement bien plus encore que vous ne le croyez. Les temps changent. L’Eglise change. Et nous plus encore que les autres. Nous sommes croyants, mais nous sommes aussi des scientifiques. Le temps de l’Obscurantisme est bel et bien révolu. Ne craignez rien. Il n'y a aucun risque de connaître avec nous les mêmes graves dérives qu'avec ce vieux fou de Wallace.

— Wallace ? fit Abby avec de grands yeux. Je ne le connais même pas !

— Alfred Russel Wallace. C'est pourtant, avec Darwin, le codécouvreur de la théorie de l'Evolution.

— Je n'en ai jamais entendu parler, fit Abby, désolée.

— Normal. L'Histoire est ingrate. Elle ne garde que les têtes d'affiche. Soyez en retard d'une milliseconde sur le premier, et vous serez oublié pour l'éternité. C'est valable pour tout : vous connaissez sûrement Neil Armstrong, mais avez-vous la moindre idée du nom de son coéquipier, qui a foulé le sol lunaire à peine quelques instants plus tard ?

— Non, je l'avoue. C'est triste pour lui.

— Il s'agit de ce pauvre Edwin « Buzz » Aldrin. Comme Wallace, l'Histoire l'a oublié.

— Mais pourquoi me parlez-vous de ce Wallace ?

— Parce que pendant que Darwin faisait le tour du monde à bord du Beagle, Wallace, lui, visitait l'Amérique du Sud. Il fit à peu de choses près les mêmes découvertes que Darwin. C'est dans un puissant accès de fièvre, en Asie du Sud-est, qu'il eut la « révélation ». Comme Darwin, il se persuada de la réalité de l'Evolution. Il commença à rédiger son texte. Puis il en envoya une copie à un certain Charles Darwin.

— Ne me dites pas que Darwin lui a volé son manuscrit ?

— Non, non ! Darwin n'était pas comme ça. C'était quelqu'un de profondément honnête. Mais disons qu'il traînait un peu à mettre au propre son texte sur la théorie de l'Evolution. Rendez-vous compte : il rentra de voyage en 1836, persuadé de la réalité de l'Evolution, et pourtant il ne publia L'Origine des espèces qu'en 1859.

— Ca lui a pris... vingt-trois ans ? Mais qu'est-ce qu'il a bien pu faire pendant tout ce temps ? fit Abby en écarquillant les yeux.

— Oh, eh bien, il a publié... des trucs. Plus ou moins intéressants. Des volumes imposants sur la taxonomie des bernacles, notamment.

— Des bernacles ? Vous vous moquez de moi ? Il avait la théorie de l'Evolution sous le coude et il a écrit une encyclopédie sur les bernacles ?

— Il voulait juste se persuader de quelques petites choses, et puis il sentait bien que l'époque n'était pas appropriée. Toujours est-il que, en 1858, il reçut le manuscrit de Wallace. Se rendant compte que quelqu'un avait fait la même découverte que lui et s'apprêtait à publier, Darwin mit les bouchées doubles pour ne pas être coiffé sur le poteau. Un an plus tard, il publiait L'Origine des espèces, et Wallace était définitivement oublié de l'Histoire de la culture générale.

— C'est triste.

— Pas tant que ça. Des fois, le hasard fait mal les choses et porte aux nues un sale type. Mais là, pour le coup, on peut se réjouir que ce soit Darwin qui ait remporté la mise.

— Pourquoi ? Wallace était un pourri ?

— Pas vraiment. Mais, premièrement, s'il avait les mêmes idées que Darwin, son ouvrage était beaucoup moins complet et n'aurait jamais eu le même impact.

— Mais quand vous parliez de graves dérives... De quoi s'agit-il, au juste ?

— Disons que Wallace était en fait ce que l'on pourrait appeler un « super » darwiniste. C'était un « sélectionniste inconditionnel ». En réalité, il croyait tellement à sa théorie qu'il était devenu un véritable extrémiste. A tel point qu'il a réussi à voir en l'Homme une créature... divine.

— Vous plaisantez ? Comment peut-il aboutir à une telle conclusion ? Ca n'a pas de sens, s'il est évolutionniste ! s'emporta Abby.

— Si, ça a du sens.

— Eh bien, expliquez-moi parce que je n'y comprends plus rien.

Sibirsk la considéra avec un regard quelque peu attendri.

— Vous allez comprendre. L'idée dont Wallace ne voulait pas démordre, c'était que la sélection naturelle supprimait les êtres insuffisamment adaptés, et, par corollaire, dotait les créatures vivantes de ce dont elles avaient besoin. Et rien de plus. Il voyait la sélection naturelle comme un processus fonctionnant « au plus juste ».

— Et c'est là qu'il se trompait ?

— En observant les Africains, comme nombre de ses contemporains européens, il ne voyait en eux que des « sauvages ». Il se rendait bien compte que leur morphologie était la même que la nôtre, encore qu'il arrivait à leur trouver un cerveau légèrement inférieur au nôtre – on se demande bien comment.

— Il avait juste un a priori sur la supériorité de l'Homme blanc, non ?

— Très probablement. Toujours est-il qu'il voyait dans l'Homme sauvage un non-sens. Avec – d'après lui – leur langage sous-développé, leur culture et leurs rites primaires, leurs chants rudimentaires, il voyait en l'Homme sauvage un Homme au potentiel incroyable, mais totalement gâché. Il les considérait un peu comme des attardés, avec une bonne dose de mépris, en comparaison aux civilisations européennes.

— Qu'il estimait largement supérieures, j'imagine.

— Evidemment ! Et sa conclusion est sans appel. Puisque, selon lui, la sélection naturelle ne dote les êtres vivants que du strict minimum, l'Homme sauvage qui n'utilise pas son cerveau aurait très bien pu, et aurait, se contenter d'un cerveau de la taille de celui du gorille. Wallace ne comprenait pas comment la sélection naturelle avait pu créer l'Homme sauvage. En ne démordant pas de sa théorie fonctionnant « au plus juste », et en ne reconnaissant pas les différences de culture, Wallace faisait de l'Homme sauvage un sous-homme pourtant doté d'un cerveau digne de l'Homme développé. Dans ce cas, la solution pour lui était claire et limpide. Evidente. L'Homme est la création de Dieu. Je le cite : « Un cerveau une fois et demi plus grand que celui du gorille aurait [...] parfaitement suffi pour le développement mental limité du sauvage ; nous devons donc admettre que le gros cerveau qu'il possède n'a pas pu être développé uniquement par une de ces lois de l'évolution qui, dans leur essence même, aboutissent à un niveau d'organisation exactement proportionné aux besoins de chaque espèce, n'allant jamais au-delà de ces besoins. [...] La sélection naturelle n'aurait pu doter l'homme sauvage que d'un cerveau légèrement supérieur à celui du singe, alors qu'en réalité il en possède un à peine inférieur à celui d'un philosophe. [...] Il semble que l'organe ait été préparé en prévision des progrès futurs de l'homme puisqu'il possède des capacités qui lui sont inutiles dans son état primitif. [...] Je déduis de ces phénomènes qu'une intelligence supérieure a guidé le développement de l'homme dans une direction définie et dans un but précis. »

Sibirsk fit une pause théâtrale pour laisser Abby réfléchir. Or, il y avait quelque chose qu'elle ne saisissait décidément pas.

— Mais je ne vous suis pas bien, fit-elle, puisque vous aussi, vous voyez en l'Homme une créature divine.

— Certes, mais pas du tout dans le même sens que Wallace. Notre optique est fondamentalement différente. Nous ne sommes pas des extrémistes de l'Evolution. Nous nous contentons de proposer un ajout. Nous complétons la théorie. Mais en aucun cas, il ne s'agit d'extrémisme. Je vais vous l'expliquer d'ici peu de temps.

Abby était quelque peu perdue. Elle avait bien reconnu les deux mouvements créationnistes dont Ivan lui avait parlé. Les purs et durs, bêtes et méchants, en quelque sorte. Et ceux qui reconnaissaient les faits évolutionnistes tout en intégrant Dieu dans le vaste schéma de la Vie. Mais il y avait quelque chose qui clochait. Ce Sibirsk était trop incisif. Il semblait si sûr de lui, prêt à faire voler en éclats le créationnisme en général tout en proposant autre chose à la place. Elle décida de l’emmener sur le terrain de la position officielle de l’Eglise.

— Mais quelle est la position de l’Eglise, justement ? Votre point de vue est une chose, celui de l’Eglise en est encore un autre, non ?

— Dans un premier temps, suite à la parution de la théorie de Darwin, l’Eglise catholique a farouchement combattu cette idée transformiste. En 1893, l'encyclique Providentissimus Deus rappelle avec force que les écrits bibliques ont été écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit et qu’ils ont donc Dieu lui-même pour auteur.

— Dans ces conditions, aucune discussion constructive n’est possible : à peine ouvert, le débat est clos !

— Tout à fait. En 1910, le motu proprio Sacrorum Antistitum, littéralement « serment antimoderniste », interdit de parler des questions qui fâchent, à savoir d’histoire des dogmes et tout ce qui était qualifié de moderne.

— La théorie de l’Evolution était sûrement la première visée ?

— Bien sûr. Le serment n’est pas remis en cause avant l’année 1961, c’est-à-dire la veille du concile Vatican II. L'Eglise catholique restait très discrète sur le sujet bien que le serment eut été brisé. Officiellement, rien n’avait changé, même si la pensée catholique ne considérait plus la Genèse comme devant être lue à la lettre. Ce n’est que le 23 octobre 1996 que le pape Jean-Paul II reconnaît publiquement que les théories de Darwin sont « plus qu'une hypothèse ». C’est alors une vraie avancée. Mais on en reste encore très loin de la vérité. Et le Pape Benoît XVI réoriente l’Eglise dans la mauvaise direction du Créationnisme Terre jeune.

Abby ne reconnaissait pas du tout le schéma créationniste qu’Ivan lui avait détaillé la veille. Quelque chose clochait réellement. Elle pensait maîtriser suffisamment son sujet, mais la situation lui échappait. Elle avait l’étrange impression que Sibirsk avait écouté chaque mot de la conversation de la veille pour se poser en pourfendeur tout autant du créationnisme que du darwinisme. Elle dut se résigner : quelque chose d'inattendu se profilait à l'horizon, et elle allait devoir encaisser. Qu'est-ce que ce Sibirsk allait bien pouvoir encore lui raconter pour essayer de l'embobiner ? Mais le pire était que ce type semblait réellement connaître son sujet – sujet qui, bien malgré elle, paraissait à Abby de plus en plus crédible.

— Très bien, fit Abby, circonspecte. Quelle est votre thèse ? La thèse des Fils de Dieu ?

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