Je menais une vie

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  Si bien que je menais une vie de solitaire que ne venaient égayer que quelques rares sorties sur la côte. La plupart du temps j’escaladais le cordon de dunes, trouvais refuge dans un pli de terrain qui me permettait de m’abriter de l’air déjà frais en cet automne débutant. Là, tout à loisir, je pouvais rêver longuement, laisser venir les images de mon futur roman. Ce qu’il me fallait, ceci : la vaste courbure du ciel qui s’inclinait à l’horizon ; le passage, parfois, du moutonnement de nuages gris ; l’irisation blanche de l’eau, une végétation hirsute qui tapissait les flancs des monticules de sable. Ce que j’avais à faire, ici, au milieu du silence à peine troublé par quelque mouvement de la nature, tâcher de trouver l’âme de ce pays, celle de ses habitants aussi. Sans doute le Lecteur s’étonnera-t-il du simple fait qu’il m’eût été plus facile de comprendre l’esprit d’un peuple en le côtoyant. Certes, mais ce serait sacrifier l’imaginaire aux exigences du réel. Or chacun sait qu’un Ecrivain est bien plus déterminé par ses propres songes qu’animé du désir de rendre compte de l’évident, du tangible qui ne sont que les images concrètes de l’ici et maintenant. L’Ecrivain offre du rêve, n’est-ce pas ?

   Parfois, m’évadant du site immédiat dans lequel je me trouvais, je pensais au beau roman de Maxence Van der Meersch, ‘La Maison dans la dune’, j’y voyais une manière d’analogie de ma propre situation. En quelque sorte j’étais un Sylvain égaré parmi les brumes du Nord, peut-être une esquisse errante cherchant son double, une écriture, une compagne telle cette Pascaline du roman, simple et innocente, dont la spontanéité en faisait une personne rare, une jeune femme dont on ne pouvait que tomber amoureux. Et je crois bien que j’étais, en effet, ‘tombé amoureux’. Chaque fois que je venais au milieu des dunes, invariablement à la même heure crépusculaire, j’apercevais, se détachant sur les eaux grises de la Baltique, la silhouette d’une ‘Passante’ (c’est ainsi, de cette façon purement abstraite que je l’avais nommée), vêtue d’une longue cape beige, cheveux courts que dissimulait en partie un béret, marchant d’un rythme mesuré, comme si, par son allure, elle avait souhaité coïncider avec ce rivage, avec ses flux gris et blancs de si belle destinée.

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