Acte 1
Acte 1
Une rue d'un quartier résidentiel d'une grande ville de France, par un frais matin de printemps.
Un banc public, un lampadaire éteint et quelques passants immobiles (symbolisés par des mannequins) comme figés dans leur vie de tous les jours complètent le décor.
Scène 1
Quatès déboule du côté jardin, les yeux ronds à la fois de colère et d'inquiétude. Il observe les passants.
Quatès (au public) — Ah, on dirait qu'il y en a qui sont comme moi, par ici.
Quatès (pointant un doigt vers les passants) — Vous avez vu ce qui leur est arrivé ? Pourquoi ça ne vous l'a pas fait aussi ? Qui a joué avec la touche pause de la télécommande ? Allez, qu'il se dénonce et remette tout en marche ! Ce n'est pas le tout, mais on a une pièce à jouer, nous.
Quatès tourne autour des passants, et vérifie qu'ils ne réagissent pas du tout à ses chatouilles ou des mimiques horribles pendant un certain temps.
Quatès (au public) — Ils sont comme pétrifiés ! Non, sérieux, vous êtes aussi nombreux et personne n'a vu ce qui s'est passé ? Vous me faites marcher, là !
Quatès s'approche du bord de la scène et regarde fixement un spectateur.
Quatès (à un spectateur) — C'est toi ? Avoue ! Non ?
Quatès (à un deuxième spectateur) — C'est… Non, ça ne peut pas être toi, laisse tomber.
Quatès (à un troisième spectateur) — Ou alors toi ? Vous savez, j'ai tout mon temps, je vais faire chacun d'entre vous un par un jusqu'à trouver le coupable !
Quatès (au public) — Ce n'est personne de vous alors ? Ils étaient déjà comme ça quand vous êtes arrivés ? C'est vraiment étrange, vous ne trouvez pas ? Quelqu'un a une idée ?
Quatès s'assied sur le banc.
Quatès (mimant la scène) — Alors voyons, repassons-nous la scène. J'étais en train de conduire. Je passe la vitesse. Je jette un œil dans le rétro avant de déboîter. Je fais un doigt à celui qui ne veut pas me laisser passer, mais je force quand même. Bien fait pour lui, faut pas me chercher le matin quand je vais au boulot ! Non, mais… Ça ne vous le fait jamais, à vous ? C'est toujours quand vous êtes pressés qu'il y a un petit malin qui croit qu'il est encore plus pressé que vous…
Quatès (pointant du doigt un spectateur) — Non, toi, tu as la tête à être le petit malin, donc ça ne peut pas t'arriver, c'est sûr. Bon, j'en étais où ? Ah, oui, je conduisais, et le petit malin m'oblige à forcer. Non, mais ça commence à m'inquiéter ! Subitement tout s'est arrêté. J'entendais toujours le moteur, mais je n'avançais plus. Même ma montre s'est bloquée, et pourtant elle est à quartz ! Quand les aiguilles s'arrêtent, ça peut s'expliquer, mais quand les chiffres restent fixes… Oui, je sais, c'est une fausse, mais on n'a pas beaucoup de moyens. Faut faire jouer un peu son imagination, on ne va pas vous mâcher le travail, non plus ! Alors bon, je suis descendu, en faisant attention, ben oui, j'étais au milieu de la rue quand même. Je suis allé me mettre à l'abri sur le trottoir, au cas où ça reparte tout seul. Apparemment tout le monde était dans la même situation. Sauf que j'étais le seul à pouvoir bouger. Enfin, sauf vous, mais vous n'avez pas l'air décidés à m'aider, alors je dois me débrouiller tout seul. En même temps, vous ne connaissez pas le scripte…
Scène 2
Un homme arrive en courant du côté jardin, paniqué.
Quatès (faisant un geste en direction de l'individu) — Hé ! Monsieur ! Vous…
L'homme ressort côté cour sans même avoir remarqué Quatès.
Scène 3
Quatès (au public) — Non, pas tout seul. Mais personne ne veut m'aider à y voir plus clair. Bon, essayons de raisonner logiquement et calmement. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire, ou penser qui aurait pu… Il faut bien prendre en compte toutes les hypothèses, non ? Vu que je n'ai pas été touché, n'y aurait-il pas une petite chance pour que j'en sois la cause ? N'allez surtout pas croire que je me prends pour le centre du monde, hein. Je ne suis pas le centre. Je suis juste à côté.
Quatès regarde la place vide sur le banc à côté de lui.
Quatès — Voilà, c'est tout moi, ça ! La journée avait mal commencé. J'étais pressé, parce que ma femme, enfermée dans la salle de bain, a oublié de me réveiller à l'heure. Pourtant elle sait que tous les mardis on a notre réunion de service à neuf heures tapantes ! Bon, il est moins cinq depuis déjà un petit moment, mais ce n'est pas une raison. Ou alors c'est elle ? Pour se rattraper, elle a réussi, Dieu sait comment, à tout figer pour me laisser le temps d'arriver au bureau ? Et elle remettra tout en ordre dès que j'aurai pris place dans la salle de réunion ? Non, elle n'est pas du genre à me faire des surprises de ce genre. Je la connais bien, si elle avait un tel pouvoir, elle l'utiliserait pour elle avant tout. Pour des conneries comme passer des heures à papoter chez le coiffeur sans louper son éternel feuilleton ou ses jeux débiles à la télé. Non, j'opte plutôt pour… pour…
La scène est plongée dans l'obscurité, à l'exception d'un spot surplombant Quatès.
Quatès (levant les yeux vers le ciel) — Oui, ça pourrait très bien être Dieu. J'ignore encore quel est le but de tout ça, mais ne dit-on pas que « les voies du Seigneur sont impénétrables » ?
L'éclairage revient à la normale.
Quatès — Dis-moi, toi, là-haut, tu n'essaierais pas de me faire passer pour une bourrique ? Parce que sinon c'est très bien imité !
Quatès (au public) — Oui, c'est ça, moquez-vous. Remarquez, vous auriez tort de vous priver, à votre place, je me moquerais de moi aussi. Y en a quelques-uns qui n'ont pas besoin de texte ou de gesticuler pour faire rigoler, par-là. C'est comme eux, là.
Quatès (pointant du doigt les silhouettes des mannequins) — Comment voulez-vous que je fasse rire avec des morceaux de plastique ? Heureusement qu'ils n'ont pas de syndicats, sinon ça coûterait encore plus cher de location. Et il leur faudrait un statut particulier, qu'on n'aille pas les prendre pour des pu… des prosti… enfin des femmes qu'on peut louer facilement, quoi.
Scène 4
Luteau arrive par le côté cour. Inquiet, lui aussi, il marche d'un pas leste en observant attentivement ce qui se passe autour de lui.
Quatès — Luteau ?
Luteau — Oui ?… Tiens, Couatèsse !
Quatès —Non, je préfère dire « Cats », maintenant. Ça fait plus félin.
Luteau —Ouais, bon, tu as juste viré ton accent et ton gros Q…
Luteau (au public) — Pour vous expliquer, au départ, c'est une célèbre actrice étrangère qui devait tenir le rôle, mais finalement, elle n'était pas libre, et on a dû faire avec… ça. Notre dialoguiste étant en pleine cure de désintoxication dans un asile de fous, on attend des retouches dans un délai indéterminé. Comme ça, vous savez à quoi vous attendre pour la suite.
Quatès —Depuis que je suis devenu inspecteur de police, je trouve que c'est plus approprié.
Quatès fait les griffes avec ses doigts en direction de Luteau.
Quatès —« Catssssssss ! »
Luteau — Oh, on se calme ! Donc, finalement, tu as fini par l'avoir, ton examen ?
Quatès —Oui, oui, à la septième fois.
Luteau — Ah, quand même ! C'est mieux que ton permis de conduire, félicitations !
Quatès — Et je dois bien reconnaître que tes conseils m'ont été d'un grand secours. Sans toi, je n'en serais pas là où j'en suis aujourd'hui. Faudra qu'on se fasse une bouffe, un de ces quatre, à la maison. Je dirai à ma femme de nous préparer un…
Luteau (coupant Quatès) — Donc, finalement, tu as fini par l'avoir aussi, ta femme ?
Quatès — Ah, c'est vrai que tu connais Hulia. Pourtant ça fait un bail qu'on ne t'a pas vu.
Luteau — Elle est toujours aussi bonne ménagère ? Je suis impatient de retrouver son intérieur, à la petite Hulia ! Elle était très chaleureuse, à l'époque.
Quatès — Il y a toujours autant de passage. Elle prend son pied à faire entrer tous ceux qui passent à sa portée. « Faîtes donc le tour de la propriétaire », « Prenez les patins, le parquet vient tout juste d'être astiqué », ou encore « garez-vous bien au fond pour laisser de la place aux suivants » !
Luteau — Tu l'imites rudement bien, tu sais ?
Quatès — Merci, mais je n'ai pas de mérite, je la supporte tous les jours, alors ça rentre tout seul, à force.
Luteau — Et les enfants ?
Quatès — Non, je les imite beaucoup moins bien, les enfants. Faut dire qu'ils dorment déjà, quand je rentre, le soir.
Luteau — Je voulais savoir si tu avais des enfants, mais visiblement, la réponse est positive.
Quatès — Ah, excuse-moi, je suis assez perturbé, aujourd'hui. J'étais en retard pour ma réunion du mardi matin et je venais de partir quand tout s'est figé autour de moi. Ça t'a fait pareil, non ?
Luteau — Tout pareil, oui. Mais on est deux. Enfin, sur la scène, on est deux. J'en ai vu quelques autres qui rigolent, par-là, mais quand je me tourne vers eux, ils se figent à nouveau. Va comprendre pourquoi.
Quatès — Tu ne saurais pas d'où ça peut venir, par hasard ?
Luteau (embarrassé) — Euh… Non, non, pas la moindre idée. Et toi ?
Quatès — J'ai beau retourner la situation dans tous les sens, à part un mal de crâne, je ne trouve rien du tout. Sinon, raconte, tu deviens quoi, toi, depuis que tu t'es fait virer de la police ?
Luteau (embarrassé à nouveau) — Pour remettre les choses à leur place, je ne me suis pas fait virer. J'ai préféré prendre un congé sabbatique à durée indéterminée. C'est nouveau, ça vient de sortir, oui.
Quatès — Ah bon ? Pourtant ça ressemblait vraiment à un type qui se fait virer à coups de pompes dans le…
Luteau (coupant Quatès) — Mais c'est la providence qui nous fait nous rencontrer aujourd'hui, Couatèsse !
Quatès (Geste des griffes avec les doigts) — Non, « Catssssss »
Luteau — Oui, c'est la providence, disais-je, car j'avais justement l'intention de devenir consultant, pouvoir aider notre chère police à résoudre des affaires compliquées et mystérieuses grâce à mon flair et mon sens de la déduction légendaire. Par contre, je manque un peu d'appuis. Il est vrai que je suis resté en froid avec une certaine partie de la hiérarchie.
Quatès — Tu as toujours été un modèle pour moi, Luteau.
Luteau — Merci bien.
Quatès — Et si je pouvais faire quoi que ce soit pour t'aider, ça serait avec le plus grand plaisir.
Luteau — Trop aimable.
Quatès — Car j'ai une dette immense à ton égard.
Luteau — Je ne te le fais pas dire, mon cher.
Quatès — Mais c'est non.
Luteau (surpris) — Quoi ?
Quatès — Faut me comprendre : je suis en pleine ascension, je ne peux pas me permettre de fricoter avec quelqu'un qui s'est fait virer comme un malpropre. Tu sais quand même que tu es devenu une référence, chez nous ? Personne ne t'a oublié, mais, hélas, pas dans le bon sens.
Luteau — Donc ça veut dire que c'est râpé pour moi ?
Quatès — Je ne pourrais rien faire, même si j'étais le président de la République.
Luteau — Hé ! Hé !
Quatès (au public) — Quoi ? Ça paraît si incroyable que ça ? On a vu pire, hein !
Luteau — Non ce n'est pas la question du pire. Mais tu ne peux vraiment rien faire pour essayer de me réhabiliter ?
Quatès — Pour être honnête, je n'ai même pas envie d'essayer.
Luteau — C'est dommage, on aurait pu faire équipe. On se serait entendus comme chien et chat…
Luteau regarde le public et attend une réaction.
Luteau (au public) — Oui je laisse le temps pour celle-là, parce qu'elle est plus difficile à comprendre que les autres… Un indice : « Cats » et Luteau, comme Pluto le chien… Les plus rapides, expliquez aux plus lents, d'accord ? Ah, ça y est, y en a qui commencent à comprendre, par-là.
Quatès — Pourtant, on est lancés, maintenant. Faut suivre le rythme, hein !
Quatès (à Luteau) — Donc, pour en revenir à toi, je ne peux rien faire pour t'intégrer officiellement à la police, mais…
Luteau (intéressé) — Oui ?
Quatès — J'accepte que tu m'accompagnes sur quelques scènes de crimes, juste pour avoir ton avis.
Luteau — Merci beaucoup, Couatèsse ! Je ne te décevrai pas, je te le promets !
Quatès (gestes des griffes avec les doigts) — Non, « catsssss » !
Luteau — Ah, oui, c'est vrai. Mais attention : je ne veux pas être ton petit toutou, d'accord ? J'aurai un statut officiel de consultant officieux !
Quatès — D'ailleurs, en parlant de ça, viens par là.
Quatès attire Luteau dans le coin cour de la scène, tandis que la lumière baisse progressivement sauf un spot sur eux, à tel point qu'on ne voit bientôt plus que les deux hommes.
Quatès (au public) — Vous aussi, vous pouvez venir !
Quatès (à Luteau, sur le ton de la connivence) — Tu auras un statut officiellement officieux, mais faut surtout rien dire à mes chefs, d'accord ?
Luteau (se frottant les mains) — C'est promis. On va faire du bon boulot !
Les deux hommes semblent attendre quelque chose qui ne vient pas.
Quatès (au public) — Encore une fois, on a récité notre texte trop vite.
Luteau (au public) — Oui, pourtant on a bien pris notre temps.
Un éclair illumine la scène avant que la lumière ne revienne normalement.
Scène 5
Les mannequins qui ont été remplacés par de vrais figurants habillés à l'identique commencent à marcher, à reprendre leurs activités comme si de rien n'était. Ils entrent et sortent de scène en fonction de leur trajectoire.
Quatès — Madame ?
La dame (méfiante) — Oui ?
Quatès — Vous savez ce qui vous est arrivé ?
La dame (encore plus méfiante) — Je vous demande pardon ?
Quatès — Oui, à l'instant : vous avez été pétrifiée pendant plusieurs minutes !
La dame (énervée car elle ne comprend rien) — Vous êtes sûr que ça va bien ?
La dame s'éloigne.
Quatès — Et vous, Monsieur ? Vous ne vous souvenez de rien, vous non plus ?
L'homme — Si : je suis sorti de chez moi, j'ai acheté ma baguette et mon journal, et maintenant je rentre prendre mon petit déjeuner.
Quatès secoue la tête et laisse l'homme partir avant de revenir vers Luteau.
Quatès (désemparé) — Même les gens concernés n'ont aucune idée de ce qui s'est passé !
Luteau — Laisse tomber, mon vieux Couatèsse…
Quatès (faisant les griffes avec ses doigts) — Mais non, « CATSSSS » !
Luteau — Il est des mystères qu'il vaut mieux ne pas chercher à résoudre.
Scène 6
Longprez arrive côté cour en courant.
Longprez (criant) — Au secours ! Au secours !
Quatès — Monsieur ? Que se passe-t-il ?
Longprez (affolé) — Je dois trouver la police !
Quatès — Mais c'est moi, la police !
Longprez (méfiant et dévisageant Quatès) — Euh… Vous êtes sûr ?
Quatès — Absolument. Je suis inspecteur en civil !
Quatès sort sa carte et la montre à Longprez.
Longprez — Je… Je crois que quelqu'un a tué ma voisine.
Quatès — Ça tombe bien !
Longprez et Luteau — Comment ça ?
Quatès — Ben parce que j'appartiens à la criminelle, pardi !
Luteau — Indiquez-nous le chemin, et nous allons pouvoir commencer l'enquête immédiatement !
Longprez (à Luteau) — Vous aussi vous êtes en civil ?
Luteau — Vous voyez un uniforme sur moi ?
Longprez — Non, mais vous pourriez très bien ne pas appartenir à la police.
Luteau — On va dire ça.
Longprez — Un peu comme Sherlock Holmes ? Vous aidez la police ?
Luteau (au public) — Je l'aime bien, ce petit. Il a de bonnes références et un discernement hors du commun.
Quatès sort un petit carnet d'une poche intérieure.
Quatès — Comment vous appelez-vous ?
Longprez — Longprez.
Quatès (en écrivant) — Alors… Long-prèse.
Longprez (prenant une pause exagérément efféminée) — Non ! Pas « long-prèse », mais…
Longprez (avec une voix rauque et virile) — « Longpré » !
Luteau — Il y a une sacrée différence, en effet.
Quatès (à Luteau) — Oui, ça va, hein !
Quatès (à Longprez) — Et qu'est-ce qui vous permet de dire que votre « voisine a été assassinée » ?
Longprez — Ben quand on est étendu les bras en croix au milieu du salon avec un couteau planté dans le cœur, alors que la porte est fermée à clé, je ne vois pas d'autre explication !
Luteau — Vous dites que la porte est fermée à clé ?
Longprez — Oui : j'ai vérifié, et la clé est à l'intérieur.
Luteau — Voilà qui est curieux. Mais alors comment pouvez-vous l'avoir vue, votre voisine ? À travers la porte ?
Longprez (rougissant) — Ben, en fait… Euh… Par la fenêtre !
Quatès (prenant des notes) — « Par la fenêtre ». Que faisiez-vous devant sa fenêtre ?
Longprez — Ben, comme tous les jours, voyons !
Longprez mime de se laver sous les bras et entre les jambes, créant la surprise chez les deux autres hommes.
Longprez — Quoi ? Ah, mais non, c'est pas ce que vous croyez : la fenêtre de ma salle de bain donne sur son salon ! Je prenais une douche. Qu'est-ce que vous allez imaginer, encore ?
Luteau et Quatès (soulagés, mais pas convaincus) — Ah !
Luteau — Oui, ça m'étonnait aussi.
Longprez — Pourquoi vous dites ça ?
Quatès — Vous voulez nous y conduire ?
Longprez — Bien sûr. C'est par là.
Ils sortent tous du côté cour.
Annotations