Prologue
Ça y est, j’ai enfin un peu de temps. Il faut dire que je repousse cette échéance depuis des lustres, sans véritable raison. Maintenant, je dois absolument m’y mettre. On doit garder un souvenir de toute cette histoire.
Avant de l’oublier.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Ces derniers temps ont été très compliqués à gérer pour moi. Trop de choses à faire, trop de personnes à rencontrer. Et mon père, surtout, qui me presse. Bien sûr, j’ai conscience de l’enjeu, et je m’efforce de le satisfaire, car il a une expérience bien meilleure que moi. Je lui voue une confiance aveugle.
J’ai du temps, et j’ai aussi de plus en plus de recul. Mais je ne dois pas pour autant abuser de procrastination. Si auparavant j’étais frileux à l’idée non seulement de retracer tous ces faits historiques, mais également de tenter d’y apporter une lumière objective, je pense aujourd’hui être en mesure d’y parvenir avec lucidité.
Peut-être que je ne suis pas le mieux placé pour établir un tel récit. Peut-être aussi que quelqu’un d’autre est en train de le faire de son côté. D’une manière différente. Pour un résultat meilleur ou pire. Mais tant pis. Je ne peux pas – l’Humanité ne peut pas – tracer un trait sur ce qui s’est passé. De crainte de recommencer les mêmes erreurs. Si une telle chose venait à se reproduire, nous n’aurions sûrement pas autant de chance. Et ça serait catastrophique.
J’ai sans doute l’air pessimiste.
Qu’on ne se méprenne pas : je préfère être traité de fou, plutôt que risquer de faire revivre ces événements. À quiconque, même à mon plus grand ennemi. Car il y a pire que l’emprisonnement et la torture.
Bien pire.
Il y a l’oubli.
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