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Il était encore sous bakélite lorsqu’on me le montra. Il avait été conditionné et transporté ainsi, des bordures de la Voie jusqu’à cette petite base isolée. Nous devions être les premiers à l’extraire de son sarcophage de polymère synthétique, puis à le reconstituer par syntonisation moléculaire à partir de ses informations génétiques.
À ce stade, le sujet consistait en quelques os très abimés, longilignes et ressemblant à du verre, le tout servant d’écrin à un corium de la taille d’une petite balle, et de la couleur, étrangement, du jaune d’oeuf cru. Le cœur du spécimen – car il s’agissait de cela – m’évoqua une boule de silice en fusion, une gemme sertie dans un bijou délicat. Comme toutes les choses dangereuses (il s’agissait d’un magma hautement radioactif, dont la température avoisinait les 3000°), il était fascinant à regarder.
— On en est sûrs ? murmurai-je à Tanikaze.
— Quasiment certains. L’analyse a identifié ce corium comme étant un organe super solénoïde. Seuls les organismes ultari en possèdent.
Exceptionnellement, le SVGARD avait levé les restrictions d’accès sur les données concernant les ældiens, à notre seul bénéfice. Tanikaze m’invita à les consulter dès que possible.
Je n’y appris pas grand-chose. Pour une exobiologiste de formation, le contenu apparaissait opaque et peu utilisable dans le cadre d’une démonstration empirique. Beaucoup de légendes issues du folklore vieux-terrien, de mythes. L’émotion, les ténèbres, la barbarie. L’étrange parfum glacé de l’Ancien Monde. Les informations étaient souvent contradictoires : on nous décrivait tantôt les ældiens comme des bêtes féroces et anthropophages, soumises aux instincts les plus primaires, tantôt comme des êtres d’un extrême raffinement, passeurs et gardiens d’une culture plusieurs centaines de fois millénaire.
Cependant, il y avait un point sur lequel toutes ces sources s’accordaient : il s’agissait de créatures dangereuses, avec qui les interactions se révélaient souvent funestes. Leur implication dans la Guerre de Fondation, d’après les rares sources historiques fiables les mentionnant, ne disait pas autre chose. À la fin du conflit galactique, certains s’étaient payés directement sur le troupeau, en prélevant des équipages humains dans leur totalité. Des flottes entières disparurent corps et biens. La part de Baal-Moloch, ce terrible dieu carthaginois avide de sacrifices, pour reprendre les mots de l’amiral Ahmed Aden… Aucun de ces documents ne fournissait d'indications sur leur sort, mais en compilant d’autres sources, je pus aisément le deviner.
À l’époque, les ældiens passaient pour les derniers représentants d’une espèce jadis glorieuse, une race de maîtres tyranniques et cruels, qui avait, des centaines de milliers d’années durant, asservi la galaxie. Leurs immenses vaisseaux de guerre aux lignes acérées arpentaient déjà le ciel alors que l’humanité s’éveillait à la conscience de sa propre existence. Ils accompagnèrent nos premiers pas, comme un parent concerné, mais malveillant, qui regarde tituber l’enfant d’un autre d’un œil ironique. Puis, nos progrès et leur propre déclin aidant, on les oublia. Et ils disparurent. Lorsque l’Homme combattit les korridites, lors de son envol hors du système solaire, les individus féroces et assoiffés de tueries qu’il trouva pour l’aider n’étaient plus que les ultimes feux d’une espèce mourante. C’était il y a plus de dix mille ans. La dernière fois que les dieux intervenaient dans une guerre des hommes.
En dernier lieu, les archives faisaient mention d’autres dangers, plus insidieux. Mais à ceux-là, je ne fis pas attention. J’étais une scientifique : je ne croyais ni à la sorcellerie, ni à la sombre magie et au pouvoir de fascination que l’on prêtait à ces créatures.
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