Chapitre 3
J’ai juste le temps de remballer mon pouce et de balancer mon manteau dans le fossé derrière moi.
La voiture ralentit et s’arrête à ma hauteur, le moteur hoquette. Dans la vitre teintée, je contemple le reflet de ma schless de déterré, c’est pas beau à voir, je manque sérieusement de sommeil. La vitre descend lentement, se coince à plusieurs reprises. Entre les soubresauts, j’aurais largement le temps de m’enfuir, mais une dérobade me rendrait suspect et je ne peux pas compter sur ma médiocre condition physique pour résister à une course-poursuite. Un escargot juché sur une tortue asthmatique me rattraperait sans effort. Voilà ce qui arrive lorsqu’on opte pour un régime alimentaire essentiellement “pizzarien”, on a la silhouette d’une canette de soda, le tonus d’une moule et le souffle court.
Enfin, le visage des flics s’offre à ma vue, tu parles d’un cadeau. Les yeux porcins du passager dépassent à peine de la portière et m’observent fixement. Le conducteur, quant à lui, ne me regarde pas. Raide comme une matraque, il fixe la route devant lui en mâchonnant un cigarillo comme un cow-boy du Far Est. Une odeur de clope s’évade de l’habitacle en même temps qu’une bouffée de haine m’envahit. J’ai autant de respect pour les poulets que pour un poil de cul dans ma pizza quatre fromages. Permettez-moi de ne pas porter les flics dans mon coeur, mais quand des gars armés viennent te chercher à quatre en plein cours de français et te sortent de la classe façon GIGN sous les regards étonnés de tes camarades de 4ème, tout ça parce que tes darons ont des retards de paiement pour la cantine, t’as pas forcément envie d’être indulgent et de remettre les pieds en cours. Et cinq ans après, tu finis par bouffer que des pizzas et à dealer dans les bois. On m’objectera que les keufs ne sont pas tous pourris, qu’il ne faut pas mettre tous les crabes dans le même panier, que parmi eux, y en a des biens. Je leur répondrai comme Didier Super, “les politiciens comme les trafiquants d'armes, les présidents de la République comme les petits escrocs, les alcooliques et les dépressifs, les curés intégristes comme les pédophiles, y en a des biens…”
Le flic passager me détaille d’un air suspicieux.
- Tu fais quoi, à cette heure-ci ? siffle-t-il.
- Je me promène, réponds-je sur un ton léger et détendu.
- En pleine nuit ?
- Ouais. J’aime la forêt quand il fait sombre, c’est calme, ça me détend.
- Sous la pluie ?
- Ouais, la pluie, ça raffraîchit.
Il commence à me courir sur le haricot, j’ai très envie de le saisir par le cou et de faire un lancer de nabot. Je me contiens.
- Sans manteau ? insiste-t-il.
- Ouais. C’est interdit ? réponds-je entre mes dents serrées.
- Non, non, c’est juste bizarre.
Là, c’en est trop. Je tends mes poignets joints vers le flic en guise de soumission factice.
- Allez-y, arrêtez-moi, ricané-je. J’encours quoi ? Dix jours de rhume ? Une goutte au nez avec sursis ?
- Très drôle, t’es un marrant, toi ! Et tu vas où, comme ça ? continue-t-il.
- Dans ton cul !
Oups, c’est sorti tout seul. Moi et ma grande gueule… D'un coup sec, il ouvre la porte, je me la prends en pleine poitrine et valse sur le bas-côté. Me voilà maintenu au sol par un genou qui me rentre dans le dos. Une main ferme enserre ma nuque, il a de la force, le nain, j’ai beau me tortiller comme un asticot, rien n’y fait ! Des gravillons me labourent la joue. Je proteste, je l'entends se marrer. Hors de question de le laisser m’étrangler. Discrètement, ma main se fraie un chemin vers la poche de mon pantalon pour atteindre mon téléphone. Je vais les filmer, ces connards. I can’t breathe version lorraine, la bavure fera le tour des ragots sociaux.
A peine ai-je réussi à sortir mon téléphone qu’une semelle m’écrase le poignet. Je lâche l’appareil et pousse un couinement de douleur. Le collègue du flic nous a rejoints, il l’écrase du talon comme un mégot, l’écran éclate en étoile.
- Oh mince, murmure le cow-boy d’une voix haut perchée, le bout des doigts posé sur ses lèvres et les yeux levés au ciel. Ah, ça, il marchera plus aussi bien maintenant.
Il conclut sa vanne par un coup de godasse sur ma tête, s'éloigne en direction de la forêt.
- Oh, mais qu’est-ce que je vois là ? s'exclame-t-il. Un manteau abandonné !
Il plonge sa main dans la poche, en sort une liasse de billets. Sans gêne, il fourre ma recette de la soirée dans sa veste, continue la fouille et extirpe ce qu’il reste de ma marchandise.
Il revient vers moi, se penche à mon oreille et murmure : “Petit cachottier, va ! On va bien s’occuper de toi !”
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