Chapitre 1
Droite ou gauche ? Mes poumons brûlent, j'ignore comment j’arrive encore à avancer. Gauche. La rue est déserte. Mon Dieu, faites que ce ne soit pas une impasse. Je me remets à courir, priant pour les avoir semés. Wouuups, j'ai failli glisser. Fichus talons... Les images de la copine de Justin Timberlake sprintant sur talons aiguilles dans Time Out, me reviennent. À se demander où cette fille a été entraînée, moi, je manque de m’étaler à chaque foulée. Tant pis, pas le temps de les retirer. Une voiture s’arrête à l’extrémité de la rue, deux hommes en sortent. La peur me fige et je me plaque dans le renfoncement de la porte cochère d’un immeuble. Pas besoin de m’approcher pour voir qu’ils sont armés jusqu’aux dents et qu’ils cherchent quelque chose. Et cette chose pend autour de mon cou. Respire. Reste calme. Analyse l’environnement. Où peux-tu te planquer ? Mais il n’y a rien. Rien du tout. Des cris résonnent autour de moi. Les autres m’ont rattrapée aussi. Fébrile, je sors mon portable et maintiens la touche 2 appuyée. Réponds, je t’en supplie, réponds.
Les pas des hommes se rapprochent de tous les côtés. Votre correspondant n’est pas disponible actuellement, veuillez rappeler ultérieurement. Et tu comptes être dispo quand, sérieux ? Parce que dans trente secondes, je suis une fille morte. Je rappelle. Juste au-dessus de mon épaule se trouve un interphone. C’est ma dernière chance, alors j’enfonce successivement tous les boutons et je prie.
Comment me suis-je retrouvée dans cette galère ?
Deux heures plus tôt
Chris
La douleur cogne dans mon crâne, dans mon ventre et s’étend progressivement à mes muscles. Ça devient vraiment insupportable. Il faut que je me concentre sur autre chose. Le hall d’entrée où je me trouve est bondé, un truc intéressant sur lequel me focaliser, ça doit se trouver. Je n’ai pas à chercher longtemps avant que mon regard ne s’ancre. Audrey. Négligemment appuyée contre le mur, un café à la main, elle semble absorbée par sa conversation. Son tailleur gris perle fait ressortir sa peau pâle, ses cheveux auburn relevés en queue de cheval laissent entrevoir les multiples grains de beauté qui affleurent dans son cou. Mes yeux se posent sur ses orteils vernis et glissent le long de ses jambes avant de parcourir ses courbes féminines. Bon sang, ce qu’elle est sexy…
- Tu baves.
Camille me ramène sur terre et par la même occasion, à mon triste état corporel.
- Il faut que je l’enlève, je murmure.
Il affiche une expression inquiète, puis secoue la tête, catégorique.
- Pas maintenant, pas ici. C’est trop dangereux, tu le sais bien.
- J’ai pas vraiment le choix, je suis à la limite. Si j’attends encore, je risque d’être complètement vidé.
Nous échangeons un regard soucieux. Il sait que j’ai raison, mais nous avons tous deux conscience des risques.
- Donne-le moi.
Je souris. Cela aurait été la meilleure solution, mais vu que mon ami ne me lâche pas d’une semelle, aucune chance que je me rétablisse.
- Non, j’ai besoin de m’en éloigner réellement. Si je te le laisse, il faut que tu restes loin de moi.
- Hors de question.
Camille fronce les sourcils en réfléchissant. Une cachette sûre, accessible facilement… Quelques secondes plus tard, une expression victorieuse s’affiche sur son visage. Il me tend discrètement sa paume ouverte en me glissant deux mots à l’oreille. J’approuve et lui remets l’objet, soulagé. Pour trente minutes, son idée me semble acceptable.
Audrey
Il parle, parle, parle... Je ne sais pas de quoi, et je m’en moque : s’il ne s’arrête pas d’ici deux minutes, ma vessie va exploser. Okay, tout va bien, Audrey, il y a pire comme problème. Pense à autre chose. Mes yeux se posent sur la diapositive présentée par le conférencier : « Understanding the formation of metamorphic rocks ». De la géologie quoi. Je soupire en me tortillant sur place. À ma droite, Sonia prend des notes avec application. Je retiens un commentaire moqueur. Elle se fiche autant que moi des cailloux, tout ce qui l’intéresse c’est de pouvoir briller lors de sa prochaine conversation avec Chris, l’abruti de géologue qui dirige le labo en face du nôtre. Les signaux envoyés par mon corps sont de plus en plus pressants. Bon, là, ça urge. Je m’éclipse discrètement, obligeant la moitié de la rangée à se lever pour me laisser passer, et atteins avec soulagement la sortie de l’immense salle de congrès.
Quelques secondes plus tard, je m’engouffre dans les toilettes. Parfaitement propres, comme tous les locaux de la Fondation pour les Sciences. Je me fie à leur brillance et me laisse tomber sur la cuvette sans même poser de papier. Enfin ! Mes doigts jouent négligemment avec ma bague, tandis que j’essaye de me rappeler des présentations de la matinée. Evidemment, seules celles concernant la bio me reviennent. Quelle idée de faire un congrès mixte, biologie-géologie aussi…
Gling, gling.
Zut. La bague a chu. Je remonte ma culotte et lance l’opération sauvetage. Mais c’est qu’elle a roulé loin, la coquine. À quatre pattes, je tends la main pour la saisir, et mes doigts se referment sur un objet saillant. Un pendentif en cristal vert au bout d’une longue chaîne en bronze. Mmh, plutôt joli. Je l’embarque avec ma bague, on verra comment retrouver son propriétaire après ma présentation. À cette pensée, mon ventre se noue et la sueur perle sur mes tempes. Courage, tu vas t’en sortir. Dix minutes de blabla, cinq de questions et c’est fini. Je maitrise le sujet, je peux y arriver… N’empêche que les oraux m’ont toujours fichu la trouille.
Chris
Les effets de l’éloignement ne se font pas attendre. Déjà, mon cœur bat moins vite, ma tension diminue et les douleurs s’estompent. S’il n’était pas le garant de ma survie, je m’en débarrasserais bien… Ou peut-être pas, je suis trop curieux de découvrir ses autres secrets. Ma récupération va suffisamment vite pour me permettre de m’intéresser à la formation des roches métamorphiques, même si mon esprit ne cesse de me rappeler les derniers bouleversements de ma vie. Justement, l’un deux se lève en dérangeant tous ses voisins. Un sourire étire mes lèvres, tandis que j’observe Audrey qui s’éloigne d’un pas pressé. Elle croise Camille au niveau de la porte, puis disparait, me laissant songeur. Je ne m’aperçois de la panique de mon ami que lorsqu’il se faufile à côté de moi.
- Ils sont là, murmure-t-il.
Mon sang se glace à ses mots.
« J’ai reçu un appel du secrétaire d’État. Ils sont au congrès depuis ce matin, tu n’es plus en sécurité ici. Il faut filer. »
Je réfléchis frénétiquement en tentant de maîtriser ma peur.
- Okay, on le récupère et on se tire, je lui souffle.
Nous nous levons et nous éclipsons sans un bruit. Si ces types sont aussi déterminés qu’ils en ont l’air, mieux vaut ne pas s’attarder.
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