Chapitre 8 (fin)
Chris
Vu le raffut dans le salon, l’assommé s’est réveillé. Plus qu’à espérer qu’il privilégie les soins au barbu plutôt que la poursuite des fuyards. Audrey a ouvert la fenêtre, elle évalue la hauteur puis se tourne vers moi en secouant sa queue de cheval.
- C’est trop haut... murmure-t-elle.
- Il n’y a qu’un étage, on peut sauter.
- Non... J’ai le vertige, j’y arriverai pas !
- Tu préfères passer par la porte d’entrée ? rétorqué-je, ironique. Si tu veux, on se retrouve dans la rue.
Elle lève les yeux au ciel, visiblement exaspérée. Bon, si je patiente jusqu’à la décision de mademoiselle, on ne s’en sortira pas. Je pousse les vitres et grimpe sur le dormant.
- Attends. J’y vais en premier.
Sans me laisser le choix, elle me tire et prend ma place, ses chaussures à la main. Audrey s’envole et atterrit dans un couinement. Mmh. J’ai peut-être sous-estimé la difficulté. Je m’élance à mon tour. Mon pouls s’emballe alors que je tombe, la chute me laisse juste le temps d’appréhender l’atterrissage. Vlam. Mes orteils. Les larmes me montent aux yeux tandis que je frotte mes articulations endolories.
- Vite !
Audrey empoigne ma chemise de nuit et m’intime de la suivre. Nous contournons prudemment la bâtisse, puis accédons au portail.
Qui ne s’ouvre pas.
Je jure. Le sort s’acharne !
Drrrrr.
Ah oui, appuyer sur le bouton d’ouverture peut être utile. Audrey me passe devant, un sourire moqueur aux lèvres, et nous nous éloignons à grandes foulées.
Audrey
Je ne suis pas certaine de ce que je préfère : courir pieds nus ou en talons ? Nous remontons la rue qui semble s’allonger à chacune de nos enjambées. Où pourrait-on se mettre à l’abri ?
- Tu sais où sont partis les deux autres types ? s’enquiert Chris.
- Régler son compte à un mec qui était dans une rue perpendiculaire.
C’est fou comme je peux être précise des fois.
- Qui c’est ?
- Comment veux-tu que je le sache !
Il pile brusquement à l’angle de l’allée et je lui rentre dedans de plein fouet.
- Hé !
Je comprends vite la raison de son arrêt : les bruits provenant de la ruelle attenante ne sont pas vraiment engageants. Chris se tourne vers moi après avoir jeté un coup d’oeil.
- C’est eux. Ils s’en sont pris à Camille, m’annonce-t-il d’un ton peiné.
- Merde... Allons l’aider.
Oh que non, Audrey. Visiblement, mes moi intérieurs ne sont pas tous d’accord. Mon interlocuteur non plus. J’insiste quand même.
- On ne va pas le laisser tomber !
- Toi, tu restes là.
Le sexisme cliché de la remarque m’arrache un rire. Parce qu’il croit faire quoi, pieds nus dans sa chemise de nuit ? À ma moue blasée, il comprend qu’il ne me laissera pas en arrière. Un soupir s’échappe de ses lèvres et il pose sa main sur ma joue.
- Je suis désolé...
- De m’avoir embarquée dans tes histoires loufoques ? Tu t’es déjà excusé.
- Non, de t’avoir quittée comme ça.
Oh. Mon coeur palpite et mes jambes flanchent. Non, non, non. Pas maintenant !
- Je suis pas certaine que ce soit le moment... je réponds en tentant de contrôler les battements fous dans ma poitrine.
- AAHH!
Je fais un pas, ose une oeillade. Quelques mètres plus loin, Blondinet s’effondre. Camille s’en sort très bien sans nous. La main de Chris presse mon épaule.
- J’ai commencé à recevoir des menaces de mort, il y a un mois. Comme elles se multipliaient, j’ai été contraint d’accepter la protection du ministère et Camille a été engagé. Ma vie se compliquait, je ne savais pas où tout ça conduirait. Une petite amie aurait été un parfait moyen de pression pour eux, c’était dangereux pour toi... Alors j’ai préféré qu’on se sépare.
Mon regard s’embue. L’environnement qui m’entoure n’est plus qu’un souvenir, les iris noirs de celui que j’aime m’hypnotisent. Ses lèvres effleurent les miennes avant de me donner un baiser passionné. Tellement cliché. Je fais taire la voix railleuse de mon esprit et m’abandonne aux sensations.
- AAHH !
La réalité me fait l’effet d’une giffle. Camille. Sans réfléchir, je m’élance, Chris sur mes talons. Le corps du motard gît dans une marre de sang. Mon Dieu. Le colosse se tourne vers moi, sa lame écarlate dans la main. La peur me cloue sur place. Sur ma droite, Chris vacille, blanc comme un linge. Un mauvais pressentiment m’envahit, mais avant que j’ai pu esquisser un geste, mon ex bascule, inconscient.
Le géant approche, sans précipitation. Ressaisis-toi, ressaisis-toi ! Il n’est plus qu’à un mètre. Mes doigts glissent dans ma poche et se referment sur mon pseudo-vernis. Du pouce, je le décapsule. L’homme tend la main, je tend la bombe et j’appuie.
Pccht.
Mon aggresseur attrape son visage, les yeux brûlés.
- Cука !! (pute)
L’entrejambe. Je lui lance un premier coup de pied, un second, un troisième. Portée par la peur, je m’acharne jusqu’à ce qu’il soit au sol. Camille. Chris. Le sang. Le colosse. La situation m’échappe totalement. Panique. Hyperventilation.
- Que personne ne bouge !
Je me retourne vivement et découvre deux femmes et un homme, pointant leurs armes vers mon adversaire et moi.
- Mains en l’air!
L’une des femmes s’approche, un insigne brandit et je m’écroule au sol en comprenant : le cauchemar touche à sa fin.
Le reste se perd en un tourbillon d’images, les policiers, les urgentistes, les dépositions, l’hôpital. Chris se réveille rapidement, son malaise étant seulement dû à l’énergie perdue lors de l’utilisation du cristal ; mais Camille...
Épilogue
Mes doigts suspendent leur vol sur le clavier. Je fais mourir Camille ou pas ? Le conférencier continue de parler sans interruption et le globe urinaire me guette. Je me retourne rapidement, cinq rangées plus haut, Chris semble absorbé par l’explication de la formation des roches. Sonia lève les yeux de ses notes et lit mes derniers mots, par dessus mon épaule.
- Je savais que la géologie ne t’interessait pas, chuchotte-t-elle en riant, mais au point de réinventer ta vie...
J’hausse les épaules. Ça s’appelle rentabiliser son temps. Bon, là, ça urge ! Après sauvegarde mon document Word, je me lève, obligeant mes voisins à faire de même. En remontant l’allée de l’imense salle de congrès, je ne peux m’empêcher de m’arrêter à côté mon ex-petit ami.
Sa beauté me frappe comme toujours ; songer à la renommée mondiale qu’il a acquise en étudiant les cristaux me donne le vertige... Il finit par s’apercevoir de ma présence et son regard me scane de haut en bas, avant de rencontrer le mien.
Du mépris.
C’est la seule chose que j’y lis.
Les tromperies, les mensonges éhontés, les remarques racistes, les blagues homophobes, les insultes sous couvert d’humour après mon refus de participer aux soirées échangistes et son SMS « Arrêtons-là, je m’ennuie. »
Mon ventre se noue.
- Quoi ? lâche-t-il, agaçé.
Je tourne les talons, sans un mot. Pourquoi je n’arrive pas à oublier un connard pareil ? J’atteins les toilettes, bouleversée, et me laisse tomber sur les cuvettes en me fiant à leur propreté apparente. Mes doigts triturent nerveusement ma bague, j’essaye de contrôler les sanglots qui m’étouffent, devant l’évidence. Laisse tomber, Audrey. Ce Chris là ne sera jamais celui de ton roman...
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