14 - Hilotes

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Finalement, je n'ai pas été en retard à mon rendez-vous avec Critobule, ce qui relevait presque du miracle. J'avais survécu à la manifestation — à peine quelques égratignures et une migraine — et le centre médical n'était qu'à deux pas de mon abri. L'examen s'est déroulé sans accroc, à part le moment où le robot assistant m'a palpé les fesses en pensant examiner mon foie. Je n'aurais probablement pas dû le frapper, mais il l’avait cherché. Bref, je suis ressorti triomphalement avec mon certificat d'aptitude en poche.

Pour célébrer l'événement, je suis allé boire un coup, mais cette fois j'ai évité « Le Trou Noir ». Une soirée tranquille suffirait, loin du Xylémien et de ses cosmic potcheens [1]. Le lendemain matin, je me suis réveillé frais comme un mutant polaire. Après un petit-déjeuner raffiné — quelques tranches de pâte cuite et une infusion de graines de zoom grillées — j’étais prêt à affronter ma première journée en tant que titulaire du prestigieux poste de soussols.

Les membres de l’équipe sont tous arrivés au local en même temps, comme si on était programmés façon droïdes. Zelo, fidèle à lui-même, s'est mis à parler à la vitesse de la lumière.

— Salut les collègues ! Bienvenue à notre nouveau titulaire, Ernesto ! Tous les regards se sont tournés vers moi. C'est là que j'ai remarqué que les yeux de Nex brillaient un peu plus que d'habitude. Hmmm... Peut-être que le charme de l'uniforme n'était pas une légende ! À vérifier.

Zelo a continué sans perdre une seconde.

— Aujourd'hui, grosse journée ! On descend jusqu'à la zone de la Grande Grotte pour vérifier l'intégrité d'un tunnel qui menace de nous tomber sur la gueule. Rien de catastrophique, hein, juste quelques petites fissures, et peut-être un déchaussement des dalles latérales... On prend le matos lourd, les transports et... les hilotes ! En piste, les cocos !

Ah, Zelo et son énergie débordante. Tout le monde s'est activé. Nex est passée près de moi.

— T'es prêt, Ernesto ? m'a-t-elle lancé avec un petit sourire.

— Toujours, j'en ai vu d'autres ! ai-je répondu, sentant que j'étais peut-être fait pour ce boulot, ou peut-être juste pour flirter avec une fille soussol en combinaison de 200 kilos. À moins que j’aie forcé sur les graines de zoom grillées.

Zelo m'a ensuite expliqué que les "transports" étaient des véhicules ovales, ressemblant à des baignoires de plusieurs mètres de long. Il y en avait plusieurs modèles, mais ils partageaient tous cette forme un peu ridicule. Ces machines planaient doucement au-dessus du sol grâce à un système anti-grav, suivant des trajets balisés. Heureusement, il y avait un mode manuel pour les zones sans balises, où un conducteur pouvait prendre les commandes. Dans les galeries balisées (ce qui était le cas la plupart du temps), ils suivaient automatiquement leur tracé. Ces véhicules étaient conçus pour transporter des charges lourdes, mais les humains s'en servaient aussi pour éviter de marcher des kilomètres.

J'aurais bien aimé me retrouver dans le même transport que Nex pour bavarder tout en flottant, mais c'était sans compter sur Zelo et son timing parfait. Il m'a ordonné de monter dans son transport. « J'ai des choses à t'expliquer », m’a-t-il lancé. Merde ! C’est vrai, après tout, que je débutais dans le métier...

Les hilotes, ces robots conçus spécialement pour le travail souterrain, étaient plutôt impressionnants. Nous disposions d’une gamme d’outils qu’on pouvait fixer au bout de leurs bras : pelle, marteau-piqueur, laser, disqueuse...

« C’est hyper pratique ! » me lança Zelo avec enthousiasme. Deux transports remplis d’hilotes clôturaient notre procession, leur allure presque militaire me rappelait les bataillons d’auxiliaires que je côtoyais quand j'étais dans la police.

Nous avancions dans un large tunnel, éclairé seulement par les phares de nos transports. À l'arrière de notre baignoire flottante, Bayek, concentré, relevait des données environnementales. Dans notre service, collecter des données était une routine. Les agents recueillaient des tonnes d'informations sur tout et n'importe quoi, juste au cas où. C'était l'impression que ça me donnait en tout cas !

J'avais un tas de questions en tête.

— Zelo, pourquoi les missions des soussols ne sont-elles pas entièrement prises en charge par des robots comme partout ailleurs ? Les droïdes modernes sont équipés d'intelligences artificielles super avancées, non ? Ils pourraient sûrement régler les problèmes tout seuls, tu ne crois pas ?

Zelo ne répondit pas tout de suite. Un silence gênant s'installa. J'avais peut-être dit une connerie. Après quelques secondes, il reprit d’un ton sérieux.

— C’est étrange comme question, Ernesto. Je sais que tu viens de débarquer, donc je vais t'expliquer. Les robots, tu vois, doivent obéir aux nombreuses lois qui régissent la société, et à certaines autres spécialement créées pour eux. Ils sont construits comme ça, impossible d'y échapper. Seuls les robots de maintien de l’ordre peuvent contourner les lois, et encore, uniquement pour réprimer les manifestations. C’est pour ça qu’ils sont si efficaces... voire un peu trop.

— Ouais, je connais la chanson, Zelo, ai-je répliqué en repensant à la charge des MORV d'hier [1]. J'ai failli me faire écrabouiller par ces machines.

Zelo continua sans se laisser distraire

— Les hilotes sont des robots basiques. Ils suivent le règlement à la lettre. Et crois-moi, les règles, c'est le bordel intersidéral. Si une situation imprévue se présente, ils doivent improviser en tenant compte de plusieurs siècles de lois, règlements et jurisprudence. Non seulement ça leur prend un temps fou, mais ils sont souvent coincés. Le boulot n'avance pas, et c'est la catastrophe. Comme on gère des systèmes vitaux — chauffage, évacuation des eaux usées, alimentation en fluides — la ville peut basculer dans le chaos si on manque de réactivité.

Je commençais à comprendre.

— Pas de système D chez les robots, hein ? Ils sont obligés de suivre chaque norme en vigueur, alors que nous, on règle ça en une demi-journée avec un bidon de colle multimatière et un bon coup de laser. Tu te souviens du transmetteur que Nex a bricolé l'autre jour ? Typique.

Hum ! Les autorités nous laissent bricoler les systèmes vitaux de la gigapole avec les moyens du bord pour faire des économies mais d’un autre côté, ils sont coincés par des siècles de règlements absurdes…

Décidément, les aminches, on vit une époque formidable !

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[1] voir Ernesto n° 13

[2] voir Ernest n° 12

[3] voir Ernesto n° 10

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