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Josiane

23h00, A son domicile

Comment vais-je faire pour m’en sortir ? Et pour le protéger ?

Depuis trois heures, Josiane se pose les mêmes questions. Bouleversée par la nouvelle apprise en début de soirée, elle n’a rien avalé, malgré l’odeur alléchante du pot-au-feu, qu’elle a préparé la veille, son ventre est noué. Le monticule de mouchoir en papier usé posé sur la table basse elle aussi abimée, évoque sa détresse.

Comment une telle chose a pu se produire ?

Débarquant chez elle dans un état second, il lui a tout raconté. La découverte du secret de sa femme, la discussion qui en suivit, son coup de folie… Son comportement n’était qu’alternance entre calme et hystérie. A la fois il haletait, criait puis soudainement redevenait serein. Malgré les températures fraiches à l’extérieur, la sueur perlait sur son visage. Les mains moites, les yeux révulsés, les jambes tremblantes, son interlocuteur se passait sans cesse les mains sur le visage, comme pour le nettoyer de ses actes. Jamais elle ne l’avait vu ainsi, il était quelqu’un d’autre pendant de longues minutes.

Pendant ce monologue, Josiane fut incapable de prononcer un mot. Ni même un son. Elle s’était contentée d’écouter complètement catastrophée. Elle ne le reconnaissait que par intermittence mais son instinct et son amour ne pouvait lui dicter aucune autre alternative.

A la fin de sa confession, il lui demanda conseil. Elle aurait aimé que Francis soit là, vivant, et sachant toujours comment agir. Mais étant mort depuis 5 ans déjà elle ne pouvait que lui demander conseil à haute voix… Espérant que l’au-delà lui réponde par un signe quelconque. A cet instant elle aurait dû lui dire d’aller voir la police pour que tout s’arrange, de bien faire les choses, parce que Francis aurait voulu cela. Mais sa réponse fut tout autre.

Au lieu de ça, elle le prit fortement dans ses bras, le serra et le consola. Pendant une seconde, il était à elle, comme avant. Elle lui promit d’arranger la situation et de tout faire pour le protéger.

Comment vais-je faire pour lui venir en aide ? Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, n’est-ce pas Francis ? Tu es bien d’accord ? Evidement que tu es d’accord.

Plusieurs idées jaillissent de son esprit. Prévenir la police ? Impossible. Elle le trahirait et bafouerait sa promesse. Faire appel à un professionnel ? Là encore, impossible. La personne lui demanderait certainement des renseignements qu’elle serait incapable de fournir. De plus elle n’aurait pas la somme nécessaire pour payer la prestation. Josiane sait qu’elle doit se débrouiller par elle-même.

Assise sur son vieux canapé à fleurs qu’elle et Francis ne s’étaient jamais décidés à remplacer, Josiane, fatiguée d’avoir trop pleuré, demeure stoïque, le téléphone à la main. L’objectif est clair, le courage est en elle, mais elle ne doit pas pour autant faire n’importe quoi. Elle trouve alors une idée et imagine une histoire pour que celle-ci soit crédible.

Tout d’abord je dois connaitre l’identité et l’adresse de cette femme …

Elle doit agir et maintenant. Chaque heure qui passe est du temps de perdu. Son scénario en tête, elle souffle et compose le numéro. Au bout de trois sonneries, une voix féminine décroche :

- Allo ?

- Oui Jennifer ! Bonsoir c’est Josiane.

Depuis plusieurs mois Josiane a des douleurs articulaires. Après avoir fait des examens, le médecin l’a informé qu’elle souffre d’arthrite. Jennifer, infirmière à l’hôpital mais également libérale à domicile, prodigue une fois par semaine les soins à sa patiente âgée. Josiane sait se soigner toute seule mais sa vie est monotone. Elle reçoit sa famille, sort de temps en temps avec des amies. La solitude lui pèse, la compagnie de Jennifer égaye donc un peu son quotidien.

- Josiane ? s’inquiète l’infirmière de cet appel tardif, tout va bien ?

- A vrai dire, non. Ça ne va pas fort, avoue Josiane d’un ton fébrile. Mon voisin m’a rendu visite. Le pauvre homme est complètement paniqué. Il a 90 ans. Son petit-fils a eu un accident.

- Ce n’est pas vrai ! Comment va-t-il ?

- Physiquement il va bien mais psychologiquement c’est une autre histoire. Le petit est chamboulé d’avoir renversé une jeune femme. Quand l’accident s’est produit, il a omis de demander les coordonnées de la dame. Je suis gênée et confuse de vous demander ça mais auriez-vous la possibilité de vous renseigner pour avoir son nom et son adresse ?

- Oh ! Josiane, je suis navrée qu’il soit arrivé cet évènement à votre voisin, mais je ne suis pas sûre de pouvoir…

- Pauvre petite… ! La coupe Josiane agitée. Il parait qu’elle était inconsciente lorsque les pompiers sont venus… Je dois avoir les coordonnées de cette femme ! Pardonnez-moi Jennifer mais le petit est tellement mal, continue Josiane paniquée. Le téléphone de mon voisin est en panne… Ils sont chamboulés... Son petit veut seulement prendre des nouvelles de la dame et lui envoyer des fleurs en guise d’excuse. Si je lui dis que vous ne pouvez pas, bredouille-t-elle affolée, je ne sais pas…

- Restez calme Josiane ! Lui ordonne l’infirmière. Je viens de prendre mon service. Je vais me renseigner. Pouvez-vous me donner des détails sur la jeune femme ou l’heure de l’accident ?

Des détails sur la femme ? Non heu… qu’est-ce qu’il m’a dit déjà !...

- Josiane ? Vous êtes toujours là ?

- Oui, oui ! Répond-elle affoler, avant de se reprendre. C’est juste que je réfléchis, j’essaie de remettre de l’ordre dans ma mémoire.

Allez ! Souviens-toi ! J’ai entendu un pas…de dos…

- Oui je comprends, assure Jennifer d’un ton bienveillant.

- Rousse ! Elle est rousse ! s’écrie Josiane. Pardonnez ma frayeur mais le stress de la situation me rend plus que nerveuse… Et l’accident a eu lieu vers 18h30 – 19h00.

- Je comprends votre détresse. Dans ce genre de situation, nous faisons tout pour aider nos proches. Je ne vous promets rien mais je veux vous aider. Je ferai mon maximum.

- Merci infiniment Jennifer ! J’attends de vos nouvelles au plus vite, annonce Josiane en mettant fin précipitamment à la conversation pour ne pas se faire prendre.

Oh ! Quelle sotte je fais ! J’espère sincèrement que Jennifer a cru mon histoire ! Si ce n’est pas le cas, tout est perdu…

La machine est lancée. En attendant Josiane doit y croire et poursuivre sa mission. Elle prend les mouchoirs usagés, les jette dans la poubelle de la cuisine puis se dirige vers le garage. Elle appuie sur l’interrupteur et la lumière illumine toute la pièce. Une odeur d’humidité flotte dans l’air, tel un énième accessoire fixé aux murs. Une machine à laver, du matériel de jardinage comme des pelles, râteaux ou tondeuse ainsi que divers sacs de vêtements trônent ici. Josiane se rue vers les étagères murales. Tapette à mouche, moustiquaire, couteau suisse… Sans succès. Elle avance un peu plus et s’empare d’une malle. Deux sacs de terreaux sont entreposés à l’intérieur, rien de plus. Déçue de ne pas avoir trouvé ce qu’elle cherchait, la vieille dame retourne dans le séjour pour utiliser son ordinateur. A l’heure ou la majorité des personnes âgées détestent internet et l’outil informatique, sous prétexte qu’il est compliqué à comprendre et à s’en servir, Josiane, elle, au contraire, adore ça ! Elle navigue sur plusieurs sites pendant quelques minutes, vérifie les modalités de livraison puis commande son article.

La première partie de son plan achevée, elle entame la seconde. Déterminée, elle va dans la cuisine, met ses gants et ouvre le placard sous évier pour en sortir le détergeant. Elle fixe l’objet imposant posé sur la table, que son visiteur lui a confiée, et avec l’aide d’une éponge commence le nettoyage. Quelques minutes plus tard, l’objet parait comme neuf. Satisfaite, elle attrape un sac poubelle, met l’objet à l’intérieur puis retourne au garage. Dans la malle elle soulève les sacs de terreaux et cache son sac poubelle.

Pour l’instant cet endroit fera très bien l’affaire…