Phranée ou la naissance de l'espoir

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L'été réchauffait les pavés de la porcherie qu'était la cité de Phranée. "La cité libre" était un des pires endroits de Naarl'Ar, on s'y adonnait au meurtre, à l'esclavage et autres méfaits comme s'il s'agissait d'un sport national. Son surnom venait du fait qu'elle n'appartenait à aucune race. Elle était dirigée par un conseil composé des plus grandes mafias de la ville. "Les neuf" comptaient en leur rang : deux clans Flagards, trois Rekins et quatre Garlans. Depuis près de mille ans aucun humain n'y avait siégé.

Après tout, on est que de la viande pour eux...

Je quittais rapidement ma mélancolie passagère. S’apitoyer sur son sort était synonyme de mort pour les Phranéens. Je ne le savais que trop bien. Combien de gorges avais-je tranchées pour survivre ? Je ne les comptais plus depuis bien longtemps.

Là, le voilà !

Un Flagard sortait d'une forge, la bourse bien visible. Heremor m'avait donné un bon renseignement, il aurait bientôt sa part. Je suivais la créature ailée en me dissimulant parmi la foule. Ma proie se dirigeait vers le quartier humain, et plus précisément vers "le marché des divers". Je pénétrais à sa suite avec une intense envie de vomir. Des hommes et des femmes se prostituaient à toutes les races du monde pour le moindre sou ; plus loin dans les tréfonds du marché, un bien plus triste commerce se déroulait. C'est d'ailleurs vers cette partie que le Flagard se dirigeait. A mesure que nous avancions les seuls clients restants étaient non-humains. Le Flagard s'arrêta d'abord devant un vieil homme. Ils échangèrent quelques mots et la créature lui coupa le doigt d'un geste souple en échange d'une piécette d'argent. Il acheta ensuite un litre de sang frais à un jeune marchand d'esclave. La pire des engeances, un humain vendant les siens.

Toi, je te tuerai par plaisir, si seulement j'avais du temps à perdre avec un vaurien dans ton genre.

J'avais ma mission, assassiner la créature et récupérer son trésor. Les odeurs du marché me donnaient la nausée. Je resserrai mon foulard remplit d'huile de romarin sur mon visage pour en atténuer l'odeur. La traque se révélait longue. En fin d'après-midi seulement je réussis à coincer ma victime dans une ruelle.

  • L'humain, sors de ta cachette ! Ton odeur me suit depuis bien trop longtemps.
  • Tu m'as donc repéré, répondis-je en me dévoilant poignard en main.
  • Depuis le marché. J'ai d'ailleurs acheté moins que prévu dans l'attente de ce moment. Mon dîner qui vient à moi. Merveilleux !
  • Donne-moi ta bourse et part en vie.
  • Je sens l'odeur de ta peur. Tu sais déjà que tu ne ressortiras pas d'ici vivant. Trêve de discussion, laisse-moi goûter ton sang.

Il se propulsa à l'aide de ses ailes immenses et me frappa au visage avant que je n’aie le temps de riposter. Je me ressaisis rapidement enchaînant les coups de taille et d'estoc sur mon adversaire, qui esquivait chaque frappe de sa démarche aérienne. D'un coup, je fus projeté au sol, une douleur cuisante sur la joue. Il m'avait giflé. La créature ne me prenait pas au sérieux, je n'étais qu'un jeu pour lui. Comprenant la situation, je lançais mon poignard vers lui en espérant gagner le temps de m'enfuir. La seconde d'après le Flagard planait au-dessus de moi. D'un souple mouvement la créature m'attrapa de ses serres et me expulsa violemment contre le mur.

  • Pitié ! Hurlai-je dans un mélange de douleur et de désespoir.

Le Flargard s'approcha de moi me souleva du sol comme si je n'étais qu'un vulgaire ballot de paille, me plaqua contre le mur. Il ouvrit sa gueule pareille à celle d'une vipère dévoilant ainsi ses crocs cachés sous une épaisse muqueuse.

  • Pitié je ne veux pas mourir comme ça !

Je fermais les yeux ne pouvant regarder la mort en face. Une douleur irradia violemment mon crâne et je me sentis tomber à moitié conscient au sol. Des bruits de lutte me parvinrent : le bruit d'une épée que l'on sort du fourreau, peu de temps après un cri suraigu, des battements frénétiques d'ailes, un bruit mat puis un silence de mort. J'ouvris lentement les yeux et découvris un jeune homme armé d'une étrange épée qu'il essuyait sur sa longue cape :

  • Comment te sens tu ? demanda l'homme
  • Pitié, je n'ai rien. Ne me faites pas de mal.
  • Je ne te demande rien d'autre que de m'informer de ton état.
  • Je... Je suis en vie c'est tout ce qui compte. Qu'allez-vous faire de moi ?
  • Je ne sais pas encore. J'imagine que ce sera à toi de décider.
  • Je ne comprends pas. Ne me réduisez pas en esclavage, je peux être utile ! Je suis un bon voleur.
  • Pas si bon apparemment, s'esclaffa l'homme.
  • Je...
  • Ne t’inquiète pas. Je m'appelle Radovin. Viens me voir ce soir à la taverne "le tabouret clinquant". Je te donnerai la moitié de sa bourse. Tu auras peut-être besoin de ça. Maintenant file.

Il me jeta mon poignard au sol et disparu peu de temps après. Je partis en courant dès que le bruit de ses pas furent éteint.

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Je me dirigeais vers la taverne en cette douce nuit de lune rousse. Non pas avec l'envie de rencontrer mon sauveur, mais simplement l'appel du gain. Je devais rembourser mes dettes et payer le renseignement d'Herebor. Sinon mon sauvetage de la journée ne servirait à rien...

Le vieux bâtiment qu'était "le tabouret clinquant" semblait fermé. Dans le doute je cognais la porte qui s'ouvrit à la volée. Dans la salle, une cinquantaine d'humains attendait patiemment. Tous avaient des vêtements ruinés par la rue, présentaient des signes de malnutrition ou pire de vente macabre de leur corps. Le doute m'assaillit, était-on là pour être transformé en charpie ? Je m’apprêtais à partir quand deux colosses me barrèrent la route.

  • Assieds-toi là-bas en attendant Rado, veux-tu ?

On sentait bien l'ordre dans cette phrase, il était juste déguisé en question. Je m'exécutais et une jeune femme m'apporta une bière et une portion de ragoût.

  • C'est payé par l'orateur.

Mon état de famine me poussa à me jeter instantanément sur la nourriture. Je me régalais de ce simple mets de taverne comme s'il avait été un banquet des temps jadis. Alors que je terminais mon écuelle, la voix de mon sauveur résonna dans la pièce. Debout sur une table il annonça d'une voix claire :

  • Bonsoir à tous ! Je me nomme Radovin. Je sais que beaucoup d'entre vous ne sont venus que pour la nourriture et je ne vous demande rien de plus que de m'écouter. Si je vous ai réuni c'est que j'ai besoin de votre aide. Et vous de la mienne. Depuis combien de temps vivez-vous dans la terreur ? Depuis combien de temps vous nourrissez vous des restes des hybrides ? N'en avez-vous pas assez d'être du bétail ? De vendre votre corps pour survivre ? N'êtes-vous pas las de plier l'échine jusqu'à ce qu'elle se brise ?
  • Et que faire d'autre ? Nous ne sommes pas des héros, nous n'avons guère leur force, ni même de magie, intervint un chef de famille dans la salle.
  • Vous préférez donc mourir en esclave plutôt que de mourir en homme libre ? C'est ce monde que vous souhaitez léguer à vos enfants ?
  • l n'en existe pas d'autre. Ceux qui affirment le contraire sont des menteurs ou des charlatans.
  • Je me souviens qu'au temps jadis, des humains luttaient contre les hordes hybrides.
  • Des fables ! Des foutaises pour enfants.
  • Si je vous disais que je ne suis pas de votre monde mais d'un monde où les hommes vivaientlibres.
  • Nous sommes au courant de l'invasion. Vous n’avez pas très bien résisté il me semble ! railla l’homme.
  • Les légendes sont bien réelles, dit Radovin en abaissant son capuchon.

Il dévoila un visage aux caractéristiques peu communes, un visage sortit d'un glorieux passé. Sous l'effet de la surprise j'avalais de travers alors que la lourde porte de la taverne s'ouvrit, révélant le fin mot sur la véracité des anciens contes. L'espoir, un loup ailé, traversa la salle et se dressa lentement sur la table à côté de Radovin.

  • Maintenant ma question est la suivante : êtes-vous des lâches, du bétail ou pire des traîtres à votre race ? OU ÊTES VOUS DES NÔTRES ? rugit Radovin alors que ses pupilles se teintèrent d'une couleur vermeille.

La salle s'embrasa sous les clameurs alors que les hommes se bousculaient pour se porter volontaires. Alors que je me portais volontaire ! Pour la première fois depuis des années j'avais une raison de lutter, une raison de vivre.

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