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Première phrase (en gras) provient de La maison hantée, Shirley Jackson.
Theodora — c’était le seul nom qu’elle utilisait : sur ses dessins (bien que signés « Theo », à la porte de son appartement, sur la vitrine de sa boutique, dans l’annuaire téléphonique, sur son papier à en-tête et en bas de la jolie photographie qui trônait sur la cheminée, partout elle n’était que Theodora —, Theodora, donc, ne ressemblait nullement à Eleanor. Elle flânait le soir, suivant le long de la rivière tout en fredonnant une musique particulière que sa mère lui avait humé lorsqu’elle était petite. Au rythme de l’eau, elle avançait, dansait presque dans un théâtre d’étoiles dont le public n’était que des habitués du cours d’eau. Son grand-père disait qu’elle était comme son arrière-grand-père, qu’elle ne pouvait pas rester trop longtemps à un même endroit, qu’elle pouvait disparaître. Pourtant, Theodora n’avait jamais pu s’évader, disparaître au coin d’une rue et ne jamais revenir. Peut-être que sa tendre famille y était pour quelque chose. Toutefois, cette dernière ne lui parlait plus depuis « l’affaire Fabien ». C’était comme si elle les avait trahi alors qu’elle en était la victime.
« Encore là ? demanda un vieil homme en s’asseyant à ses côtés sur un banc.
— Encore là, répondit-elle, le regard rivé sur l’horizon.
— Vous devriez déployer vos ailes pour être libre du passé et des contraintes, d’échapper à ceux qui vous enchaînent sur ce coin de terre. »
Qu’attendait-elle réellement ? Crever sans avoir rien découvert, sans avoir rien vu ou sans avoir rien visité ? Devait-elle se plier aux exigences de la société, de ce monde sale et cruel qui ne cesse de détruire la moindre parcelle de bonheur qu’elle dégage ? S’envoler.. Pouvait-elle vraiment le faire ?
« Vous pouvez. Ne laissez pas les faux Dieux vous mener la vie dure. Vous êtes libre de tracer vos propres chemins dans ce monde bien dur. »
Parfois, il suffisait d’un simple inconnu pour disparaître sans un mot.
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