Chapitre III : Antarnova Velikolepnaya
Cyril ouvrit brusquement les yeux, en sueur et haletant. Il fixa le plafond immaculé le temps que sa respiration retrouve un rythme normal.
— Tout va bien, capitaine ? Vos signes vitaux sont en alertes et je détecte une intense montée d’adrénaline.
— C’est juste un cauchemar, Orea. Je vais bien.
Lorsqu’il se redressa, son regard fut aussitôt attiré par l’imposant bâtiment qui se dessinait dans l’espace à travers son hublot. La station Antarnov V87 s’étirait sur plus de cinq kilomètres de long pour deux de large, et était haute de vingt étages. Un bloc de métal et de verre titanesque capable d’abriter dans le vide stellaire une dizaine de millions d’habitants en toute autonomie.
— Alors c’est ça, Antarnova, la ville au-delà de l’univers ?
— Affirmatif, capitaine.
La station Antarnov V87, plus connue sous le nom d’Antarnova Velikolepnaya (Antarnova la Superbe), était le plus grand bâtiment spatial Russe jamais construit. Les travaux pour sa réalisation avaient débuté en 2105 et s’étaient achevés trente-trois ans plus tard. Un chantier colossal qui coûta la vie à près d’un demi-million de citoyens de l’URSS II. Mais le projet s’avéra être un gouffre financier tel qu’il mit le pays en faillite. Elle fut rachetée en 2145 par le Groupement International des Populations Libres qui comprenait une partie de l’ancienne Union européenne, les États-Unis d’Amérique, le Brésil, l’Inde et l’Union des pays d’Afrique du Nord. Elle fut alors transformée en poste d’aiguillage pour les voyageurs désireux de se rendre dans l’une des nombreuses colonies de la constellation d’Andromède. À son plus haut rendement, deux-cent-cinquante navettes y transitaient chaque jour.
Mais pour l’heure, le calme qui régnait autour du bâtiment donnait bien plus l’impression qu’il était abandonné. Une tranquillité angoissante et oppressante qui fit frissonner Cyril.
— As-tu annoncé notre arrivée ?
— Affirmatif, capitaine. Mais je n’ai reçu aucune réponse. Dois-je tout de même lancer la procédure d’atterrissage ?
Malgré le mauvais pressentiment qui ne le quittait pas depuis sa renaissance, il leur était impossible de faire marche arrière. Ils devaient absolument trouver de l’aide, ainsi que des réponses.
— Affirmatif, Orea. C’est un ordre.
Une série de bips strident résonnèrent tandis que le Conquérant Stellaire entamait sa manœuvre d’approche. Cyril rejoignit le poste de pilotage pour superviser l’opération. Sur les murs de la station, quatre gyrophares orange se mirent à clignoter aux coins d’un sas de plusieurs dizaines de mètres de haut, tandis qu’il s’ouvrait en libérant de petits nuages de vapeur. Le vaisseau se stabilisa avant d’avancer doucement, droit vers la bouche béante et sombre du monstre d’acier.
— Pourquoi n’y a-t-il pas d’éclairage ?
— Il semble que la station manque d’énergie, capitaine. Les systèmes de secours sont enclenchés.
— Peux-tu déterminer pour quelle raison ?
— Négatif, capitaine.
Cyril scrutait nerveusement l’obscurité, comme si une créature allait brusquement en surgir pour les dévorer. Fort heureusement, le vaisseau se posa sans encombre dans l’immense garage de la station.
— Orea ?
— Oui, capitaine ?
— Peux-tu scanner la station à la recherche d’êtres vivants ?
— Négatif, Capitaine. Son système de défense est conçu pour empêcher toute forme d’intrusion électromagnétique. Je peux cependant me connecter au registre pour évaluer le nombre de résidents actuel.
— D’accord, fais-le.
Cyril se laissa tomber au fond de son siège en soupirant, le regard perdu sur la nuée de diode qui clignotaient au-dessus de sa tête. Ses doutes et peurs se transformaient inexorablement en crise d’angoisse.
— La station est censée être habitée par un peu moins de six millions d’êtres humains. Cependant, les données n’indiquent aucune activité depuis presque treize ans.
— Tu veux dire qu’il n’y a plus personne à bord ?
— Je n’ai pas de réponse à cette question, capitaine. L’appareillage des fonctions de première nécessité ainsi que certains droïdes de maintenance sont opérationnels, mais une avarie est à déplorer dans le système de production d’énergie, ce qui explique l’absence de lumière.
— En d’autres termes, je suis obligé d’aller voir par moi-même.
— Affirmatif, capitaine.
Cyril resta silencieux plusieurs minutes, le temps pour lui d’évaluer tout ce qu’impliquait une telle action. « La station a probablement été abandonnée après ce mystérieux incident dont parlait le message radio. Mais pourquoi une menace aussi lointaine les aurait poussés à s’enfuir ? On est à plus de deux années-lumière de la Terre... », pensa-t-il, tandis que la boule dans son ventre s’était déplacée dans sa gorge.
— Votre combinaison est opérationnelle, capitaine.
La voix au timbre robotique d’Orea le tira de ses interrogations. Il se leva machinalement et se dirigea vers l’ascenseur pneumatique pour se rendre au sas de sortie extravéhiculaire du vaisseau. À l’arrivée, il ne put se retenir de vomir. Peut-être encore les effets de sa renaissance, ou était-ce la crise de panique qui l’avait envahi lorsque son esprit avait visualisé l’impensable.
« Et s’ils étaient tous morts ? »
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