Tartifle descend la rue, morose. Il sait ce qui l'attend à la maison. Bénédicte et lui ça ne va plus depuis longtemps. Ils n'ont plus les mêmes projets d'avenir depuis un moment. À chaque pas qui le rapproche de sa Bénédicte, il sent son cœur se ramollir. Leurs parents les avaient prévenus, il y a quelques mois. Mais ils étaient jeunes, s'aimaient, c'est tout ce qui comptait !

Quand Tartifle ouvre la porte d'entrée, il sent immédiatement que l'atmosphère est tendue. Il aimerait que le temps s'arrête. Qu'il n'ait pas à subir ça. Ni lui, ni elle. Parce qu'il en est sûr, elle l'aime encore.

Bénédicte l'attend dans la cuisine. Quand il la voit, il se souvient de la première fois que ses yeux se sont posés sur elle. Sa coquille si blanche, sa forme si parfaitement ovale. Il ne lui avait trouvé aucun défaut. Ce fut le coup de foudre immédiat. Il l'avait dévorée du regard toute la soirée. Elle, elle l'avait fait mariner plusieurs heures.

Tartifle et Bénédicte se regardent dans les yeux. Personne ne parle. L'un souhaitant que l'autre commence. C'est finalement Bénédicte qui saute le pas.  

 - Il est temps Tartifle. On savait que ça allait arriver tôt ou tard, dit-elle en sanglotant.

Tartifle ne veut pas laisser tomber, une petite voix au fond de lui hurle de la retenir. Leur amour ne peut pas se terminer pour une histoire de température. Tartifle refuse d'y croire.  

 - Non attends ! Il doit y avoir une autre solution. Je t'aime, je ne veux pas te perdre.  
 - Ne rends pas les choses plus difficiles Tartifle. Tu es une patate, je suis un œuf. On ne peut plus continuer comme ça et tu le sais. Je dois aller vivre dans un endroit plus froid. Sinon je ne vais pas me conserver encore longtemps.  
 - Alors je viendrais avec toi ! S'il te plait, ne me quitte pas ! Nos temps de conservation seront peut-être différents mais je serai avec toi. Bénédicte fond en larmes.

La voir ainsi, réduit peu à peu Tartifle en purée.

 - Ne sois pas idiot ! Une patate ne vit pas dans les zones froides ! Tu dois rester à température ambiante ! Qu'est-ce que tu vas devenir si tu me suis ? Je refuse !

L'œuf marque une pause et sert Tartifle dans ses bras. Il ne peut s'empêcher de penser au mariage qu'ils s'étaient imaginé tous les deux. Tous les œufs et les patates se seraient entendus. Tous heureux, de leur jeter du riz. Une salade de riz digne de ce nom ! Bénédicte avait dessiné sa robe parfaite, en meringue, comme sa mère avant elle. Ils s'étaient imaginé la lune de miel parfaite. Sur une île flottante au soleil. À chaque fois qu'ils en parlaient, il lui disait "attends de voir comment je vais te monter en neige ce soir-là" et elle rigolait. La voir rire, remplissait le cœur de Tartifle de bonheur. Ils auraient pu continuer de profiter du goût sucré de la vie ensemble. Mais le destin en a décidé autrement.

Bénédicte se dirige vers la porte du frigo, le cœur lourd. Avant de la refermer, elle se retourne vers sa pomme de terre préféré et dit :  

 - Peut-être que le destin nous réunira un jour. Peut-être que le destin nous réunira dans notre salade de riz !

Elle referme la porte laissant Tartifle seul, son cœur réduit en purée.