Le grand chef, Madame G. et le négatoscope
"L'humour est un phénomène universel, un fait quotidien porteur d'une valence positive valorisée dans notre société. Le sens de l'humour est subjectif, inhérent à chaque personnalité, compliqué à évaluer. On pourrait le cataloguer d'objet indéfinissable par une absence de normes."- source inconnue-
La question est de savoir si l'humour a sa place à l'Hôpital...
Le négatoscope
Accroché sur les murs de la plupart des services, le négatoscope éteint n'apporte rien au décor hospitalier, qui ne cherche d'ailleurs pas du tout à figurer dans une quelconque revue de design et décoration. Mais quand on l'allume, cet écran attire des blouses blanches qui tel un essaim bavard examinent et interprètent des radiographies.
L'essaim de blouses blanches
La radio plaquée avec assurance sur l'écran lumineux est observée, commentée, comparée avec un autre cliché, un autre profil. Les têtes se penchent, les corps s'approchent puis reculent, les stylos sont pointés vers un détail précis. On se gratte le menton, on opine, on hausse les sourcils. Un externe regarde ses pieds.
Madame G.
La chemise de nuit informe de l'hôpital, aux boutons-pression capricieux, ne rend pas hommage à l'allure générale de Madame G., 89 ans. Pas plus que sa coiffure "saut du lit". Et que dire de ses pieds nus ? Madame G. n'en a cure. Elle présente des "troubles cognitifs majeurs"... pour ne pas dire "maladie démentielle". Ce détail n'a plus aucune importance pour elle, d'autant qu'en ce moment précis, elle s'est placée dans l'essaim des blouses blanches, juste derrière le médecin chef de service, face au négatoscope qu'elle observe avec beaucoup d'attention, les mains dans le dos, exactement comme le Grand Chef. Je savoure ce fugace instant de grâce... Il ne manquerait plus que Madame G. avance un diagnostic !
Le Grand Chef
L'essaim se disperse, le chef a bougé et remarque enfin Madame G. à ses côtés, toujours en contemplation studieuse devant la radio lumineuse. Moue agacée du chef. Il faut dire que le séjour de Madame G. se prolonge un peu, faute d'une solution d'aval adaptée à ses besoins, son état de santé, son isolement... bref, toutes ces raisons qui deviennent mes impératifs d'assistante sociale. "Elle va rester combien de temps encore ?" me demande t-il. Et je m'entends lui répondre : "elle sortira à la fin de son stage, comme tous les étudiants".
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