EPILOGUE
Le lendemain matin, un parfum de renouveau flotte dans l’air.
La tempête de goélands et de crabes enragés s’est dissipée aussi soudainement qu’elle a éclaté. Le plan ingénieux de Sherlock, cette distribution de nourriture piégée, a porté ses fruits au-delà de toutes les espérances. L’idée d’ajouter un peu de drogue au festin a permis de rameuter goélands et crabes éparpillés dans toute la Cornouaille et de mettre fin au chaos en un temps record.
Dans la maison de retraite, un calme étrange règne à nouveau. Depuis les fenêtres, Sherlock, les yeux cernés par une nuit blanche agitée, observe en silence les équipes nettoyer le chaos. Des voitures détruites, des vitres cassées, des rues encore jonchées de débris, des vies brisées.
Des techniciens, vêtus de blanc de la tête aux pieds, ramassent méthodiquement les crabes et les goélands endormis par les somnifères et les glissent dans des aquariums ou dans des cages. L’ancien policier esquisse un sourire en coin. Après tant d’années passées à résoudre des énigmes banales, c’était ironique que sa plus grande affaire ait attendu la retraite pour se présenter. Comme quoi, la patience finit toujours par payer.
Dehors, Gwenaëlle, plus énergique que jamais, supervise l’opération de sauvetage. Un pendule à la main, elle arpente les rues en tentant d’identifier les animaux qui n’auraient pas supporté les doses de somnifère. Puis, à grands renforts de gestes et d’instructions, elle s’assure auprès des techniciens qu’aucun mal ne soit fait aux animaux. Ils seront transférés vers des parcs zoologiques et des aquariums de la région, où ils suivront une cure de désintoxication avant d’être réintroduits dans leur habitat naturel. À ses côtés, Maryvonne s’active, aidée par les parents de Gwenaëlle, unis dans une sorte de rédemption silencieuse vis-à-vis de leur fille. Ils ont des excuses à formuler, et regagner sa confiance sera un long chemin.
Un peu plus loin, Léna et son caméraman capturent les dernières images de cette étrange aventure. Ils sont presque assurés de vendre leur documentaire à Netflix. Aucun ingrédient ne manque : écologie, enquête policière, drogue, huis clos, petits drames humains. Pas de doute, leur reportage fera grand bruit, et sans doute que dans quelques années, on en parlera encore avec la même stupeur.
La Bretagne a retrouvé son calme, mais une étrange sensation flotte dans l’air. Quelque chose a changé. Les habitants, les retraités, et même cette petite maison de retraite ne sont plus tout à fait les mêmes. Dorénavant, on regardera le ciel d’un autre œil, et les assiettes de surimi évoqueront à jamais cette marée improbable de crabes fous. Peut-être même que plus personne n’osera en manger. Ce n’est pas plus mal, car c’est une véritable cochonnerie.
Le monde a changé, même un tout petit peu, mais parfois, cela suffit.
Et Georgette, dans tout ça ?
Elle a été rapidement prise en charge par de vrais médecins, qui ont pouffé de rire en découvrant la réparation approximative que lui avait faite Gwenaëlle. Ils n’ont pu s’empêcher de partager la scène sur les réseaux sociaux avec les hashtags #lithothérapie #escroquerie. Vexée, Gwenaëlle s’est bien gardée de commenter, elle préférait s’occuper des urgences animales plutôt que de polémiquer. Elle avait d’autres crabes à ne pas fouetter.
Quant à Maurice, avant que Georgette ne parte à l’hôpital, il s’est enfin décidé à lui avouer ses sentiments. Cette épreuve lui a ouvert les yeux. Quand on frôle la mort, on se rend compte de ce qui importe vraiment. Bouquet de crevettes à la main, il lui a déclaré sa flamme, un brin tremblant comme un jouvenceau. Après tout, l’amour n’a pas d’âge, même au crépuscule de la vie. Mais Georgette, fidèle à elle-même, s’est contentée de répondre avec un sourire moqueur :
— Alors c’était ça ton fameux secret ? Tu étais amoureux de moi ?
Maurice a rougi de confusion et acquiescé en silence. Mais dans son cœur, il sait que ce n’est pas ça, son plus grand secret. Il n’a toujours pas eu le courage de lui avouer la vérité : il n’est pas Breton, mais Normand.
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