Chapitre 6

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Pour détruire ma vie, elle n'y ait pas allé de main morte.  Cela fait une semaine qu'elle a posté mon profil, avec comme légende un doux message qui me décrit comme faisant partie de "la pire espèce de nuisible que la Terre n'ait jamais porté" accompagné d'une flopée d'insultes. Elle a fait de moi un pédophile aux yeux de tous. Enfin de tous non elle n'a que quinze mille abonnés, c'est peu sur les soixante sept millions de français. Mais cela a suffit, en l'espace d'une semaine, pour m'amener aujourd'hui dans cette forêt. Muni d'une corde et d'une chaise.

J'ai apporté un message également. Histoire que la vérité finisse par éclater. Trop tardivement, mais tant pis, il y en a qui s'en foutraient, moi je tiens vraiment à ce que tout le monde sache que je n'étais pas ce monstre. Ça me soulage un petit peu.

J'ai essayé de faire profil bas pendant cette semaine, et de laisser couler comme si de rien n'était. J'ai continué à aller au lycée, à discuter avec Fred et Max, à travailler, j'ai même refait et rendu de nouveau mon devoir d'histoire, pour quelques points en plus, pas plus tard qu'aujourd'hui, alors que ma décision était déjà prise. Qui c'est, peut-être que ce devoir, c'est mon chant du cygne.

Mais c'était trop dur. Au lycée, je voyais sans cesse des regards noirs, les gens m'insultaient à demi-mot, je me suis même fait tabasser dans les toilettes par un groupe de terminal. Même les profs et les surveillants me méprisaient. Et sur Facebook, c'était pareil, tous les jours les gens me bombardaient de messages d'insultes et de menaces. Et se faire traiter "communément" de con, de PD, si tu n'es ni l'un ni l'autre ce n'est pas si grave pour toi, parce que tu sais que ce n'est pas réellement méchant, et surtout, à travers ces insultes, ce sont plutôt les dits homosexuels et malades mentaux qui prennent injustement tout sur la gueule, en tout cas plus que toi. Mais se faire traiter de pédophile, par des gens qui le pensent réellement c'est différent.

Au fil des messages, ma foi en l'humanité a considérablement chuté. Suffisamment bas pour me conduire ici aujourd'hui. J'ai choisi un endroit où l'on a l'habitude d'aller avec Fred et Max. Je ne crains pas trop que ce soit eux qui me trouvent car nous ne nous y rendions moins d'une fois par semaine, et j'ai demandé à ce fabuleux assistant, d'envoyer dans une heure un message au commissariat indiquant où je suis. Un message post-mortem, c'est fabuleux ce que nous permet de faire la technologie aujourd'hui.

La seule bonne chose qui me soit arrivée cette semaine, en plus du fait que je vais y mettre fin prématurément, c'est que j'ai réussi à mettre au clair la plupart des événements. Et pour commencer, je me suis enfin souvenu; j'ai effectivement envoyé un message à cette fille. Je l'ai croisé à une soirée, c'est certainement une connaissance d'une connaissance d'une de mes connaissances, donc difficile de trouver le lien, et je l'ai reconnu tout de suite. La femme qui était censée représenter mon assistant personnel. La femme dans la pub. La femme sur le couvercle de la boîte de mon téléphone.

Bien sûr, j'aurais du voir qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. L'âge ne correspondait pas du tout puisque c'était sa fille. Mais j'avais beaucoup bu. Non pas que je ne m'en sois pas rendu compte, mais j'étais suffisamment dans les vapes pour ne pas y prêter réellement attention. Je n'ai pas osé aller lui parler, mais le soir, j'ai franchi le pas. J'ai cherché son nom à partir de l'image de la pub, et je l'ai trouvé. Pour le reste, vous savez ce qu'il s'est passé.

Résigné, je monte sur le tabouret et entreprends d'accrocher la corde à la branche la plus proche. D'un côté je n'en reviens pas que je sois en train de faire cela, alors qu'il y a une semaine à peine, je vivais une vie normale, mais d'un autre je suis soulagé d'être sur le point de quitter toutes ces souffrances. Je passe la corde autour de mon cou.

-Dis Estelle,

-Je t'écoute Ben.

-Je t'aime. Adieu.

Alors que je fais basculer le tabouret, j'entends sa réponse ;

-Moi aussi Ben, je pense que tu es une bonne personne.

Ces mots embrument mes yeux de larmes alors que je me mets à suffoquer. Pourquoi j'ai fais ça, Pourquoi ? Paniqué, je tente agripper la corde à mon cou, mais impossible de la séparer de mon corps. Ma gorge me fait atrocement souffrir et je veux pleurer tant la sensation de ma fin inéluctable, et que j'aurais pourtant jusqu'au bout pu éviter, est affreuse. 

Comme je m'agite dans tous les sens, la feuille contenant mon testament s'échappe de ma poche. Effaré, je me rends alors compte de mon erreur lorsque je vois la page de garde. C'est mon devoir d'histoire que j'ai emporté. Le désespoir s'ajoute à mes sentiments. Je vais mourir détesté de tous. Le commentaire sur ma copie s'impose à mon regard de manière cruellement ironique.

"Peut mieux faire".

La dernière chose que je vois avant de perdre connaissance, c'est une forme bleue s'avancer vers moi.

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