Epilogue
Vous contemplez le liquide ambré. Son écume éthylique s’agite. Du bout des doigts, vous sentez les vibrations du bar contre lequel vous êtes assis, martelé des brusques mouvements et éclats de rire d’un groupe de marins fort éméchés. Vous n’êtes qu’à quelques pas, pourtant, une ambiance bien différente vous entoure. Plus terne, plus triste.
Vous étiez comme eux, autrefois, mais votre dernier voyage vous a profondément marqué. Vous auriez pu les rejoindre, payer leur tournée et probablement terminé bras dessus, bras dessous, hilares, dans les ruelles puantes et mal éclairées du vieux port. Cependant, vous préférez vous cloîtrer dans votre solitude.
Votre esprit est brumeux, enfumé par l’alcool. L’homme derrière le bar récupère la monnaie que vous avez laissée sur le comptoir d’un geste qui vous parait beaucoup trop vif pour être naturel. Il vous sert un nouveau verre, qui vient s’ajouter à une trop longue série. Quand vous le buvez, le whisky ne vous brûle même plus l’œsophage.
Vous captez le regard inquiet du tenancier qui vous fait face, alors qu’il dévisage sa femme occupée à servir plusieurs tables en se déhanchant entre les marins bourrus. Sa voix couvre toutes les autres, dans un patois particulièrement prononcé. Le couple n’est pas sans vous rappeler un autre, qui habite loin, bien loin ; là où personne d’autre ne vit. Sauf peut-être une partie de vous.
Les heures passent, les verres s’enchainent, et vous sentez un sursaut de courage vous traverser. Vous utilisez cet élan pour vous lever et tanguer vers la sortie. Vous tentez vainement de suivre le quadrillage des pavés, mais maintenez votre cap vers votre navire.
Vous êtes seul dans cette rue désertée même par les rats. Le bruit de vos bottes tambourine dans votre crâne, solidement éméché. Vous n’êtes pas même certain que tout ceci est réel. Tout est trouble autour de vous. Néanmoins, vous remarquez une affichette sur la façade d’un entrepôt : « Cherche navire pour le Grand Nord. ». Vous vous approchez de l’annonce et …
— ... la saisissez, prêt à repartir à l’aventure. (Seul(s))
— ... la déchirez. C’en est finie de toutes ses horribles péripéties. Vous aspirez à une vie plus calme, plus normale. Même si pour ce faire, elle devra se terminer dans un monde qui n’est pas vôtre, mais… ainsi va la vie, n’est-ce pas ?
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