Chapitre 18 : Séréna
Dans les ténèbres, Séréna percevait plus qu’elle ne voyait les créatures terrifiantes qui s’y tapissaient. Des bruits sinistres retentissaient : des grognements, des borborygmes effrayants. Une sueur glacée dégoulina dans le dos de la Tisseuse de Rêves. Elle tira sur les chaînes qui l’entravaient, mais elles étaient solides et acérées.
Son cœur battait de manière désordonnée, son souffle se précipita et elle sentit la panique monter en flèche. Impossible de fuir, impossible de contre-attaquer. Le poids d’une nuit sans sommeil s’abattit brusquement sur ses épaules.
Réfléchis, putain ! Réfléchis !
Astrid ne lui donna pas ce loisir. L’esprit de Séréna était ralenti, englué par la panique. Les bêtes d’ombres attaquèrent. La Tisseuse de Rêves se recroquevilla et ferma les yeux, attendant un impact qui ne vint jamais. Elle entrouvrit les paupières et s’aperçut que les créatures s’étaient immobilisées à quelques mètres d’elle. Sa peau brillait faiblement. Mais, c’était une lueur suffisante pour tenir les Cauchemars d’Astrid à distance.
Séréna regarda sa main qui luisait et cette lumière réchauffa son cœur, en chassant partiellement sa panique. Elle perçut de nouveau cette pulsation dans sa poitrine, une sensation étrange et pourtant familière : sa magie des Rêves. Elle coulait en elle, dans ses veines et elle tenait à distance le pouvoir corrompu d’Astrid. En fermant les yeux, elle libéra la magie qui pulsait sous sa peau. Libérée de la peur, elle distingua la trame, le tissage qu’elle pouvait déployer où bon lui semblait. Instinctivement, elle comprit qu’elle pouvait prendre le contrôle du Cauchemar, le transformer, et le libérer de l’obscurité.
D’une simple pensée, elle brisa les chaînes qui l’entravaient, puis la lumière qui émanait toujours d’elle inonda les ténèbres qui la cernaient, dissipant les monstres d’ombre qui l’entouraient.
Elle distingua de nouveau Astrid. La Corrompue, les traits déformés par la rage, invoqua de nouveau son pouvoir ténébreux.
- Non ! Je te tenais ! Tu étais à ma merci ! Comment t’es-tu libérée ?
Séréna n’avait plus besoin de fermer les yeux pour distinguer l’aura de la malédiction qui pesait sur Astrid. C’était un maillage complexe de magie des Cauchemars mêlée à un autre pouvoir. Elle repoussa sans peine la nouvelle vague d’obscurité que son ennemie projeta sur elle.
Plongeant davantage dans le puits de pouvoir qui semblait s’être ouvert dans sa poitrine. Alors qu’elle s’immergeait de plus en plus profond dans sa magie, elle perçut autre chose. Comme si son esprit avait subitement accès à un nouveau plan d’existence, un savoir ancestral qui jsqu’à présent dormait en elle. Comme si une porte s’était ouverte dans sa conscience, libérant un nouveau champ des possibles.
Un grondement puissant retentit dans ses oreilles. Mais, qui paraissait jaillir des profondeurs de son être. Séréna comprit que deux pouvoirs circulaient dans son corps. Sa magie des Rêves, qui, elle le savait à présent, avait toujours été présente et qu’elle maîtrisait parfaitement, ainsi que cette autre source magique : un pouvoir qui était en réalité l’union de plusieurs éléments.
Elle devina que d’une simple intention, elle pourrait déchaîner l’eau, embraser l’air, déclencher un tremblement de terre ou une tempête de vent. Elle réalisa qu’elle avait davantage conscience du monde qui l’entourait. La pierre qui les cernait à l’intérieur de la brèche, les rochers à la surface, la présence ténébreuse d’Astrid et celle nimbée d’ombre de Tamara.
Son ennemie paraissait déstabilisée par sa résistance et Séréna en profita pour reprendre l’avantage. Elle utilisa sa magie des Rêves, pour inonder la faille des peurs de Tamara avec sa lumière et tout naturellement, elle comprit qu’elle savait comment combiner ses pouvoirs pour chasser la Corruption du cœur d’Astrid. C’était comme si avoir ouvert cette porte en elle lui offrait une succession de perspectives dont elle ne soupçonnait même pas l’existence.
La Tisseuse de Rêves commanda et la magie arcanique obéit : de l’eau jaillit de ses mains et même de la terre qui les entouraient, un bouclier aquatique se forma autour d’elle, la protégeant des attaques incessantes d’Astrid. Elle lança une vrille d’eau vers la Corrompue, détrempant le sol autour d’elle. Puis, elle commanda à la boue ainsi formée d’immobiliser les jambes de son ennemie. Les pieds d’Astrid s’enfoncèrent profondément dans la terre, l’entravant.
Séréna tendit son esprit vers celui de la Corrompue et imposa à son cœur de battre plus vite, accélérant par conséquent la circulation dans les vaisseaux sanguins. Elle tissa alors un rêve à l’intérieur même du corps de son adversaire, un songe dans lequel elle traquait chaque parcelle de la malédiction qui hantait Astrid en utilisant son système circulatoire pour la cantonner au niveau de ses poumons et la filtrer hors de son sang, l’obligeant ainsi à tousser pour exhaler tout l’air vicié qui s’y trouvait.
Un nuage de particules noires sortit de la bouche et du nez d’Astrid alors qu’elle toussait au point de s’en étouffer. Séréna contraignit ensuite l’oxygène contenu dans l’air à s’embraser, détruisant l’exhalation noirâtre de ce qu’il demeurait de la Corruption. Enfin, une brise légère dissipa les cendres qui résultaient de la combustion.
Astrid cilla et chancela, Séréna la libéra de l’emprise de la terre autour de ses chevilles. L’ancienne Corrompue tomba à genoux et vomit encore des sécrétions noires que Séréna s’empressa d’incendier. Astrid, désormais libre, releva la tête, révélant de très beaux yeux marron piquetés d’ambre. La jeune femme à la peau d’un brun chaud, regarda autour d’elle, ses traits teintés d’incompréhension. Elle repoussa la masse de ses cheveux noirs tressés, puis son attention se porta sur Séréna.
- Je... Je crois que j’étais prisonnière d’un cauchemar, murmura-t-elle maladroitement. Un songe effrayant qui ne connaissait pas de fin. Il n’y avait que la peur et l’obscurité. Je ne pouvais pas lutter.
Même sa voix avait une inflexion plus douce.
- Mais tu es venue, continua-t-elle un peu plus fort en fixant Séréna. J’ai entendu ta voix, tu m’as montré le chemin pour retrouver la lumière. Merci. Merci infiniment.
Séréna ne savait que répondre. Elle-même peinait encore à croire en ce qu’elle venait d’accomplir. C’est alors que son ancienne ennemie commença progressivement à disparaître. Son esprit désormais libéré de l’emprise de la Corruption regagnait probablement son corps sur Terre. Ainsi, elle serait la première victime de la Corruption à se réveiller. À cette pensée, Séréna sentit l’espoir gagner son cœur. Il existait bien un remède, et ce remède, c’était elle, grâce au formidable pouvoir qui coulait dans ses veines.
Les ténèbres avaient disparu, la plate-forme et l’escalier étaient réapparus. Séréna rejeta la tête en arrière, prise de vertige. Son souffle était court et de la sueur perlait sur ses tempes.
Libérer Astrid lui avait demandé un effort considérable, elle le réalisait seulement à présent. Une voix cria son nom et elle aperçut Charlie et Armand dévaler les escaliers pour courir à sa rencontre.
- C’était extraordinaire, lui dit le Prince, une lueur d’admiration dans le regard. Une véritable prouesse !
- Flatteur, répondit-elle avec une lueur de malice dans le regard.
- C’est à peine croyable, poursuivit Charlie, enthousiaste. Tu es parvenue à combiner le pouvoir de six Arcanes Centraliennes avec ta magie des Rêves, rompant ainsi la malédiction ! Tout cela sans jamais avoir reçu le moindre enseignement magique.
Elle saisit les mains de Séréna et les serra avec force.
- Et ce n’est pas tout ! ajouta-t-elle. En délivrant Astrid, tu as également libéré ses soldats ! Les Corrompus qui l’escortaient n’étaient autres que des Rêveurs plus modestes dont les astres tournaient autour de sa propre Lune. Séréna, tu représentes un espoir immense dans le combat contre Sigrid.
Elle se tourna vers Armand, son regard toujours admiratif.
- Quant à son Altesse le Prince, il a été formidable, en affrontant seul les guerriers Septentrionaux restants.
- Ce n’était pas grand-chose, affirma Armand en haussant les épaules. Ils n’étaient qu’une poignée.
Mais, Séréna les écoutait à peine. Une fois qu’elle eut recouvré son souffle, elle se tourna vers la cellule dans laquelle Tamara était retenue. L’Astre de cette dernière n’évoluait pas dans la Constellation d’Astrid et elle était donc toujours menacée par la Corruption.
Elle combla la distance qui la séparait de la cage. Le sang battait douloureusement à ses tempes et des taches noires dansaient devant ses yeux. Néanmoins, rien ne pourrait la détourner de son but.
- Séréna attend ! l’avertit Charlie. Tu devrais te reposer un peu. Il est dangereux de puiser trop vite et trop fort dans tes réserves de magie.
- Il n’est pas question... haleta-t-elle. Que je la laisse une minute de plus là... dedans.
D’une pensée, la jeune femme fit disparaitre les barreaux de la cage, mais Tamara ne remua pas. Séréna se précipita auprès d’elle et, très délicatement, posa sa tête sur ses genoux. La Tisseuse de Rêves convoqua de nouveau son pouvoir aux multiples facettes.
Elle plongea sans hésiter dans l’esprit tourmenté de Tam. Le désespoir se mêlait à la terreur. Elle se fraya un chemin jusqu’à son amie, recroquevillée dans les ténèbres. À présent, elle savait comment procéder. Elle tissa le pouvoir des Arcanes sur le maillage de son Rêve. Comme un filet traquant chaque once de la malédiction qui progressait dans le corps de Tamara.
Séréna s’appuya sur les plus beaux souvenirs qu’elles avaient ensemble. Des sessions de Rôle Play particulièrement intenses. Leur complicité, leurs rires, les nuits passées à discuter et leurs désastreuses expériences culinaires. Elle ne voulait ni la brusquer, ni lui faire du mal, lui tournant la tête sur le côté lorsque Tam se mit à vomir, retenant la masse de ses cheveux bouclés tout en lui murmurant des mots de réconfort à l’oreille.
Lorsqu’elle eut terminé d’expulser tous les excréta noirâtres constituant les restes de la malédiction, Séréna y mit le feu avec un plaisir farouche. Tamara ouvrit les yeux. Toute trace de ténèbres en avait été chassée. Laissant place à leur jolie couleur noisette. Elle se redressa brutalement en poussant une exclamation comme au sortir d’un mauvais rêve.
- Tout va bien, lui murmura Séréna d’une voix douce. C’est terminé.
- Séréna ? s’étonna Tamara, le regard agrandi par la surprise. J’ai cru que j’étais prisonnière d’un cauchemar qui ne connaissait pas de fin.
Séréna sourit tristement en découvrant que l’expérience vécue par son amie était semblable à celle d’Astrid.
- C’était le cas, répondit-elle, la gorge serrée. Mais, à présent, tu es libre. Tu vas revenir à toi. Quand ce sera fait Tamara, je t’en prie, va retrouver Damien. Il a besoin qu’on prenne soin de lui. De son corps, car son esprit est toujours piégé dans le Cauchemar. Je ferai tout ce que je peux pour le sauver lui aussi, je te le promets.
Déjà les contours de Tamara commençaient à s’estomper, signe qu’elle était probablement sur le point de s’éveiller.
- Je veillerai sur lui, tu as ma parole, promit-elle. Merci de m’avoir secourue.
Sa voix se perdit dans le vent alors qu’elle disparaissait. Un silence chargé de tension s’installa seulement troublé par la respiration rapide de Séréna. Ce nouvel acte de magie lui avait demandé un effort supplémentaire et elle sentit une fatigue pesante s’insinuer dans son corps et son esprit. Sa vision se troubla et sa tête devint lourde. Si elle ne s’était pas déjà trouvée à genoux, elle serait tombée. Charlie se précipita vers elle pour la soutenir.
- Je t’avais prévenue. Pratiquer autant la Magie, même lorsque l’on est habitué, c’est épuisant et dangereux. Tu n’as jamais reçu le moindre entraînement. Tu ne dois plus faire appel à tes pouvoirs, tu m’entends Séréna ?
Elle acquiesça. Même ouvrir la bouche pour répondre lui paraissait un effort insurmontable. Le Prince s’était rapproché et la souleva dans ses bras sans avoir l’air d’en éprouver une quelconque difficulté. Il prit la parole de sa voix grave et rocailleuse, comme des galets roulants dans une rivière.
- Nous ne pouvons pas nous attarder ici plus longtemps. La magie déployée a dû alerter tous les Corrompus du secteur. Charlie, pouvez-vous nous proclipser en sûreté ?
- Oui, mais remontons d’abord à la surface, répondit-elle. Ainsi, nous pourrons récupérer mes affaires, qui contiennent des cristaux de proclipsion pour les messages. Fuir, c’est bien, mais pouvoir appeler à l’aide nous sera salutaire.
- Très bien, accepta-t-il. Toutefois, hâtons-nous. Ils seront là d’un instant à l’autre.
La Guetteuse et Armand entreprirent de gravir l’escalier que Séréna avait Rêvé un peu plus tôt. Le Prince la tenait toujours dans ses bras et malgré l’épuisement, la jeune femme sentit une douce chaleur s’épanouir dans sa poitrine. Il sentait le cuir et la bruyère, et plaquée ainsi contre son torse ferme, elle se sentait... en sécurité.
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