Une dernière fois
Un homme habillé en noir de la tête aux pieds, son large chapeau lui couvrant la majeur partie de son visage, attend que la bouteille qu'il vient d'envoyer à la mer s'éloigne suffisamment pour qu'il ne puisse plus l'apercevoir. Cela fait déjà de longues minutes qu'il reste planté là, complètement immobile sur son embarcation, comme une figure de proue que l'on aurait positionnée à la poupe. Son regard est fixé sur le récipient flottant, malmené par les vagues du sillage et devenant de plus en plus petit. La lumière du soleil se reflète dans l'océan s'étendant à perte de vue et le vent est assez puissant pour gonfler les voiles et maintenir une bonne allure. N'importe quel marin aurait trouvé cette journée magnifique mais il n'en avait rien à faire. Il ne pouvait s'empêcher de penser aux mots qu'il venait d'écrire et qu'il avait enfermé dans la bouteille:
Capitaine Jack Lisay
12 Septembre 1718
Je ne sais pas si quelqu'un lira un jour cette lettre. Peut être qu'un animal marin en fera son repas, peut être qu'elle sera trouvée par nos adversaires et qu'elle sera brûlée, comme ils le font avec tous ce qui semble appartenir ou avoir appartenu de près ou de loin à un pirate. Ou peut être bien qu'elle sera trouvée par quelqu'un la trouvant intéressante. Malgré cette incertitude, je ne vois pas d'autre solution pour que quelque chose, n'importe quoi, puisse témoigner de ce que nous vivons et de ce qui est sur le point de nous arriver.
Nous avons pris la mer le 27 aout à bord du Little Whale. Je n'ai plus en mémoire le nom de l'île qui fut notre point de départ, perdue dans l'océan Atlantique. Notre objectif était de contourner l'Afrique pour nous rendre dans l'océan Indien. Je me rappelle clairement du jour de notre départ. Le Little Whale était plus resplendissant que jamais, les membres d'équipage nombreux et nos cales étaient remplis de vivres et de matériel que nous avions pillés ou troqués. Je portais exactement la même tenue qu'aujourd'hui. Des bottes couleur ébène, un pantalon noir, une veste sombre et un chapeau de la même teinte que le charbon. J'enfile cette tenue en plus de mes pistolets et de mon sabre pour les grandes occasions. Un premier ou un dernier jour de voyage ou bien un abordage important. Nous somme très loin de l'océan Indien mais notre voyage semble bel et bien toucher à sa fin.
Chacun de ses objets m'est précieux. Je possède ce grand chapeau depuis que j'ai été capitaine d'un navire pour la toute première fois. C'était il y a 5 ans déjà. Bien que l'équipage ait voté et que la majorité m'avait préféré à mon adversaire qui était aussi notre capitaine actuel, il avait refusé de quitté son poste et m'avait accusé d'avoir donné quelques pièces à certains membres d'équipage pour les corrompre. Je n'ai pas eu d'autre choix que de l'affronter en duel. Ce fut le combat le plus dur et violent de mon existence. Je me souviens pouvoir lire dans son regard qu'il était prêt à mourir et qu'il ferait tout pour m'emporter avec lui. J'aurais certainement perdu face à la pluie de coups de sabre qui s'abattait sur moi si je n'avais pas eu mon pistolet chargé sur moi pour le stopper net d'une balle entre les deux yeux. Les bottes et le pantalon, je les aie obtenus ensemble, je les aie achetés à un artisan du port de Nassau avec de l'argent provenant d'un navire que nous avions pillés, bien entendu. Ma première grosse prise en tant que capitaine. Et ma veste, c'est un trophée que j'ai pris sur le cadavre encore chaud d'un homme qui m'avait trahit, avait mené une partie de mes homme à la mutinerie et déclenché une véritable bataille sur le pont. Cette fois-ci c'est moi qui me suis pris une balle mais cet idiot ne savais pas viser et la balle s'est logeée dans mon bras gauche. Je ressens encore la colère présente en moi ce jour là. Je me suis approché de lui pour le désarmer, je l'ai mis à terre avec un coup de sabre en travers de la poitrine et comme il respirait encore, je me suis saisi de son arme, je l'ai rechargée et j'ai achevé ce traitre avec.
J'oubliais, il y a un dernier objet que j'ai, quant à lui toujours sur moi et qui n'est pas en rapport avec un pillage ou un acte violent. Mon pendentif constitué d'une simple chaine au bout de laquelle pend un disque de la taille d'une pièce de monnaie. Une pièce aussi noire que brillante que j'ai reçu de la seule personne à m'avoir donné l'envie de toujours rentrer au port. Je n'en ai rien dit à l'équipage mais c'est pour la retrouver au bout du monde que j'ai entrepris ce voyage. Finir ma vie à ses côté à voguer sur une mer sans fin où le vent ne cesse jamais de souffler. C'est ce que je vois parfois, dans mes rêves. Mais il semblerait que ça ne soit pas des rêves prémonitoires.
Après quinze jours de voyage sans accros, les galions Anglais sont apparus et nous ont pris en chasse. Nous étions concentrés sur ceux nous poursuivant sans nous rendre compte que d'autres arrivaient en face. L'affrontement était inévitable et nous sommes quand même parvenus à en couler un avec une salve de boulets de cannons bien placée dans le bas de la coque avant que tout le monde ne soit décimé. Puis comme par miracle, le temps à changé en notre faveur. La tempête qui s'est levée fut violente et manqua de nous couler mais nous avons réussis à la traverser plus vite que les Anglais. L'océan est de nouveau calme depuis plusieurs heures maintenant et il faut bien se rendre à l'évidence. Le Little Whale, aussi robuste soit-il, est endommagé, Je n'ai plus qu'une vingtaine de membres d'équipage et nos adversaires sont plus rapides que nous, plus nombreux et mieux armés. La chance qui nous a souris une fois ne se manifestera plus, je le sens, c'est la fin du voyage.
Je ne quitterais néanmoins pas ce monde sans rien faire. Une dernière fois, je me tiendrais sur le pont en donnant l'ordre de hisser notre pavillon noir dont nous, pirates, sommes si fiers. Les cannons tonneront et cracherons sur eux des boulets dévastateurs puis nous nous jetterons sur eux les pistolets prêts à tirer et les sabres prêts à frapper. Je n'emporterais pas comme dernière image de ma vie dans ce bas monde le visage de celle que j'aime mais plutôt celui de mes ennemis terrassés par la peur. Une dernière fois je leur montrerai ce que c'est d'être un pirate.
J.L.
Enfin, la bouteille n'était plus visible mais autre chose était apparu à l'horizon. Cinq navires ayant hissé les couleurs anglaises approchaient dans la direction du Little Whale. C'est maintenant eux qu'il observait en restant toujours aussi calme. Il réajusta sa tenue sombre, serra son médaillon entre ses mains puis, alors que la fin du voyage s'approchait de lui minute après minute, encablure après encablure, il ne put s'empêcher de sourire.
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