En passant sous la porte à battants
Roland continua d’écouter et d’observer les trois clients qui conversaient. L’homme originaire du pays imaginaire expliqua à ses interlocuteurs que beaucoup de ses concitoyens pensaient que la progression vers leur ville de la dislocation était liée à un nouveau phénomène tectonique « l’émergence des ruines d’un temple antique » aux environs de la clairière sise à moins d’une heure de marche de « la sente du fol ». L’évocation du lieu rappela à Roland la chatte noire qui l’avait mené à la chaumière et au « Grimoire ». C’est le moment que l’un de ces félins choisit pour pénétrer dans le poney fringant. Coïncidence qui aurait probablement fait sursauter tout autre que Roland. Mais un observateur, qui aurait réussi à percer l’ombre qui protégeait Roland et à voir son visage dissimulé par le capuchon de la houppelande, aurait tout au plus remarqué un sourcil qui se serait levé.
C’était un abyssin roux qui venait d’entrer dans l’auberge. Le mistigri se dirigea vers les trois hommes attablés, coupant la route à l’aubergiste chargé d’un plateau destiné au trio.
« File ! Allez, va en cuisine ! Nelly te donnera quelque chose ! Mais n’ennuie pas les clients !
– C’est le vôtre ?
– Non ! c’est même la première fois que je le vois.
– Y nous dérange pas ! » répond le plus jeune des trois en reculant sa chaise avant de tapoter sur sa cuisse.
D’un bond, le minet s’installa sur les genoux, si généreusement offerts, pendant que le tenancier posait de nouvelles chopes de bière sur la table, les remplaçant par les vides sur son plateau.
« Patron, mets-nous une friture d’goujons ! Ah ! Ajoutes-en un cru pour Miou ! »
Ses amis et l’aubergiste, interloqués, le regardèrent.
« Gaël, “miaou”, voyons, tu ne peux pas dire “le chat” ? s’exclamèrent ses compagnons.
– À ton âge, réprimanda le cabaretier, avant de se diriger vers la cuisine.
– J’ai pas dit “miaou”, mais “Miou”… Je… J’crois… qu’c’est son nom… »
Cette fois, c’est une oreille se dressant qu’aurait remarquée l’hypothétique observateur de Roland.
« Son nom ? Comment le connaîtrais-tu ?
– J'sais pas, mais c’est bien l’sien, maint’nant, j’suis sûr ! »
Étrange ! Bien entendu, le comportement de ces hommes est normal, depuis la plus haute antiquité, les chats circulent librement dans les villes. Mais cette histoire de nom est troublante... Ce n’est tout de même pas ce… « Miou » que j’attends ?
Pourtant, l’animal regarda dans la direction de Roland, il scruta l’ombre.
Bon, soit, ces commensaux voient très bien dans la pénombre. Mais celui-là est en pleine lumière donc, il ne peut me distinguer. Alors, qu’est-ce qui éveille son intérêt pour ce coin de la pièce ? Devine-t-il ma présence ?
« Moi, j’ouï dire, par un colporteur qui bivouaquait dans c’te clairière, que l’temple l’est pas sorti des entrailles de la Terre, parc’que l’a vu tomber du ciel », rapporte Gaël.
La conversation continua. Gaël caressait Miou. Dix minutes plus tard, l’aubergiste revint, posa la friture et une chope de bière devant eux. Il tendit le goujon cru au matou qui le saisit, descendit des genoux de Gaël, se coucha, à ses pieds, et dévora le poisson. Le patron s’empara de la première chaise à portée de main et s’attabla avec ses clients. La conversation reprit, à quatre.
Lorsqu’il eut fini sa pitance, Miou fit sa toilette, puis regarda vers Roland.
Va-t-il venir vers moi ? Est-il possible que le ka m’ait mis sur la route d’un chat ?
Le matou heurta, de la tête, la jambe de Gaël. Le jeune homme réitéra son geste d’invite. Le chat s’installa sur le giron du garçon ronronnant.
Attendons, le ka décide des routes sur lesquelles il me place.
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