Le guide de la bonne épouse
Tiens, regarde ce que j’ai tricoté ! N’est-ce pas adorable ?
Tu ne bois pas ?
Ah, les glaçons ont fondu… Je suis désolée, je les mettrai au dernier moment la prochaine fois.
Non, laisse enfin, je vais te resservir.
Ses mains devinrent moites, Charles s’était levé pour se servir au minibar. Le bruit du liquide versé et le craquement des glaçons résonnèrent comme le glas de la honte. La voix maternelle – forte et ferme – se fit de nouveau entendre : « Si tu n’es même pas fichue de lui servir à boire ma petite, autant te mettre tout de suite entre quatre planches ».
Elle fut soulagée de l’entendre parler sans mépris dans la voix.
Donne-la-moi, je vais la repriser.
Ah, ça…
Elle s’était habituée aux absences de Charles, mais depuis le début de sa grossesse et surtout ces derniers mois, elle ne le voyait qu’en coup de vent ; c’est à peine s’ils mangeaient ensemble deux fois dans la semaine. Nancy en avait déduit qu’elle avait été négligente. Elle n’avait pas assez bien appliqué les conseils du guide et s’était juré de les connaître par cœur avant l’arrivée de Charles Junior.
Elle était en train de les revoir quand elle lui avait servi son verre de gin-citron plus tôt dans la soirée et l’avait oublié sur le bar.
Maman dit que c’est le seul livre que je dois connaître. Regarde comme il est corné, c’est que je l’ai bien lu !
Charles feuilletait son livre, l’anxiété montait en elle.
Tu ne devrais pas te préoccuper de ça… c’est… c’est beaucoup trop simple pour toi.
Il se mit à rire – d’un rire moqueur ; et elle ne tarda pas à rire aussi.
Travailler les conseils 3 et 8 ?
Nancy fit un effort de mémoire pour se rappeler :
3 : « N’embêtez pas votre mari avec vos problèmes » ;
8 : « Laissez-le parler d’abord – rappelez-vous, ses sujets de conversation sont plus importants que les vôtres. »
Tu as raison et… Je me rends compte aussi que je ne t’ai pas assez bien accueilli tout à l’heure… C’est que j’ai eu une sorte de malaise en me levant…
Excuse-moi, je parle encore de moi et de mes problèmes. Je vais servir le dîner, tu dois avoir faim.
Tu sors, si tard ? Ah… Je pensais qu’on dînait ensemble aujourd’hui…
Oui, je comprends.
Charles vida son verre d’une traite et se dirigea vers l’entrée.
Attends, tu ne veux pas que je te serve un autre verre ?
Ah, cette veste est beaucoup mieux, tu as de l’allure avec, un vrai dandy !
Tu devrais la mettre quand papa et maman viennent nous voir…
C’est vrai… Mieux vaut la garder pour les grandes occasions.
Attends, ne marche pas dans ces flaques d’eau, je vais chercher la serpillère.
A son retour, Nancy se figea – hébétée – un seau dans la main droite, la serpillère dans la gauche. L’accueil du froid mordant et des ténèbres du dehors lui arracha une larme, la porte d’entrée était grande ouverte, Charles et le bouquet de roses avaient disparu.
Elle ramassa les pétales éparpillés et épongea le sol.
« Il serait trop désagréable de rentrer en pleine nuit et de trouver une entrée aussi mal tenue, se dit-elle. »
Ce soir-là, Nancy n’eut pas le courage de dîner seule et le gigot, de toute façon, elle n’aimait pas ça, c’était le plat préféré de Charles. Elle monta se coucher, mais avant, elle prit sa trousse de couture et reprisa la veste de Charles jusqu’à minuit, tout en récitant les conseils du guide de la bonne épouse.
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