Chapitre 38 (première partie)
Léger retour en arrière avec Héloïse...
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Château de Dunvegan, juin 1747
Cela faisait maintenant une année que nous avions quitté Inverie et trouvé refuge à Dunvegan. Et près de deux ans que les hommes étaient partis pour mener la campagne militaire de Charles Stuart. Deux ans que Kyrian n'avait plus donné signe de vie, hormis ce que Kyle nous avait rapporté au mois de février 1746. Près de deux ans que je n'avais pas revu mon époux, que les enfants grandissaient sans leur père.
Gowan avait fêté son dixième anniversaire à Dunvegan, Roy avait passé le cap des onze ans au printemps dernier. Dire qu'ils s'étaient assagis serait mentir : ils ne savaient qu'inventer pour nous faire tourner en bourrique et nous les retrouvions toujours dans des endroits improbables. Parfois, j'avais même le sentiment que l'autorité de Kyle n'était pas suffisante pour les tenir. Mais, en l'absence de Kyrian, je devais bien avouer que j'avais du mal à tout assumer. Fort heureusement pour moi, Tobias était d'un caractère plus posé, un peu à l'image de Manfred ou de François. Il était beaucoup moins aventureux que son frère et ses cousins, et préférait la compagnie des filles. Il partageait leurs jeux, aimait toujours leur lire des histoires. Lowenna était maintenant une fillette et ne possédait plus les derniers traits de son premier âge qu'elle avait encore au moment du départ de son père. Mais elle lui ressemblait toujours autant, peut-être même plus encore. Si Kyrian revenait aujourd'hui, il la trouverait bien changée, et peut-être encore plus que ses aînés.
Manfred avait dû prendre des décisions difficiles au cours des derniers mois. Nous avions reçu au début du printemps la visite d'une troupe anglaise, menée par Lord Byron. Ses intentions n'étaient pas à proprement parler belliqueuses, mais il s'agissait pour les Anglais d'asseoir désormais leur autorité sur toutes les terres et d'obtenir la reddition de chaque chef de clan.
Manfred fut contraint de signer un document stipulant qu'il reconnaissait l'autorité du roi Georges et qu'il n'apporterait aucun soutien à la rébellion jacobite (ou du moins, à ce qu'il en restait). Il ne prendrait pas les armes contre le roi légitime. Et il devait faire appliquer les lois concernant le nouvel ordre mis en place. Parmi ces lois, il y avait l'interdiction formelle du port du tartan et de tout affichage d'appartenance à un clan, emblème, couleurs et autres signes distinctifs. Jouer de la cornemuse était interdit et la langue anglaise devait être utilisée pour toute démarche, affaire commerciale, négociation... La loi britannique devait s'appliquer partout sur le territoire, y compris dans les Highlands. En échange, la Couronne s'engageait à ne pas poursuivre les chefs de clan et à accorder une réduction de peine aux rebelles qui se dénonceraient et feraient amende honorable. Plusieurs dans les clans voisins acceptèrent ce compromis, mais la plupart furent cependant condamnés à de la prison. Ceux qui avaient été faits prisonniers après Culloden avaient soit été exécutés, soit condamnés si lourdement qu'ils demeurèrent emprisonnés durant plusieurs années. Certaines peines furent, quelques temps plus tard, commuées en exil et les prisonniers déportés en Amérique allaient bientôt être rejoints par des pauvres gens affamés que les terres écossaises ne pouvaient plus nourrir. Après la défaite, après les ravages, après la peur, c'était la faim qui viendrait à bout de toute résistance dans les Highlands.
Lord Byron, le représentant du roi, était un homme assez affable et Manfred se dit qu'il pourrait peut-être négocier le retrait des poursuites à mon encontre. L'homme l'écouta attentivement et il prit la décision de lever les charges qui pesaient contre moi, à condition que j'acceptasse moi aussi la reddition. En l'absence de Kyrian, j'étais de toute façon habilitée à prendre toute mesure concernant le clan.
Ce fut une décision très difficile à prendre pour moi et Lord Byron accepta de me laisser une soirée de réflexion. Il connaissait la réputation de Luxley et était, d'après Manfred, sincèrement admiratif que j'aie pu lui échapper, même si notre cousin n'était pas rentré dans les détails concernant mon évasion et qu'il avait joué l'ignorant au sujet de sa mort. Mais, en tant que représentant de la Couronne, Lord Byron ne pouvait faire plus. D'après Manfred et compte tenu des informations dont nous disposions sur la situation sur le continent, il était dans mon intérêt et dans celui du clan des MacLeod d'Inverie de signer.
Je parlai longuement de tout cela avec Jennie et Kyle. L'avis d'Alex me manquait. Le vieil homme m'aurait certainement incitée à signer et je déplorai une fois de plus son absence. Dès qu'il s'agissait de prendre une décision concernant le clan, je pensais à lui et je revoyais son cadavre étendu dans la cour du château. Mon cœur se serrait toujours à cette pensée, sachant combien il avait été dévoué à Kyrian et à nous tous. Je songeais aussi souvent à Dougal, tombé à Culloden. Les deux frères avaient connu la même fin tragique.
En apprenant la solution qui nous était proposée, Kyle avait serré durement les poings. Qu'il était dur pour un fier combattant comme lui de rendre les armes ! De devoir plier devant l'ennemi, et un ennemi qui se comportait si mal avec les vaincus... Souvent, Kyle rappelait combien l'armée jacobite avait été clémente avec les soldats anglais qu'elle avait fait prisonniers ou avec les blessés qui avaient pu bénéficier de soins. L'armée anglaise n'avait vraiment pas fait preuve de la même mansuétude...
Toujours fut-il que je pris la décision de signer la reddition du clan des MacLeod d'Inverie, en me demandant ce que Kyrian aurait pensé de tout cela, mais en ayant au moins la satisfaction de pouvoir retourner chez nous et de reprendre, même sous une autre forme, la direction du clan, de veiller à nouveau sur tous ceux qui avaient reconnu Kyrian comme leur laird.
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