ELikya
Quatre kilos et trois gramme, ça n’a pas l’air lourd. Pourtant quand on ne dépasse pas le mètre vingt, un AK 47 cela devient très vite encombrant. Mais le petit, justement, ne veut pas qu’on le traite en petit, alors il cramponne l’arme en travers de sa poitrine tentant d’avoir l’air menaçant. Deux billes blanches au milieu d’un visage d’ébène, il hurle en Lingala des insultes a la fille terrorisée. Il lui crache dessus et lui balance des coups de pied dans les cotes. Encouragé par le regard hilare de ses aînés, ll plante le canon du fusil entre les seins de l'adolescente africaine en larme et le fait glisser entre ses cuisses d’un mouvement obscène. Les applaudissements de ses compagnons Mai-Mai redoublent d’intensité.
L’un deux sort de l’ombre du Moabi sous lequel il s’était installée avec ses bières et attrape la fille par la nuque.
- Tu vas me faire du bien petite pétasse, commence par me sucer la queue sale petite chienne.
Il dégrafe son camo et déballe sa virilité devant la bouche de l'adolescente. Certes elle ouvre les lèvres, mais son regard haineux prévient trop tard le gaillard qu’il vient de faire une grosse boulette. Ce n’est certainement pas du plaisir qu’il ressent lorsque les dents blanches se referment avec vengeance sur le membre.
Il hurle et frappe la tête qui finit par le lâcher.
- Tue-la ! Ordonne t’il au gamin. Tue-la !
Le gosse qui veut prouver qu’il n’est pas la moitié d’un homme pointe la kalachnikov vers la gamine, il ne marque aucune hésitation lorsqu’il appuie sur la détente. Sous l'effet du recul son bras décrit un arc dans les airs, balayant sa victime de bas en haut. Les balles de 7.62 font un bruit mat en la traversant et la vie la quitte bien avant que l’écho des détonations ne se dissipe.
Le gamin s’approche s’attendant à la voir se relever mais c’est fini. Il tient l’arme en tremblant. Que vient-il de faire ?
- Tue les autres aussi ! Ordonne le nouvel eunuque. Tue sa famille!
Mais le gosse est pétrifié, ses bras tremblent comme si les trépidations de l’arme n’avaient pas encore cessées.
- Mais vas tu les finir! Petite merde ! Il ne faut pas qu’ils parlent !
Mais le gosse s’enfuit et la jungle s'ouvre devant lui. Il court et court encore avec le fusil qui continue de s’agripper à ses mains, il saute un tronc, traverse une rivière, dépasse une colline. Il ne veut plus s'arrêter. La nuit le surprend à bondir d’arbre en arbre, mais c’est la lune qui le cueille au sommet d’une roche surplombant le lac Kivu. L’étendue d’eau l’empêchant d’aller plus loin, ses poumons lui donnent encore la force de pousser un hurlement qu’aucun animal n’eut été capable car dans cette violence vocale se trouvait toute la souffrance qu’une conscience puisse infliger. La culpabilité. Elle le bat, le brûle, l'écrase. Sur ces épaules bien trop jeunes le poids de l'infamie, lui broie les os. La douleur de ses genoux heurtant le roc lorsqu'il s'affaisse la poitrine vide, lui paraît en comparaison une douce libération. L'arme qui lui glisse de l'épaule, s'étale dans un bruit métallique. Il la regarde avec haine, regroupant ses dernières forces, il la saisit par le canon et va pour la jeter dans le lac, il a intention de se jeter à sa suite. Il l'attrape à deux mains par la gueule, prend la pause d’un lanceur de marteau olympique , pivote sur lui-même pour se donner de l’élan et s’apprête à projeter l'arme dans l'élément liquide quand son geste s'arrête net.
De la Lune quelque chose vient vers lui, une lueur incandescente qui se précipite vers le lac avec un fracas qui rebondit sur la surface de l'eau et se répand en échos rugissants à travers la jungle. L’objet le survol en sifflant, laissant derrière lui une épaisse traînée de gaz surchauffées. Une poignée de secondes s’écoule quand une violente explosion secoue le sol. Le gamin est jeté à terre et perd conscience.
Il a de l'humus plein la bouche et un truc qui gigote entre ses dents finis de le rappeler au monde des vivants. Il se remet d'un bond sur ses pieds en crachant, le canon de l'arme toujours dans sa main. Autour de lui un incendie a ravagé les arbres n’épargnant que son bout de rocher. La fumée encore âcre lui agresse les poumons et l'oblige d'instinct à se mettre à genou pour rechercher un air plus frais. À travers cette couche plus claire il peut apercevoir une forme déchiquetée plantée au milieu des squelettes d'arbres.
Trainant toujours l'arme dont la crosse trace un sillon dans la cendre, il s'approche encore groggy. Ce doit-être un avion qui s'est écrasé, croit-il, il y a des morceaux de métal qui jonchent le sol. Mais l'engin malgré la violence du choc ne semble pas si endommagé et l'enfant en dépit de son éducation limitée voit bien qu’il ne s’agit pas d'un appareil ordinaire. Le grand cylindre évidé avec en son centre un autre cylindre plus petit mais plein qu'il aperçoit tandis que les fumerolles se dissipent n'a rien avoir avec les lignes fluides d'un liner.
Il entend gémir, non, pleurer plutôt. Il se glisse dans le grand cylindre vide, la kalachnikov en bandoulière, au-dessus de lui le petit cylindre est fendue d'une large brèche et c’est de là que viennent les pleurs.
Il se hisse par la déchirure pour pénétrer dans un habitacle sens dessus dessous et à peine éclairé par une lueur blafarde. Il note immédiatement les tableaux de bord et les sièges arrachés lors de l'impact.
Ce qu’il y a dans les sièges le pétrifie. Ce n’est pas humain.
Même si la silhouette a des bras et des jambes, la peau grise verdâtre d’un visage ovale sans nez perforé d’yeux vides et d’une bouche que la mort a figée dans un dernier cri ne vient pas de ce monde, ni de celui des ancêtres d’ailleurs. Ses jambes commencent à s’enfuir mais lorsque les pleurs reprennent, il s’enfonce un peu plus dans l'engin.
Un corps git sur le sol et une menue silhouette secouée de soubresaut plaintif est penchée sur lui et l'entoure d’une étreinte suppliante. Le gamin s’approche et s'agenouille auprès de la petite créature. Il ose une main sur son épaule. La silhouette sursaute, cherche à s'enfuir mais le chemin est bloqué par cet intrus à la peau noire et aux yeux blanc.
Ils s'observent en silence, aussi effrayer l'un que l'autre. Le visage pâle n'est pas si inhumain. Les formes graciles et ses traits fins ne le trompent pas, il est certain que c'est une fille, elle n'est pas tellement plus grande que lui. Le corps sur le sol beaucoup plus grand, un adulte sans doute, lui laisse même penser qu’ils pourraient avoir le même age. Il tente un sourire, mais elle fixe à nouveau l'être sur le sol, espérant peut-être le voir se lever.
« -Il est mort.» prononce t'il sans émotions.
Il se mord la lèvre inférieure en se maudissant d'être aussi froid, même si elle ne le comprend pas . Il a déjà fait bien trop de mal. Peut-être était-ce son père étendue là . Lui n'aurait montré aucune peine à voir le sien réduit à l’état de cadavre. Mais tous les paternels ne sont pas des enfants de salaud. Il se tint donc coi et ils auraient pu rester encore longtemps dans ce moment de choc mutuel suspendue entre vie et mort, si des voix ne se firent soudain entendre à l'extérieur.
Il reconnut le ton rauque de son chef Mai-Mai. Dirigé plus par l'instinct que par la logique, il attrape la petite chose et lui fait comprendre de le suivre. Elle a entendu les voix elle aussi, pas besoin d'un traducteur pour saisir qu'il y a menace. Les enfants des deux monde se glissent par la brèche, la fumée encore épaisse couvre leur fuite vers le couvert des arbres. Au début elle le suit, mais rapidement son rythme se fait plus lent. Il tente de la tirer par le poignet pour lui intimer l'ordre de continuer, cependant la respiration de la jeune extraterrestre se fait difficile. Comment pouvait-il savoir que notre atmosphère trop dense lui était difficile à inspirer et expirer.
Ils se blottissent l'un contre l'autre dans les racines d'un arbre. Il entend les voix qui se rapprochent; les ont-ils vu ou entendue quitter l'épave?
Il se maudit à nouveau, leurs traces de pas dans la cendre évidemment. Cela ne pouvait pas échapper à ces pisteurs émérites. Il glissa ses bras sous sa nouvelle amie et entrepris de la porter. Plus ils mettraient de distance plus leurs chances augmenteraient. Mais ou aller?
Tenter de traverser le lac Kivu et rejoindre le Rwanda, Ils s’y feraient massacrer par les milices Tutsi. Le Burundi au sud, en direction de ses poursuivants, c'est impossible. Peut-être pourront-ils atteindre Goma et se cacher dans l'un des camps de l'ONU. Oui les casques bleus ils sauront quoi faire.
Mais derrière lui, les troupes se rapprochent, il les entend crier. Bientôt ils seront sur eux. Il bifurque dans l’espoir de confondre ses traces et se retrouve de nouveau au bord du lac que la lune éclaire comme en plein jour. Son fardeau en sanglot s'accroche à lui avec désespoir.
Ils s'essoufflent à courir sur le sol boueux, d'autant que sa ruse ne semble pas avoir ralentit leurs poursuivants. Il ne les sèmera pas, la rage lui remplit la gorge. Ils vont payer ces salauds. Là -bas, un arbre couché sera leur barricade. Après avoir allongé la jeune extraterrestre derrière le tronc, il s'empare de son arme en éjecte le chargeur vidé le matin même et le remplace par un nouveau, plein celui-là.
Un genou a terre, le tronc pourri en guise de support pour son AK47, Il positionne le sélecteur de tir sur le coup par coup. Se rappelant l'effroyable recule qui fit décrire un arc de cercle a ses bras le matin même, Il veut éviter de tirer en rafales.
Il n'a pas à attendre longtemps. Les premières silhouettes se précipitent déjà le nez collé aux traces de pas qu’ils ont laissé dans la boue. Il aligne, prend une inspiration, enchaîne deux pressions successive sur la détente et l'enfant soldat apprend le goût de la vengeance. Ceux qui lui ont mis ce fusil entre les mains, pensaient faire de lui un animal docile. Pour la partie animale ils ont réussi, le côté docile doit désormais leur paruaître moins couronné de succès. Les miliciens s'écroulent dans la boue avec une brève expression d'agonie . En riposte une rafale balaye le tronc et le force à plonger derrière. Il modifie une fois plus le sélecteur de tir pour de courte rafale de trois balles. Il rampe jusqu’à l'extrémité brisée de l'arbre et de cette nouvelle position plus couverte commence à arroser la jungle. Ces tirs ne passent pas loin de ses adversaires, les obligeant à se déplacer dans un clair de lune qui n'a rien à envier au soleil. Quand il tire à nouveau Il entend hurler cette fois.
L'adrénaline fait son chemin dans son esprit et bientôt grisé il enchaîne les rafales. Il est bientôt entouré d'éclairs et de détonations tandis que l'enfant des étoiles se colle tant qu'elle le peu contre l'arbre pourri qui vol en éclat à chaque impact. Il voit bien que les Mai-Mai sont en train de les encercler, mais il lui reste encore un chargeur et il a bien l'intention de le vider avant de mourir.
Un mouvement sur le côté, trois hommes surgissent des feuillages. D’un bond il se retrouve sur ses pieds pour faire face. Il ne réfléchit pas quand il ouvre le feu. Le premier s'écroule , le deuxième en prend une dans le bras, il rate le dernier qui fait feu. Il fait semblant d'ignorer l'impact qui vient de lui transpercer l'estomac. Il tir encore et encore. Les détonations , faisant échos à ses cris rageurs. On le prend à revers; un son mat et une secousse dans la poitrine. Il refuse de tomber. Sa vue se brouille, mais il a le doigt sur la gâchette et le chargeur n'est pas encore vide. Encore quelques douilles éjectées et l'arme se tait enfin. Une ombre s'approche, pose le canon d'un pistolet sur le front du gamin pour lui donner le coup de grâce. Mais ce dernier lui lance un regard de défis.
« -Baisse les yeux, petite merde
-Jamais.» Parvient-il à cracher.
Le regard du milicien se remplit soudain d'effroi, tandis qu'une violente lumière accompagnée d'un vacarme d'orage grandit dans le dos du garçon. Les Mai-Mai s'éparpillent en hurlant mais ne peuvent aller bien loin avant d'être frappés par une forme de foudre qui les pulvérise en cendre. Cela ne dure que quelques secondes, puis le silence revient et la lumière s'estompe.
L'enfant des étoiles s'extirpe de dessous le tronc, pour se précipiter vers le garçon qui s'effondre finalement.
Dans les brumes de la mort il aperçoit un grand cylindre évidé avec un plus petit plein à l'intérieur se poser à la surface du lac. Plusieurs individus sortent de l'appareil en se déplaçant sur le liquide comme s’il s’agissait d'une matière solide. L'un d'eux soulève la fille dans ses bras et le reste entoure le garçon.
Il peut les entendre.
«-Il s'en va.
-Non, nous le perdons.
-Mais pourquoi?
-Il ne veut pas être sauvé.
-Il a grandi trop vite. Il a vu la vie, il la prise aussi.
-Triste, triste. Petit homme reste avec nous. Le supplie la créature.
-Non, j'ai assez vu.
-Dis-moi ton nom petit homme.
C'est dans un dernier souffle qu'il prononce trois syllabes
-Elikya »
Puis il s'éteint . Les êtres baissent la tête, consternés. D'une main délicate, l'un d'eux ferme les grands yeux blanc maintenant sans vie.
« -Espoir, murmure t'il
-Que veux tu dire?
-Son nom, il signifie « Espoir » .
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