Rencontre
La forêt aux arbres blancs s’estompa derrière lui.
Le corbeau vola un moment dans un ciel cotonneux, accompagné par le « flap-flap » régulier de ses ailes noires. Soudain, l’oiseau plongea. Les nuages s’écartèrent d’un coup, découvrant une mer de toits, de réverbères, de routes. Le corbeau déploya ses ailes, ralentissant sa descente vertigineuse. Il se laissa enfin porter par un courant ascendant, planant au-dessus de la ville.
L’aube se levait à peine.
Un appel ténu monta jusqu’à lui, comprimant son cœur d’une émotion familière. Il vira d’un coup, chuta et se posa sur un muret en pierre, juste en face d’un arrêt de bus où patientait une adolescente rousse. Vêtue d’un épais manteau bleu et d’un jean gris, elle dansait d’un pied sur l’autre pour se réchauffer. Un sac à dos pendait à son épaule.
Les alentours étaient calmes. Peu de voitures passaient.
L’oiseau plongea ses prunelles dans celles de sa nouvelle proie. Elle lui rendit son regard et sourit :
— Salut, le corbeau !
Cela le surprit. Personne ne le saluait jamais.
Il chassa vite son étonnement. Il n’avait pas de temps à perdre.
D’un battement d’ailes il traversa la rue. Sans ralentir, il fonça sur la jeune fille. Elle lâcha un petit cri et tomba en arrière pour l’éviter.
L’air s’alourdit et des échos de voix pénétrèrent la tête du corbeau. Alice ? Je t’aime… Léandre est un imbécile. Tu es laide, personne ne t’aimera jamais. Alice, sérieux, c’est pas drôle ! Ah, que c’est beau la jeunesse ! Alice, c’est une promesse. Tu as trop de chance ! Ne refais jamais ça ! Alors, ne la trahis pas ! Alice, je…
Les voix s’évanouirent et le monde devint blanc. Le corbeau faisait du surplace, défiant la gravité de ses ailes. Alice était encore assise sur le trottoir, exactement comme elle était tombée. Ses yeux ne le quittaient pas. Puis elle se releva en rigolant :
— Tu m’as fais peur, crétin ! Pchit ! Va-t’en ! J’ai un bus à prendre !
Le corbeau s’impatienta. D’un battement plus puissant, il s’éleva avant de décrire des cercles au-dessus de sa proie.
— Qu’est-ce que…
Le volatile sourit. Enfin, fit-il « aviairement » ce qu’un humain nommerait sourire. Elle venait de voir que le monde était devenu indistinct et blême.
Il frôla la tête d’Alice et s’éloigna. Comme irrésistiblement attirée, la jeune fille le suivit. Ses pas retentissaient derrière lui. Dans le crâne du corbeau commencèrent les tic-tacs d’un funeste décompte.
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