Chapitre 9

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Elle s’immergea dans la masse ténébreuse les entourant, sa peau ne réagissant pas à la température glaciale, protégée par sa magie. Les corps des hommes se secouèrent de frissons. Leurs dents claquèrent. Dahut esquissa un rictus satisfait quand elle les vit en apnée. Cela ne durerait pas. Ils mourraient comme les autres habitants d’Ys.

Ils nageaient lentement, alourdis par le poids de leurs vêtements. Guénolé fut le premier à aspirer une gorgée à la recherche d’air. Elle observa avec délectation son visage changer de couleur. Quand ses yeux se posèrent sur Albéric, son cœur se serra.

— Respire ! lui ordonna-t-elle sans savoir exactement pourquoi.

Aussitôt, sa magie s’activa et l’eau que l’homme but lui apporta l’oxygène nécessaire à sa survie. L’évêque, lui, avait sombré dans l’inconscience.

La princesse s’approcha du druide et caressa sa joue. Pourquoi l’avait-elle sauvé ? Elle n’aurait pu dire si c’était par pure vengeance ou si elle éprouvait un reste de sentiment pour lui.

— Suis-moi !

Sans plus vérifier qu’il était bien dans son dos, elle nagea dans les abysses. En voyant apparaitre les épaisses murailles d’Ys, elle se rendit compte qu’elle ne pouvait s’y rendre. Les maisons immergées qui l’attendaient, les corps qui flottaient au-dessus. C’était trop…

Elle s’immobilisa. Ses mains se contractant violemment, elle se retourna et s’éloigna de sa ville.

— Souffre ! lâcha-t-elle à son acolyte afin qu’il partage sa douleur.

Il se tortilla à ses côtés. Sans que cela la soulage.

Elle nagea longtemps avant de se sentir prête à s’arrêter. Elle chercha ensuite un endroit où s’installer. Quand elle dénicha une grotte sous-marine, elle envoûta les animaux qui y vivaient pour qu’ils s’en aillent.

Albéric placé devant l’entrée, seule dans les ténèbres de la cavité. Les événements de la journée se rejouèrent dans l’esprit de Dahut. Son réveil ensorcelé, l’ouverture de la ville, sa tentative de ralentir l’impossible, la femme qu’elle avait sauvée, l’évêque, Albéric… Tout se bouscula. Un sanglot monta de sa gorge. Elle serra les poings. Elle n’allait pas pleurer tout de même. Elle était âgée de plus de 400 ans. Elle en avait fini avec ces niaises émotions. Elle songea que c’était pourtant sa niaiserie qui était à l’origine de tout ça. Comment avait-elle pu s’amouracher d’un druide ?

Elle sentit ses yeux s’embuer et ses larmes se mêlèrent à l’océan. Elle tapa du poing sur la paroi de la grotte, mais ne réussit qu’à se faire mal. Ses émotions trop fortes ne s’amenuisèrent pas.

En colère contre elle-même, elle arracha sa robe encombrante pour se retrouver nue jusqu’à la taille. Elle observa alors sa queue de poisson. Elle était l’image même des mari morganes que craignaient tant les habitants des terres. Son visage se déforma dans une grimace.

Elle sortit de la grotte et asséna une claque sur la joue d’Albéric à la recherche d’un exutoire. La tempête qui la consumait ne se calma pas. Elle recommença. Sans succès. La main toujours sur sa peau, elle caressa la barbe sous ses doigts. Le battement dans sa poitrine s’apaisa.

— Embrasse-moi !

Aussitôt, les lèvres du druide s’apposèrent sur les siennes. Elle les mordilla avec une avidité surprenante. Comme pour revenir en arrière. Oublier tout ce qui s’était passé dans la journée et revenir au moment où ils s’aimaient avec passion. Sans arrière-pensée.

Elle dut mettre fin au baiser en se reculant, Albéric incapable de se stopper sans ordre.

— Arrête ! Fais-moi l’amour comme si nous étions encore hier, murmura-t-elle.

Une lueur étrange s’alluma dans le regard de l’homme. Dahut ne chercha pas à l’interpréter. Elle préféra s’imaginer qu’il s’agissait d’une passion dévorante.

Il caressa sa peau d’une main empressée. Le contact contre sa poitrine nue lui causa un frisson. Elle se rapprocha et colla sa nageoire contre lui. Il baisa ses seins comme si c’était la dernière chose qu’il ferait de sa vie. Ce qui était sûrement le cas, songea Dahut avant de se concentrer sur l’instant présent. Elle savoura la chaleur des mains qui effleuraient ses écailles et ferma les paupières.

Sa respiration aquatique s’accéléra quand Albéric lécha son téton dressé. Elle saisit son visage et lui intima silencieusement de revenir jusqu’à sa bouche. Elle l’embrassa avec ardeur et transforma sa queue de sirène en jambes humaines. Lorsqu’elle sentit le sexe tendu contre sa peau à travers ses pantalons détrempés, elle gémit.

— Fais-moi l’amour, chuchota-t-elle.

Albéric retira immédiatement ses vêtements et s’approcha d’elle, prêt à la pénétrer. Dahut ferma les yeux pour chasser l’étrange lueur qui régnait dans le regard de son amant. Juste une fois, elle voulait oublier que l’homme qu’elle avait aimé l’avait trahie.

Lorsque le druide s’inséra en elle, elle eut la sensation d’être entière. Enfin complète. Cela repoussa les sombres pensées qui s’accumulaient tels des nuages orageux. Chaque coup de rein lui procurait une vague de plaisir. Albéric accéléra.

— Doucement, le calma-t-elle.

Il ralentit. Dahut mordilla la peau de l’épaule à sa portée et imposa la cadence en soulevant ses hanches. Elle voulait profiter de chaque instant. Chaque pénétration effaçait les souvenirs de la journée. Finalement, elle s’activa, incapable d’attendre plus longtemps pour assouvir ce désir qui montait en elle tel un tsunami. Elle trembla quand le plaisir l’envahit. Le souffle court, Albéric s’immobilisa. Dahut caressa sa joue barbue.

— Tu as tout détruit… Nous aurions pu être si heureux.

Elle l’embrassa délicatement, ignorant la larme qui s’échappa de ses yeux. Dans le regard d’Albéric, elle lut de la peur. Elle se détourna et ordonna :

— Cesse de respirer !

Incapable de rester, elle s’éloigna. Pourquoi avait-il fallu qu’elle s’éprenne d’un traitre ? Ses poings se serraient compulsivement et elle nagea plus vite.

Une fois loin de lui, elle s’arrêta. Et si elle le gardait ainsi ? Sous contrôle. Elle pourrait continuer de l’aimer sans qu’il ne blesse personne. Elle secoua la tête. Ce serait lâche. Elle n’avait jamais manqué de courage auparavant. Il méritait de mourir. Elle ne méritait pas d’aimer qui que ce soit après ce qu’elle avait fait.

Inconsciemment, elle avait pris la direction d’Ys. Les épaisses murailles bâties par les korrigans se dressaient devant elle.

La princesse se figea puis remonta à la surface. Au-dessus de l’eau, plus aucune trace de sa ville.

Un bruit d’éclaboussures retentit dans son dos. Elle se retourna. Morvar'ch galopait vers elle sur l’océan. Il hennit doucement comme pour l’appeler.

— Mon beau…

Il plia ses jambes avant pour être au plus près d’elle. Dahut caressa sa crinière. Aussitôt, une vision d’elle montée sur lui s’imposa dans son esprit.

Elle secoua la tête.

— Non, c’est fini. Jamais plus je ne reviendrai à la surface. Je préfère rester dans l’océan, je suis faite pour ça après tout.

Les yeux de l’étalon s’emplirent de chagrin.

— Je suis sûre que tu trouveras une autre maitresse parfaite pour toi. Tu es un cheval admirable. Rien de tout ceci n’est ta faute. Je suis désolée.

Et sans attendre qu’il lui réponde, elle retira sa main. Après un dernier regard au-dessus de la surface. Elle plongea et nagea jusqu’aux abysses.

Au milieu des effrayants poissons-lanternes, elle songea qu’elle vivrait ici sa pénitence pour l’éternité.

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