Chapitre 2. DIE
Quelques jours plus tard, nous rendîmes visite à Christina. Elle ne cessait de se plaindre de la disgrâce du plâtre qui couvrait son nez et cela me faisait sourire. Au bout d'un certain moment, je parvins à être seule avec ma cousine. Je lui demandai :
- Qu'est-ce qui pousse les gens à se suicider ?
Mes sœurs, qui n'étaient jamais bien loin, s'approchèrent pour entendre la réponse :
- Eh bien, le désespoir, fit Christina.
- Tu es désespérée ? lança Sam ironiquement.
- Non, je suis triste. Je reconnais que j'ai été un peu loin avec le suicide. Maintenant je vois un bon psy et ça va beaucoup mieux.
Spontanément, une pensée me vint à l'esprit. Christina ne m'avait jamais paru triste. Et pourtant, derrière ce masque de caprice et de vantardise, se cachait un c?ur sensible. Je venais de comprendre ma première erreur : j'avais toujours jugé ma cousine sur ce qu'on voyait d'elle. Peut-être que si nous avions été plus proches, elle se serait sentie moins seule. Je pris alors la décision de lier de vrais liens avec Christina. Comme nous n'habitions pas la même ville, il était difficile de se voir tous les jours. Mais on se mit à se téléphoner quotidiennement. À force de parler, je découvrais la vraie Christina, loin de la vantardise et de l'hypocrisie. C'était une fille pleine de cœur mais coincée, complexée, elle se réfugiait dans la superficialité. Christina me fit comprendre une chose importante; avant de juger les gens il fallait aller vers eux et les écouter, leur poser des questions. Le fait de s'intéresser aux gens donne une valeur plus importante à leur vie. J'en conclus que les suicidaires étaient des personnes auxquelles on ne s'intéressait pas assez.
Le premier jour des vacances d'été, Wendy et moi marchions dans les rues, bras dessus, bras dessous. On parlait. On riait de tout et de rien. Wendy se tourna vers moi et me posa une question pour la deuxième fois. Et cette fois, en insistant sur les mots :
- Tu es heureuse, Deborah ?
C'était comme si on me donnait un coup de poing violent dans la nuque. Je regardai Wendy en la dévisageant. Cette question venait de me faire horriblement peur mais je n'aurais su dire pourquoi.
- Oui, répondis-je. Je suis très heureuse. Mais pourquoi tu me demandes ça ?
- Comme ça. C'est important de savoir comment vont ses amis. Tu veux me demander autre chose ?
- Non. Et toi ?
- Tu pense qu'il y a quoi après la mort ?
C'était la première fois qu'on me posait cette question. Comme mon père travaillait dans les pompes funèbres, j'avais tendance à associer les mots «mort» et «commerce».
- Après la mort, il y a un cercueil, des fleurs, un enterrement, une tombe, une fête aussi. On organise toujours de grandes fêtes aux enterrements.
- C'est plutôt cool. Ça rend les choses plus joyeuses.
- Euh...si on veut.
Un grand sourire envahit le visage de Wendy, rêveur et heureux.
- Arrête-toi à la boîte aux lettres, dit-t-elle. J'ai une lettre à poster !
On s'arrêta et elle mit la lettre dans la boîte. Puis, voyant l'heure, elle me raccompagna chez moi. Avant de retourner chez elle, Wendy me serra dans ses bras et chuchota :
- Tu es ma meilleure amie Debbie ! Souviens-toi toujours de ça !
Cette nuit là, il faisait chaud, très chaud, trop chaud. Je ne trouvais pas le sommeil. De plus, la voix de Wendy résonnait en moi. Il y avait des bruits dehors, des insectes ou le vent sur les feuilles des arbres. Et, pour la première fois, je trouvais ses bruits glauques. Je fus prise d'un violent frisson. Et pourtant il faisait si chaud. Il me semblait qu'il se passait une chose anormale. Soudain, j'entendis un cri au bout de la rue. Je cherchai à voir quelque chose mais tout dehors paraissait normal. Je courus réveiller Sam.
- Sam ! chuchotai-je en la secouant.
- Quoi ? fit une voix engourdie.
- Tu n'as rien entendu ?
- Non je dormais. Pourquoi ?
- Un second cri se fit entendre. Beckie poussa la porte de la chambre :
- Vous avez entendu ?
- Oui.
On se précipita vers la fenêtre. La rue était déserte; on entendait plus que les insectes et le vent sur les feuilles des arbres. On resta plantées à la fenêtre plusieurs minutes et une ambulance déboula dans la rue. Immédiatement, je descendis et mis mon manteau pour sortir. Je courus le long du trottoir en chemise de nuit. Mes sœurs arrivaient derrière.
L'ambulance s'arrêta devant la belle et grande villa de Wendy. Je paniquai et me précipitai vers un ambulancier pour le questionner lorsque la mère de Wendy sortit de la maison.
- Désolé, il est trop tard, dit un ambulancier.
- Je vous ai appelé dès que je l'ai trouvée... bredouilla la femme, en pleurs.
- Mais quand vous l'avez trouvée, elle s'était peut-être ouvert les veines depuis longtemps. Je suis désolé madame. On ne peut rien faire.
Ma tête tournait, j'avais des vertiges. «Elle» s'était forcément Wendy, puisqu'elle était fille unique. Ma meilleure amie venait de s'ouvrir les veines. Elle s'était suicidée.
Elle était morte !
Et moi je venais de m'évanouir sur le trottoir.
- Deborah !.....Debbie ?
J'ouvris un ?il. Puis l'autre. J'avais dû faire un cauchemar. Oui, un horrible cauchemar. Ma mère et mes sœurs étaient penchées sur moi. Je me redressai. J'étais... non, impossible ! J'étais sur ce maudit trottoir ! Je n'avais pas rêvé. J'étais toujours devant la belle et grande villa et la mère de Wendy tentait de sécher ses larmes en nous observant. Je me levai d'un bond.
- Où est Wendy ? hurlai-je, au bord de la crise et des larmes.
- Ma chérie...
- Maman, qu'est-ce qui se passe ?
- Deborah, nous...
- Elle n'est pas morte !
- Debbie...
- Vous mentez ! Ce n'est pas vrai ! Elle est là, à l'intérieur. Et à la rentrée elle sera au lycée, avec moi, avec Kyle, avec toutes ces petites pouffiasses et tous ces mecs idiots !
Je hurlais, je pleurais, je divaguais, je sanglotais. J'avais du mal à respirer. Je refusais de croire que Wendy était partie. Je me mis à pleurer plus encore et à me rouler par terre. Personne n'osait rien faire. Mon père me souleva et me porta jusqu'à la maison. Quand il me lâcha, je me laissai tomber et continuai à pleurer. Rebecca s'assit près de moi et me prit dans ses bras. J'étais si énervée que je finis par m'endormir. Mais, me réveillant le lendemain, je dus bien affronter la réalité. Rien que le fait d'y penser me rendait malade et Wendy me manquait terriblement. Je la vis plusieurs fois, dans la rue, dans ma chambre, dans mon salon, et même dans mes toilettes. Mais il ne s'agissait que de visions. Kyle m'envoya un message; lui aussi était anéanti et on ne comprenait pas pourquoi Wendy avait fait cela. Je restais dans ma chambre, ne voulais voir personne et continuais à pleurer.
Le lundi suivant, une lettre arriva pour moi. Je connaissais l'écriture sur l'enveloppe, mon cœur fit un bond dans ma poitrine et cela me fit de nouveau pleurer. Sam et Beckie s'approchèrent :
- Ça va ?
Je leur montrai l'enveloppe :
- Wendy !
Je respirai un grand coup et décidai de l'ouvrir.
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