Chapitre 5. STUDY
Tout avait beau être terminé pour Wendy, la question de son suicide me hantait toujours et mon désir de comprendre ne faisait que s'accroître. Ce désir, je le comparais à une flamme qui brûle dans le cœur et ne s'éteint que lorsque l'on obtient ce que l'on recherche. Cette flamme-là me brûlait si fort qu'elle me faisait mal parfois. Je hurlais souvent, et le médecin et mes parents me dirent tous que c'était dans ma tête. Ne supportant plus le désir et les douleurs, je me mis en devoir d'étudier plus attentivement le cas de Wendy. Qu'avaient pu cacher ses parfaites apparences ? J'avais deux idées pour comprendre : étudier mes souvenirs – ce qui était une étude vague et peu exploitable – ou bien étudier l'entourage de Wendy. De ce que je savais, au lycée, le principal entourage de Wendy se composait de Kyle et moi-même et, chez elle, de ses deux parents. Pour moi, il était évident que ni Kyle, ni Mr. et Mrs. Brooks, n'auraient pu enclencher la mort de Wendy. J'aurais été capable de penser que je l'avais moi-même tuée, mais ses dernières paroles et la lettre me prouvaient le contraire. Par facilité, la personne que je choisis d'interroger fut Kyle. Le petit ami de Wendy avait énormément de mal à se remettre du décès de cette dernière. Moi aussi, mais cela se manifestait de manière différente. Comme Kyle refusait de voir des gens, je lui envoyai un e-mail en lui précisant que c'était une affaire importante. Ainsi Kyle accepta de me voir et je vins chez lui car il ne voulait pas sortir.
Quand je sonnais, son père m'ouvrit, accablé par l'état de son fils. Je compris cet accablement en entrant dans la chambre de Kyle. Il y avait un désordre incroyable, ses affaires trainaient sur le sol, et il avait même cassé la porte d'une armoire. Mon ami était misérablement étalé sur son lit. Il me faisait pitié. Lui qui, auparavant, était le stéréotype, l'image même du gars idéal, était maintenant symbole de tristesse et de folie. Et moi-même j'avais été dans cet état les jours succédant la mort de Wendy. Avec un air de compassion, je m'assis aux pieds du lit et attendis patiemment que Kyle daigne se lever. Quand il prit enfin la peine de se redresser, je constatai que son état physique ne valait guère mieux que le moral. Ses cheveux châtains étaient sales et en désordre, de grosses cernes se dessinaient sous ses yeux et un air mélancolique régnait sur ses traits dont j'avais autrefois admiré l'expression d'enthousiasme. Kyle avait l'air vieilli, maigri, affaibli... Des larmes luisaient au coin de ses yeux. Ma pitié pour lui ne faisant que grandir, je me rapprochai de lui et posai ma main sur son épaule.
- Je l'aimais... bredouilla-t-il entre deux sanglots. Je l'aimais et...je faisais tout pour qu'on soit heureux.
- Ce n'est pas ta faute, Kyle.
- Alors explique-moi à qui est la faute !
- Je l'ignore. Wendy nous a caché des choses. Et...je ne sais pas ce que c'est.
- Je ne lui ai jamais fait de mal.
- Je sais, elle...
- Dis-moi comment elle a pu...
- Elle t'aimait.
- Alors pourquoi ?
- C'est ce que j'essaye de savoir !
- Désolé Debbie. Je m'emporte mais je...
- Je comprends. Ne t'inquiète pas. Il faut que tu m'aide Kyle. Explique-moi tout ce que tu sais de Wendy.
- Pas plus que toi : une fille jolie, gentille, drôle, intelligente, épanouie...
- En apparence seulement ! Et votre couple ?
- Notre couple ?
- Oui, comment étiez-vous ensemble ?
- Comme de vrais enfants. On riait, on partageait tout, on se confiait des choses...
- Quelles choses ?
- Des anecdotes sur notre vie. Rien de vraiment exceptionnel.
- Tu le ressentais comment votre amour ?
- Naïvement; comme un enfant. Je pensais que rien ne nous séparerait jamais. Et peut-être que je n'ai pas vu certains de ses problèmes, tellement je pensais que notre histoire était parfaite.
- Moi non plus je n'ai rien vu...
- Mais tu sais, c'était de l'amour et seulement de l'amour. Il n'y a jamais eu de sexe entre Wendy et moi, depuis trois ans que l'on était ensemble.
Je ne sais pas pourquoi, mais le fait de penser que Wendy était vierge était une chose étrange. Et pourtant, moi, je n'avais eu qu'une seule expérience qui, je l'avoue, avait été totalement catastrophique.
Kyle n'avait donc rien de plus à m'apprendre sur ma défunte amie. Le remord de ne pas avoir posé de questions à Wendy avant cette tragédie me rongeait de l'intérieur et, au fil du temps, cette sensation ne cessait de croître. Il me restait deux personnes vers qui me tourner : les parents de Wendy. Mais, j'ignore pourquoi, je n'osai pas leur poser la question. Sans doute pensais-je qu'ils étaient déjà assez affectés par la perte de leur fille. Pendant quelques jours, je dus donc abandonner mes recherches, redevenant la proie de ma culpabilité.
J'étais allongée sur mon lit, les bras croisés sur ma poitrine, le regard rivé sur le plafond.
- Debbie ! m'appela Sam.
- Je tournai la tête.
- Tu ne vas pas rester enfermée ici toute ta vie ! dit-t-elle en passant la porte de ma chambre.
- Je ne peux rien faire d'autre, répondis-je. Rien, puisque Kyle ne sait rien et que je ne peux pas poser ce genre de question à Mr. et Mrs. Brooks.
Comprenant de quoi je parlais, Samantha s'assit sur mon lit et se plongea dans une profonde réflexion.
- Pourquoi ne pas... Ne me trouve pas stupide Debbie, mais on pourrait se faire une idée de ce que savent les parents de Wendy en les observant.
- En les espionnant, tu veux dire ?
- Euh...oui. C'est à peu près cela.
- Bon, d'accord. Mais je ne peux pas faire ça seule. Tu comprends ?
- Si tu veux, je peux...
- OK ! Bon alors, comment allons-nous nous y prendre pour espionner les Brooks sans qu'eux nous voient ?
- Tu connais Andie ?
- Andie; oui. Elle était dans ma classe l'année passée.
- Elle habite juste en face de la maison des Brooks.
- Comment tu sais ça ?
- On s'est déjà posé beaucoup de questions sur Andie, avec des amis. Elle ne parle jamais, est toujours seule,... enfin elle est étrange quoi ! Donc, un soir, j'ai filé Andie et j'ai vu où elle habitait.
- Donc la mystérieuse Andie habite juste en face de la maison où la fille la plus heureuse du monde s'est suicidée ?
- Oui. Ça t'embête ?
- Non; ça m'intrigue. Ça pourrait être une coïncidence. Mais les choses pourraient aussi être liées.
- Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Tu as dit que Wendy cachait un terrible secret. Et tout laisse à penser qu'Andie cache également quelque chose. Donc nous avons deux filles du même âge, du même lycée, voisines, cachant toutes les deux un secret. Et ce secret doit être lourd pour que Wendy ait fini par se suicider.
- Oui, ça paraît cohérent.
- Et donc, tu me disais qu'Andie allait pouvoir nous aider ?
- Oui. Je ne sais pas si tu es au courant, mais elle est passionnée par l'astronomie. Une fois, au lycée, j'ai vu dans son casier une affiche avec la carte des étoiles. Et puis, elle se promène souvent avec des magasines sur le ciel et les astres. Plusieurs fois, au printemps, je l'ai vu sortir dans son jardin avec un télescope. En espionnant Andie, j'ai remarqué que la fenêtre de sa chambre et le télescope qui se trouve juste derrière, donnaient sur la maison des Brooks. Je pense qu'on peut y voir le salon et d'autres pièces que j'ignore. Soit. Si Andie accepte de nous laisser entrer dans sa chambre et nous prête ce fameux télescope, on pourrait voir un peu ce qui se passe chez les Brooks. Tu en penses quoi ?
- Je pense que tu es une vraie fouine Sam ! Tu as filé Andie et maintenant tu sais plein de choses. Ton idée est tout simplement géniale ! Avec ton aide, je comprendrais sûrement tout ça plus facilement.
- Bon, on a plus qu'à aller voir Andie et lui demander son accord.
- OK, allons-y tout de suite !
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