29. L’Étrangleur démasqué
L’audition de William Hatkins a porté ses fruits. Cette nuit-là, la lune avait été pleine et avait suffisamment éclairé la scène qui s’était jouée devant ses yeux pour qu’il puisse dépeindre un portrait-robot assez précis de l’assassin de sa femme. Et si, par acquit de conscience, Virgile Corman avait brièvement été réinterrogé sur son emploi du temps – son alibi de séjour à Senlis fut néanmoins confirmé par sa sœur -, la description de l’auteur des faits ne cadrait absolument pas avec son physique et avait rapidement conduit les enquêteurs à l’écarter de la liste des suspects.
Quadragénaire brun, grand échalas plutôt mince, à la silhouette élancée et affublé d’épaisses lunettes en plastique sombre, le coupable présumé ressemblait à Monsieur-tout-le-monde. A un détail près : la présence d’une imposante tache de naissance sur sa main droite. Et cette particularité fit immédiatement tilt dans l’esprit du capitaine Costarelli. Si l’agresseur d’Élodie était bien l’une de ses connaissances, il ne pouvait s’agir que de cet insupportable cousin germain que le flic avait rencontré une vingtaine d’années plus tôt à Saint-Nicolas-de-Véroce : Xavier Savigny.
En creusant davantage la question, son statut de pigiste à Ouest-France ne plaidait pas non plus en sa faveur. En effet, de par le mordant de sa plume acérée, il avait été l’instigateur de la psychose qu’avaient provoquée les premiers articles de presse sur une série de meurtres similaires. D’ailleurs, c’est à lui que revenait la paternité du surnom de l’auteur de ces crimes, « L’Étrangleur de Saint-Nazaire », et ce dès le second forfait de celui-ci.
Les nombreux clichés et autres coupures de journaux retrouvés à son domicile lors de son arrestation n’avaient fait que confirmer son obsession pour les rousses, notamment pour sa cousine, ainsi que son étrange fascination pour de morbides mises en scène pseudo-érotiques qu’il se complaisait à peindre sur de grandes toiles, reclus dans un ancien atelier transformé en loft.
De retour au commissariat, son interrogatoire avait été confié à Guillaume Séverin. Mais ayant conscience de la difficulté à faire parler le suspect, Costarelli mit au point une stratégie : faire appel au lieutenant Audrey Thévenet et lui demander de se grimer en Élodie - comme elle l'avait fait pour lui plus tôt dans la journée - afin de le faire craquer. Et le piège avait fonctionné à merveille : dès qu’elle entra dans la salle d’audition, le regard du prévenu fut littéralement happé par la néo-rouquine. Complètement hypnotisé par celle qu’il prenait pour Élodie. Au point d’en devenir lyrique dans ses envolées, presque habité. Persuadé que celle qu’il aimait en secret était encore là...
***
— J’ai tant rêvé de toi, Élo ! Alors tu comprends, j’ai pas supporté que tu me repousses, l’autre soir. Ça faisait tellement longtemps qu’on ne s’était pas revus… Mais j’ai jamais voulu te faire de mal, jamais ! Tu me crois ?
— Oui, Xavier…
— J’ai… J’ai paniqué, j’étais persuadé que je t’avais tuée. Et puis, il y avait ce type qui m’observait dans la nuit, qui m’a interpellé, alors j’ai eu peur et je me suis tiré… Je voulais pas ça, Élo, je voulais pas que tu meures ! C’était un accident, tu comprends ? Un simple accident…
— Vraiment ?
— Oui, comme quand on se dispute dans un couple, sauf que là j’ai serré trop fort, je m’en rends bien compte...
— Et avec les autres, celles qui me ressemblaient, ça s’est passé comment ?
— Elles ont été méchantes avec moi, atrocement méchantes ; elles n’étaient pas toi ! Elles étaient bandantes mais… Une fois dans leur pieu, je… Je n’y arrivais pas avec elles et elles se moquaient de moi, ces salopes en chaleur, me traitaient d’impuissant, de peine-à-jouir, de petite bite. Alors, j’ai décidé de leur faire payer leur arrogance. Parce qu’elles n’avaient pas le droit… Mais avec toi, c’est sûr, j’y serais arrivé. Parce que toi bien sûr, tu ne te serais jamais moqué en cas de panne sexuelle, tu n’es pas comme ça. Non, au contraire, tu m’aurais encouragé, et ma queue aurait fini par se dresser fièrement sous les bienfaits de tes doigts ou de ta langue, et on se serait fait du bien, toi et moi, on aurait fait l’amour ensemble…
***
Complètement sous le charme du clône d'Élodie, Savigny avait spontanément lâché cet aveu d'impuissance masculine, mobile des six autres meurtres, conjuguée à son obsession pour feu sa cousine, sauvagement étranglée pour s’être refusée à lui.
Les enquêteurs pouvaient désormais et sans délai le déférer au parquet. Le procureur avait eu raison de s’entêter, son intuition avait été la bonne : l’assassinat d’Élodie Hatkins avait bel et bien été l’œuvre de « L’Étrangleur de Saint-Nazaire ». Il se montra satisfait du travail réalisé par la Criminelle, du fait qu’elle ait enfin pu résoudre cette enquête et mettre ainsi fin à la macabre marche du premier serial-killer nazairien.
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