Chapitre 8 : Rencontre hasardeuse au terrain de jeu

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Alex

10H – Je me réveillai avec le chant des oiseaux. C’était le week end et je n’avais rien de prévu car Juliette avait décommandé à la dernière minute et qu’aucun de mes amis n’était libre, accaparés par leurs obligations familiales. Je descendis la tête encore enfarinée pour aller prendre mon petit déjeuner - je sais il est tard, mais la semaine m’avait achevée et il fallait avouer que traîner quelques fois ne pouvait pas faire grand mal –. Mon père était dans le jardin et taillait nos haies en sifflotant. Il me regarda, amusé, m’étirer et respirer le grand air, puis retourna à son travail. Il pouvait en être fier, car de toute la rue, il était le seul à s’en occuper comme un dieu – enfin j’exagère sûrement, mais il aime qu’on le lui dise–. Quant à ma mère, elle était assise en terrasse avec Anya en train de coiffer cette dernière. La coiffure consistait en deux macarons posés de part et d’autre de la tête. Elle se devait d’être serrée car Anya avait en fin d’après-midi une compétition de gymnastique, sa première de l’année. Quand maman eut fini d’appliquer la laque, Anya me fit un grand signe de la main. Elle ne voulait pas gâcher sa coiffure et ne s’était donc pas jetée dans mes bras. Et pourtant, je devinai à sa tête qu’elle devait faire un effort titanesque pour ne pas me sauter au cou. Je l’embrassai et allai me chercher quelque chose à manger. Je pris un pain au lait, y plantai une barre de chocolat et m’assis à côté du petit monstre. Maman me disait toujours que je ressemblais à un gamin mais je faisais toujours mine de ne pas l’entendre – le chocolat c’est la vie comme on dit, précepte que j’abordais avec un grand sourire –. « Dring, dring…. ». Maman se leva et décrocha. Je la vis sourire, puis prendre un air grave. Elle raccrocha et me fit un signe pour que je la rejoigne.

« Alex chéri, je peux te demander un service ? me demanda-t-elle avec un regard sérieux.

— Oui, pas de soucis. Qui c’était ?

— C’était ta grand-mère, papy Ernest est tombé dans l’escalier ce matin, et il est à présent en soin intensif. Elle est à l’hôpital donc je vais l’y rejoindre avec ton père, expliqua-t-elle la voix tremblante. Tu pourras accompagner ta soeur à sa compétition ?

— Oui, bien sûr, tu me tiens au courant dès que tu en sais plus, m’inquiétai-je.

— Merci mon chéri. »

Elle me déposa un bisou sur le front et partit en courant prévenir mon père. Celui-ci, à l’annonce de la nouvelle, faillit laisser tomber le taille-haie. Il se ressaisit et courut se changer. Ma mère expliqua la situation à Anya qui se tendit et la rassura – il est beaucoup plus angoissant de ne rien savoir quand tout le monde panique autour de vous –. Puis, elle m’indiqua les quelques détails que je devais savoir à tout prix et tous deux sortirent en hâte de la maison. J’entendis le son de la voiture démarrer et priai pour que l’opération se déroule sans problème. Mon regard se posa sur Anya qui n’avait pas bougé de sa chaise, telle une statue. Je poussai un soufflement et décidai de prendre les choses en main.

« Allez viens, tu vas m’aider à faire à manger. Maman m’a prévenu que tu devais manger tôt.

Son visage était toujours aussi fermé, alors j’ajoutai :

— Tu ne voudrais pas que maman et papa ne s’inquiètent encore plus. Tu devrais tout faire pour gagner et leur ramener la médaille et puis elle m’a demandé de te filmer donc il faut que tu leur montres que tu es une grande fille. Et dès que papy sera guéri, tu lui montreras la vidéo ! »

Elle mit un instant avant de se calmer puis elle serra les poings, preuve qu’elle essayait de se défaire de sa peur. Je fus impressionné par ce petit bout car il était normal pour son âge d’être abattu pendant ce genre de situations mais elle s’était reprise beaucoup plus vite qu’un adulte ne l’aurait fait. C’est donc avec gaieté que nous avions entrepris la confection du repas. J’essayai du mieux que possible de fixer l’attention d’Anya soit sur la cuisine soit sur sa compétition. Nous mangeâmes vers 11H, puis je m’empressai d’aller préparer son sac de sport avec elle. Sa chambre était plus petite que la mienne, mais elle avait assez d’espace pour jouer par terre. Je lui demandai des précisions sur la tenue car maman avait oublié de me l’expliquer et elle me tendit un justaucorps bleu marine pailleté à quelques endroits. J’ai dû reconnaître que c’était bien un vêtement pour fille. J’enfournai donc dans son sac son justaucorps et des sandales qui servaient pour les temps de pause, une petite gourde et son survêtement floqué avec le nom de son club. Je redescendis à la cuisine, remplis la gourde d’eau et ajoutai des barres de céréales et une pomme si il lui venait un petit creux. Après avoir vérifié avec son aide que son sac était complet, je lui demandai ce qu’elle voulait faire avant de se rendre à sa compétition. Elle me répondit qu’elle voulait se rendre à un terrain de jeu pour oublier son stress. Son complexe sportif n’étant pas très loin du terrain de basket où je me rendais chaque lundi avec ma bande, je décidai de nous y rendre. Elle acclama la bonne nouvelle et courut lacer ses baskets blanches. Je me réjouis de sa bonne humeur et fis de même. Je glissai mon portefeuille dans la poche arrière de mon jean et lui déposai un casque sur sa petite tête. Elle clipsa les deux lanières et je vérifiai avec attention si elle l’avait parfaitement effectué. Alors, je l’aidai à grimper sur le porte-bagage du vélo, m’assis et lui demandai de bien se tenir à moi.


Matt

11H – On toquait à la porte de ma chambre. J’ouvris et découvris mon père qui se tenait debout devant moi. Il semblait de bonne humeur, mais en même temps quelque chose me dérangeait dans sa manière de se tenir. Il me toisa et planta ses yeux dans les miens :

« J’attends quelqu’un cet après-midi, quelqu’un d’important et….

Je n’eus pas besoin d’écouter sa phrase en entier car je savais très bien ce qu’il allait me demander de faire. Je retournai dans ma chambre et entendis mon père me traiter de « petit con » quand je lui fermai la porte au nez. Je rassemblai quelques affaires et sortis de ma chambre sans lui jeter un regard.

— Matt… commença mon père.

Je me retournai, ressentait-il peut-être de la peine pour mettre à la porte son unique fils de 16 ans, encore mineur de surcroit.

— … ne rentre pas pour diner car elle va rester manger le soir, m’annonça-t-il sans hésitation.

Les bras m’en tombaient. Je regardai avec dégoût cet homme qui ne se souciait de personne d’autre que de sa propre petite personne et sortis en claquant la porte. Réalisant mon geste après l’avoir entendu fulminer, je descendis en dévalant les escaliers. Je me retournai et repris mon souffle, il ne m’avait pas suivi. Tout à coup, je me figeai et me moquai de moi-même. Évidemment qu’il n’allait pas me suivre, il se devait de se préparer pour être présentable aux yeux de sa dulcinée. Agacé et triste à la fois, je pris le chemin du terrain de basket, au moins là-bas, personne n’allait me fermer la porte au nez.

***

Quand j’arrivais au terrain, les larmes m’étaient montées aux yeux et j’avais peine à les essuyer. Malheureusement pour moi le terrain était occupé par des étudiants et ils étaient beaucoup trop bruyants pour mon pauvre petit coeur meurtri. Je me mis en tête alors de trouver un autre lieu. Je marchais depuis cinq minutes quand je découvris un petit terrain de jeu. À ma grande satisfaction, personne ne s’y trouvait – enfin au calme –. Mes yeux se posèrent sur la balançoire qui se trouvait au centre. Je m’en approchai et m’assis sur un siège. La dernière fois que j’en avais fait datait. En effet, après la mort de maman, mon père avait arrêté de s’occuper de moi et je restais une grande majorité de mes weekends enfermé dans ma chambre. Inquiet de ne plus savoir en faire, je commençai doucement par plier mes jambes et les tendre. Je fus ravi quand je m’aperçus que je savais toujours en faire et fermai alors les yeux. J’avais l’impression de voler, d’être libre comme un oiseau dans le ciel. Bien que le vent me fouettait le visage, la joie procurée par cette sensation retrouvée m’incitait à continuer et à aller de plus en plus haut. Quand je fus « rassasié » de mon souvenir d’enfance, je m’immobilisai les jambes tendues, les pieds enfouis dans le sable. Je gardai les yeux fermés, état qui me permettait d’oublier un moment le monde et de me projeter dans le lieu que je désirais.

« Oh, quelqu’un est en train de faire de la balançoire, s’écria une petite voix.

Je connaissais cette voix mais je n’arrivais pas à me souvenir où je l’avais déjà entendue. J’ouvris alors les yeux, curieux, et découvris devant moi Alex et Anya Lecomte. Je les regardai attacher le vélo et s’approcher en courant, Anya la première. Elle s’arrêta à quelques mètres de moi et me montra du doigt quand elle me reconnut.

– Le garçon des courses !

Je ne pus m’empêcher d’échapper un gloussement devant son air surexcité. Elle me dévorait des yeux et je crus entrevoir des étoiles dans ses yeux. Alex nous rejoignit et sermonna sa soeur.

– Combien de fois je dois te dire de m’attendre ?

Anya baissa les yeux devant son frère et courut se cacher derrière moi. Il se passa la main dans les cheveux et soupira. Il me salua et essaya de récupérer sa coquine de soeur qui ne voulait pas me lâcher.

– Tu joues avec moi ? me demanda-t-elle, les yeux remplis d’espoir.

Avec un tel regard, il m’était impossible de le lui refuser.

– Avec plaisir mademoiselle !

– Anya… c’est Anya mon prénom, m’avertit-elle en croisant ses bras.

– Ok Anya, c’est un plaisir de jouer avec toi. »

Je lui laissai la place tandis qu’Alex se posait contre la rambarde qui délimitait l’espace de l’aire de jeu de la balançoire. Elle occupa la place que je venais tout juste de quitter et s’accrocha aux chaînes en fer. Je commençai doucement à la pousser et je fus surpris de l’entendre me dire de pousser plus fort, ce que je fis en lançant un regard à son frère qui concéda sous les cris de joie de sa petite soeur. Elle semblait s’amuser avec moi et j’en fus ravi. Au bout d’un moment, elle me demanda de stopper, je m’exécutai, et voulut changer de jeu. Alex essaya de freiner son élan, mais elle s’accrochait à ma main dès qu’il s’approchait d’elle. Il abandonna et alla se poser dans l’herbe un peu plus loin. Je n’osais pas croiser son regard et me concentrai sur le visage resplendissant de ma nouvelle camarde de jeu. Elle me fit m’asseoir et me demanda si j’étais capable de reproduire ce qu’elle allait me montrer. Intrigué, je m’installai comme dans une salle de cinéma et regardai amusé ce petit bout d’homme déployer tout son talent. Elle réalisa une roue parfaite et un saut de main impeccable dans l’herbe et finit sa prestation par un ATR (appui tendu renversé) valse. Dès qu’elle salua pour m’indiquer la fin de son enchaînement, j’applaudis sous le regard attendri de son grand frère qui nous surveillait de loin.

« À toi maintenant, chantonna-t-elle.

— Euh… je suis bien incapable de faire ce que tu viens de faire… bredouillai-je.

Déçue, elle me tira la manche de ses petits bras, le regard suppliant.

— Ok, mais j’essaie juste la roue alors, sinon je vais me casser quelque chose, l’informai-je inquiet.

J’avais cédé devant son visage implorant. Je savais à peine faire une roulade alors une roue cela relevait d’une mission impossible. Je me relevai et lui demandai de m’expliquer comment elle faisait.

— Tu t’élances et tu poses les mains et ensuite tu lances tes jambes, me répondit-elle un grand sourire.

Je n’avais pas compris le moindre de ses mots. Sans que cela soit volontaire, je tournai les yeux vers Alex. Il éclata de rire et s’approcha de nous pour me venir en aide. J’écoutai ses explications en l’imitant.

— Lève tes bras au-dessus de ta tête, le pieds droit avancé, très bien comme ça, puis penche toi vers l’avant et viens poser tes mains à plat au sol. En même temps, tu lances ta jambe arrière et ta deuxième jambe suivra automatiquement, me rassura-t-il.

Je le regardai d’un air pas trop rassuré ce qui le fit rire. Je reçus une tape dans le dos en guise d’encouragement et il recula pour me laisser de l’espace, Anya le rejoignit et frappa dans ses mains pour me donner du courage. Je pris une profonde inspiration, me remémorant les gestes moteurs adaptés et m’élançai. Je m’en étais douté mais je me retrouvai sur les fesses. Pas d’exploit pour les non-initiés, pensai-je.

— Tu vas bien ?

Deux visages inquiets apparurent au-dessus de moi. Je me massai le fessier et leur fis signe que tout allait bien malgré ma merveilleuse chute.

— Si tu voyais la tête que tu tires en ce moment, s’esclaffa Alex sans se cacher une seule seconde.

Anya le suivit rassurée et je me surpris à rire à gorge déployée. Je me laissai tomber dans l’herbe fraîche attendant que mon rire ne cesse. À ma grande surprise, les deux s’allongèrent à mes côtés. Nous restâmes un petit moment à observer les nuages et je m’abandonnai au plaisir d’écouter Alex et sa soeur jouer à donner un nom à tous les nuages éparpillés dans le ciel. Soudain, Alex se leva après m’avoir envoyé un poing affectueux dans l’épaule :

— Regarde-moi faire le bleu ! dit-il avec assurance.

Anya et moi, nous assîmes pour mieux le voir. Il mima un salut militaire et nous tira la langue, son visage ressemblait à celui d’un enfant espiègle. Je le vis majestueusement effectuer une roue suivi d’un saut de main. Anya n’arrêtait pas d’applaudir et quant à moi, je ne pouvais détourner les yeux de la personne qui faisait s’envoler tous mes soucis. Cela se complexifia quand Alex s’essaya à l’ATR valse. Il posa ses mains au sol mais avait donné trop de force dans ses jambes ce qui lui valut une belle chute. Il ne bougeait plus et je commençai à paniquer. Je m’approchai de lui en courant mais m’arrêtai quand je vis le sourire fixé sur son visage. Il m’avait eu et avait testé ma réaction. Anya, elle, n’avait pas bougé de sa place, un regard exaspéré sur le visage.

— Ah, tu as réagi ! Tu as eu peur ?

Un rire s’échappa de ses magnifiques lèvres.

— Du tout !

Et je rebroussai chemin quand il me sauta sur le dos. Je faillis m’écrouler sous la surprise mais il me rattrapa in extremis.

— Désolé, si je t’ai fait peur. Mais je voulais savoir comment tu réagirais, Mr le timide.

Sa remarque me piqua vif et je baissai les yeux immédiatement.

— Ah ne le prends pas comme ça ! C’était un compliment ! Tu es la première personne que je rencontre qui est comme ça, tous ceux autour de moi sont plus fous les uns que les autres. Du coup, je t’aime bien !

Je le fixai pour évaluer la réalité de ses paroles et quand je compris qu’il était sincère, mes joues devinrent rouge tomate. Il ne remarqua pas l’effet que me faisait ses paroles et continua sur sa lancée.

— En plus, Anya t’aime bien, ce qui est rare pour elle d’apprécier les personnes qu’elle ne connaît pas depuis longtemps. Tu devrais te faire confiance.

Des petits bras m’entourèrent la taille et je restai figé sous le coup de l’émotion.

— Ah Ah AH, détends-toi ! ria Alex aux éclats.

Je ne savais plus où me mettre et je dus faire un effort titanesque pour me ressaisir. Ils me relâchèrent et nous rîmes ensemble. L’alarme d’un portable sonna.

— Bon fini de jouer, dit-il en claquant des mains et en posant sa main sur l’épaule de sa soeur. Il est l’heure d’y aller sinon tu vas être en retard.

— Mais je veux encore jouer avec Matt !

— On jouera une autre fois.

Elle regarda son frère en se grandissant et celui-ci sortit son portable de sa poche. Je le regardai ahuri me tendre son cellulaire.

— Rentre ton numéro, comme ça je pourrais te contacter », me sourit-il sans arrière pensée.

Mon coeur battait de plus en plus fort et j’espérai qu’il ne l’entende pas. Je m’enregistrai et le lui rendis. Mes joues chauffèrent quand ma peau effleura la sienne dans l’action et je fus déçu que cette action fut si éphémère. Ravie, Anya partit chercher son sac qu’elle avait laissé près de la balançoire. Mon coeur se serra alors qu’ils se préparaient à partir quand soudain le petit bout me demanda ce que j’allais faire ensuite. Je lui répondis que je n’avais rien de prévu et que j’allais sans doute rentrer – je sais c’est un mensonge –. Un sourire se dessina sur son visage et elle m’attrapa la main.

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