J'arrive devant chez moi ; le quartier est calme, les passants ont l'air d'ignorer qu'il y a une invasion de zombies à deux pas d'ici. Au loin le bruit des sirènes, d'hélicoptères et de coups de feu se mélangent mais semblent lointain, et je ne m’affolerais pas non plus si je ne savais pas de quoi il s'agit.

Je me gare rapidement devant un garage ; tant pis c'est pas tous les jours que les morts-vivants attaquent, le voisin comprendra.

A peine descendu de la voiture, un type hurle depuis sa fenêtre :

• Hé ! C'est interdit de stationner !
• Désolé ! ... Pas le temps.
• Reviens ou j'appelle les flics !

Il peut téléphoner autant qu'il veut, ça m'étonnerait beaucoup que la police se déplace aujourd'hui alors que c'est le jour des morts-vivants.

Devant ma porte d'immeuble, voilà que je me souviens plus du digicode. C'est pas prudent d'oublier. Heureusement ma voisine du dessus, une bourgeoise style tailleur Chanel qu'est mariée à un ancien officier, sort. Tout en retenant la porte je la retiens par le bras :

• Vous devriez rentrer chez vous Madame, c'est dangereux dehors.
• Et pourquoi je vous prie ?
• Heu... des zombies, il y en a partout en ville...

Elle hausse les épaules et repart en maugréant :

• Pfff... n'importe quoi !

J'insiste :

• Je vous jure Madame !

La voilà qui se retourne et me vient contre :

• Ah ! C'en est assez, je vous reconnais vous : toujours à reluquer mon postérieur dans les escaliers ! Obsédé ! Vicieux !
• Mais non pas du tout !
• Ah ! Vous voyez : vous êtes gêné, avouez-le que mon corps vous excite, avouez-le !
• Heu... oui... vous êtes bien foutue mais ...
• Je le savais, vous devriez avoir honte de vous.

Le gars toujours à sa fenêtre :

• Vous avez un problème avec le ptit couillon du deuxième, Madame Durand ?

Mais la femme poursuit à mon encontre avec une hargne redoublée :

• Nous ne sommes pas des objets sexuels à la disposition de la gente masculine.
• Bon c'est bien joli tout ça, mais j'ai à faire, si vous voulez vous faire mordre ce n'est pas mon problème, au revoir.
• Ah non ! C'est trop fort, vous ne vous en tirerez pas comme ça !
• J'ai bien peur que ... si !

Sur ces mots je referme la porte devant la furie et monte les escaliers jusqu'à mon appartement. A la porte est scotché un avis de passage d'huissier. "Ah le salopard" me dis-je, même un jour d'apocalypse, faut qu'ils nous emmerdent. J'entre et aussitôt mon téléphone sonne comme si on avait deviné que je venais de rentrer chez moi.

• Allo?
• C'est Véronique.

Oh merde pas elle, mon ex...

• Viens chercher les enfants ce soir, c'est ton week-end de garde. T'as pas oublié qu'on était Vendredi j'espère ?
• Ecoute c'est pas le jour là...
• Evidemment Monsieur a toujours une excuse pour se défiler. Non je veux pas le savoir, tu es père, tu as des responsabilités de père, tu dois assumer, il est temps que tu deviennes un peu adulte...

Elle continue à parler sans s'arrêter pour répéter les mêmes reproches inlassablement, j'essaye de l'arrêter :

• Véro, reste chez toi aujourd'hui, barricade-toi, c'est dangereux dehors !
• Qu'est-ce que tu racontes ? Des conneries, encore et toujours des conneries ! Triste exemple pour tes enfants, va les chercher à l'école ou je vais écrire au juge.

Merde ! Les enfants sont à l'école, à cinq cent mètres de Pôle Emploi, ça craint grave.

• Bon ça va j'y vais !

Avant de repartir, j'allume la télé : toujours rien sur les zombies. Mais ils se foutent de notre gueule ! On parle d'une émeute en centre-ville sans donner d'images précises, et on informe qu'il ne faut pas s'inquiéter et rester tranquillement chez soi, que les routes tout autour de la ville sont coupées en attendant le retour au calme. Quels menteurs ! Et personne qui s'inquiète plus que ça.

Mon ordi est allumé, je bouge la souris et vais sur les réseaux sociaux : là ça commence à bouger, des vidéos de zombies qui circulent , j'avais pas rêvé ! On voit des morts qui attaquent des gens et des militaires qui leur tirent dessus, il y a même des blindés, on se croirait en Ukraine. Par contre les commentaires sont partagés : l'incrédulité l'emporte. Comment ça un fake ?!

Bon pas le temps de traîner, je pense à mes gosses qui pourraient se faire zombifier, je dois y aller.

Je ressors, redescends les escaliers, et là voilà que je recroise la voisine du dessus.

• Encore vous !

Elle me coince dans un coin :

• Qu'est-ce que vous regardez ? Mes seins ! C'est pas parce que je porte un décolleté que ça vous autorise à me dévorer la poitrine du regard. Ça suffit maintenant, cessez de me harceler !
• Ecoutez j'ai vraiment pas le temps, rentrez chez vous. C'est dangereux dans la rue, il y a des agressions.
• Evidemment avec tous ces violeurs qui traînent et tous les obsédés comme vous ...

Je reprends ma course, j'ouvre la porte avec un peu d'appréhension : ouf, toujours pas de zombies en vue, je vais jusqu'à ma voiture mais voilà qu'une fliquette me fout un contredanse tandis que le voisin à sa fenêtre jubile.

• C'est bon je m'en vais de suite...
• Trop tard, je verbalise...
• J'en ai rien à foutre.

Sur ces mots j'entre dans ma voiture et mets le contact.

• Ah vous le prenez comme ça ! Descendez du véhicule !
• Allez vous faire foutre !
• J'ajoute outrage à agent dans l'exercice de ses fonctions et propos sexistes...

Soudain j'entends des grognements et des cris de terreur : ça y est ILS arrivent. La fliquette a à peine le temps de comprendre qu'elle se fait sauter dessus par un postier enragé. Il la mord au cou et du sang gicle sur mon pare-brise. En mettant les essuies-glace, je repars et heurte quelques zombies au passage. Sur la route, je dois slalomer entre des bagnoles abandonnées au milieu de la route, certaines se sont encastrées et il me faut trouver où passer. Par contre les rues sont désertes, c'est flippant à mort.

J'arrive sur le parking de l'école. Au loin j'entends des tirs de lance-roquettes, ça barde toujours en centre-ville. La porte de l'enceinte de l'école est fermée, j'appuie sur l'interphone. D'une fenêtre qui me fait face, un soldat armé d'un famas me répond :

• Dégagez de là ou je tire !
• Mes enfants sont là ?
• Nous sommes là pour protéger cette école mais nous avons ordre de tirer sur quiconque essaye d'entrer. Barrez-vous et planquez-vous.
• Mais qu'est-ce qui se passe bon sang ?
• On sait pas, partez à 3 ou je tire... 1 ... 2 ...

Je repars, rien à faire avec ces cons de soldats, mais je me rassure en me disant que les enfants sont en sécurité. Je retourne vite dans ma voiture et démarre. Au passage je défonce encore quelques zombies : un mec des travaux publics qui a toujours son casque mais auquel il manque la mâchoire du bas, un rappeur de cité obèse qui roule après le choc et une caissière de supermarché. Ma voiture est toute cabossée mais roule encore. Il y a des zombies qui courent à côté en hurlant comme cette pauvre ménagère encore en robe de chambre et son masque aux concombres sur le visage. Elle finit par se faire écraser par une autre voiture qui venait en sens inverse. Je ne suis pas le seul à écraser des morts-vivants avec sa caisse mais je me demande si l'assurance couvrira ce genre de dégâts. Sûr qu'ils n'accepteront pas de payer.

Voilà que mon portable sonne : je croyais que le réseau était coupé !

• Allo ?
• C'est Nadège, il est presque midi, qu'est-ce que tu fous ?
• Merde, ma sœur ! J'avais complètement oublié.
• LEUR car est arrivé de Sofia, ils sont à la gare routière et il n'y a personne pour les accueillir. Tu avais dit que tu t'en occupais vu que t'as pas de travail et que t'as que ça à foutre !

Oups, ma frangine se marie ce week-end avec un Bulgare ; toute la belle-famille bulgare est venue en car et ça tombe aujourd'hui ! Quelques heures de retard sur l'horaire et ils auraient trouvé un barrage militaire, ils auraient été hors de la zone contaminée, la poisse !

• Va les chercher... non je suis pas au courant de ... une émeute ? Encore une raison supplémentaire pour aller les chercher... Tu as promis ! ... Non j'annule pas, rien ne me fera annuler ce mariage... J'ai jamais eu de chance avec les hommes alors maintenant qu'il y en a un qui veut vraiment construire quelque chose de durable avec moi je vais pas rater l'occasion... ça pourrait être la fin du monde que je marierais quand même !