Elle était seule
Elle était seule, seule dans sa bulle, seule dans son monde.
Au loin, un concert entier résonnait.
Les violons, aériens, faisaient voler ses mains. Au rythme des mesures qui défilaient, des accords qui s'enchaînaient, ses doigts virevoltaient sur des cordes de fumées. Elle était violoniste.
Les clarinettes, plus graves et lourdaudes, faisaient onduler ses hanches. Chaque souffle soulevait son bassin plus haut que ne l’avait fait le souffle précédent. Chaque note puisait plus profondément en elle, plus loin. Elle cherchait au fond de sa colonne la moindre particule d’air qui pourrait lui permettre d’avancer encore plus loin sur la partition. Elle était clarinettiste.
Le piano, instrument ambivalent, instrument fourbe et éternel, ne laissait pas ses pieds indifférents. Chaque touche martelée était un levier qui la faisait décoller. Elle sautait, bondissait avec les croches, retombait sur les noires, en apesanteur dès qu’une blanche était appelée, et le point d’orgue l’emmenait si haut que le sol disparaissait sous elle. Elle n’était plus elle-même, elle était la reprise. Elle était pianiste.
Les percussions, cœur et colonne de la musique, emplissaient l’air. Elle vibrait avec les ondulations de la toile, glissait le long des crépitements des timbales. Elle était présente, elle n’était pas remarquée, souvent dénigrée, mais sa présence seule rendait la pièce tellement plus belle. Tellement plus vivante. Tellement plus percutante. Elle était batteuse.
Elle était tout à la fois, elle n’était rien de tout ça.
Elle était cette musique qui résonnait au loin.
Elle était seule, seule dans sa bulle, seule dans sa folie.
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