Chapitre 3 – Chasse aux gobelins
Au prochain pas, ce sera la première fois que je suis seul aussi loin d’Emmelle. Ce simple pas qui foule le sol résonne jusqu’au fond de mes tripes.
Je suis déjà allé plus loin avec le Sergent Kalf et Kalie, son assistante, lors de ma formation pour la milice, mais je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de le faire seul. Après tout, malgré notre proximité d’Emmelle, la nature reste encore sauvage.
La route qui sépare Emmelle de la butte-aux-cerfs est un chemin de terre fait par les caravanes qui sillonnent entre les collines et les bosquets. Je suis ce chemin dont quelques ornières marquent le tracé, marchant au rythme du soleil et profitant de la météo clémente que m’offre ce mois de Couleraisin.
Durant cette première journée, je me remémore ce que je sais des gobelins.
Ce sont des petites créatures humanoïdes, d’environ 1 mètre de haut, à la peau allant d’un jaune comme la paille sale à un verdâtre marécageux. Ce sont des lâches, sans le moindre honneur, et ne combattant que sous la tyrannie d’un chef ou en surnombre.
Les gobelins sont perfides et profondément mauvais, toutes leurs actions sont tournées vers la réalisation de leurs propres envies et objectifs, sans aucune considération pour les autres. Pire, s’ils peuvent vous faire souffrir, ils s’en amuseront…
~*~
Le premier soir arrive et je trouve un renfoncement confortable pour m’installer pour la nuit. Je mange des rations ce soir, ça me rappelle la milice ! Ce n’est pas la nourriture la plus savoureuse mais elle tient bien au ventre : pain aux noix longue conservation, viandes et fruits séchés, fruits secs, du vin pour les jours où aucune eau potable n’est à portée. De temps en temps, on complète avec du gibier ou des fruits sauvages.
Pour fêter ma première soirée d’aventure, je me permets un petit morceau de la tarte de ma mère ! Je n’en abuse pas cela dit, elle est particulièrement riche et plutôt faite pour la sieste que pour la marche.
M’apprêtant à aller me coucher, je suis sur le point de m’endormir lorsque j’ai l’impression d’entendre la voix du sergent résonner dans ma tête : « Bon sang, Malakai, arrête de rêvasser et sécurise le périmètre ! »
Dans un soupir, je me relève. Murmurant machinalement un « Oui, Sergent Kalf… » des moins enthousiastes. J’attache des grelots à ma corde que je fais courir tout autour de mon campement. Même si mon petit feu de camp éloignera les bêtes sauvages, on n'est jamais trop prudent.
~*~
Le lendemain matin, en prévoyant ma route, je me rends compte que si je garde ce rythme j’arriverai à la butte-aux-cerfs le lendemain soir. Me reviens soudainement en mémoire un point essentiel : les gobelins sont plutôt des créatures nocturnes, capables de voir dans le noir elles profitent de l’obscurité pour tendre des embuscades sur la route ou attaquer par surprise des campements.
Arriver de nuit serait donc une mauvaise idée. Une très mauvaise idée même.
Heureusement pour moi, je me souviens d’un chemin qui pourrait me faire gagner du temps, passant au travers d’un sous-bois et contournant la route. Si je cours un peu, je devrais gagner un temps précieux.
Avec une détermination renouvelée, je force le pas.
~*~
Cette deuxième journée de voyage est épuisante car je la fais durer plus longtemps, je finis par m’arrêter au milieu de la nuit, estimant être à deux heurs de marche de la butte.
Après un repas rapidement englouti, je me pose une seconde et me réveille en sursaut, les alarmes ! Malgré mon épuisement, je fais le tour de mon petit campement et positionne les clochettes d’alarme. Je ne me souviens même pas d’être retourné à ma paillasse mais c’est bien sur celle-ci que je me réveille le lendemain matin.
Le soleil est plus haut que je ne l’aurais espéré mais je suis encore dans les temps, et deux heures de marche plus tard, j’arrive enfin à la butte-aux-cerfs.
~*~
La butte-aux-cerfs est une suite de petites collines boisées, traversée par une rivière. La route la coupe en deux, et se resserre en son centre, passant au milieu d’une espèce de gorge naturelle, un bon endroit pour une embuscade.
Je marche sur le chemin, à l’affut du moindre signe inhabituel. Chacun de mes pas est mesuré, je scrute chaque centimètre du chemin.
Cette pierre, est-elle censée être là ? Ces traces de pas, humaines ou pas ? Cet arbre… pourquoi cet arbre tangue-t-il ?
Comme une décharge électrique, tout mon corps se prépare au combat, je dégaine mon épée courte et plonge vers le pied de l’arbre sans attendre d’avoir vu le danger.
Mon instinct était le bon car au moment où je m’élance, l’arbre tombe de tout son poids en direction de la route. A l’ombre de ce danger qui s’effondre, j’arrive dans l’angle de celui qui l’a poussé sur moi. Un gobelin, rachitique et en pagne.
Dans l’élan de ma course, je profite du momentum et frappe de toutes mes forces dans la gorge de cette immonde créature au regard surpris.
Je sens la peau se couper et la nuque se briser lors de mon attaque puis ma lame ressort de l’autre côté. Une gerbe de sang m’asperge le visage alors que ses yeux remplis d’effrois se vident de leur essence.
Prêt à encaisser une attaque, je saisis mon bouclier et me cache derrière lui. Un second gobelin me saute dessus pensant profiter d’un moment de faiblesse de ma part. Son regard n’a rien de la surprise du premier, il est rempli d’une vile malveillance alors que ses coups pleuvent vers moi, mais je suis trop vif et trop bien préparé pour lui.
Une attaque particulièrement mal amorcée crée alors l’ouverture que j’attendais. Je la pare facilement avec mon bouclier, enchaînant directement avec un coup d’épée en diagonal, lui ouvrant la poitrine et une partie du ventre.
Mais il n’est pas encore mort et une nouvelle estocade passe la défense de mon bouclier manquant de toucher mon ventre. Le couteau à moitié rouillé qui lui sert d’arme griffant ma chemise de maille dans un crissement alors que je l’esquive in extremis.
D’une pirouette maîtrisée qui continue mon esquive, je frappe une seconde fois le gobelin, l’atteignant à la tête et, cette fois, scellant son sort.
Le calme retombe sur la forêt, j’essaie d’être attentif au moindre bruit qui pourrait trahir une nouvelle attaque mais en vain. Je n’entends que le bruit de mon cœur qui bat dans mes tempes, j’ai l’impression d’être au milieu d’un champ de bataille où résonne des tambours de guerre. Dans le chaos de mon être, des bruits de pas attirent mon attention et je me tourne vers ce nouvel ennemi.
Mais au lieu d’un gobelin, c’est une femme qui s’approche de moi. Une paysanne à première vue, plutôt jolie, la trentaine avec de belles formes marquées, les cheveux blonds et bouclés. Elle m’observe un bref instant de pied en cape, ce qui m’incite à faire de même. Depuis quand suis-je recouvert d’autant de sang ? Ma main, ma lame, mon bouclier, ma chemise de maille, tout brille d’une lueur rougeâtre.
- Ohé ! Bonjour jeune homme, quelle force ! J’ai entendu l’arbre tombé et je suis venue voir, dit-elle en s’approchant de moi d’un pas lent.
- Euh… Bonjour. Oui, en soi j’aurais pu avoir un problème et vous aussi si je ne m’étais pas occupé des gobelins… dis-je, reprenant mon souffle, l’adrénaline refluant doucement.
- Ohohoh ! C’est vrai, tu as raison. Mais je n’avais pas de raison de m’inquiéter avec un jeune homme comme toi ! Non seulement tu es sain et sauf mais également victorieux, quelle force, quelle bravoure… dit-elle en se rapprochant de moi et attrapant mon bras.
Le flux ininterrompu de mes pensées est brisé par la chaleur de sa poitrine contre mon bras.
- Et bien… merci ! dis-je, timidement, un peu gêné de la situation mais aussi un peu excité… C’est donc cela, être un aventurier ?
- Je m’appelle Linda, j'habite juste à côté et toi mon beau ? me dit-elle, se frottant à moi comme une jouvencelle en manque d’amour.
- M… Malakai Virnir, p… pour vous servir, dis-je d’un ton mal assuré, pensant que dans cette situation, mon bouclier est inutile.
- Ces gobelins étaient devenus un vrai problème ces derniers temps… Peut-être pourrais-je te récompenser pour nous avoir débarrassé de ces sales créatures ? Une récompense… en nature ?
Le mot « récompense » fait soudain écho dans ma tête. La récompense, la mission, le villageois attaqué !
- Hein ? Qu… quoi ? Récompense ? Attendez, je… je ne suis pas là pour ça madame, je dois m’occuper de ma mission, dis-je d’un ton qui s’est raffermi au fil de ma phrase.
Je secoue la tête, comme pour me sortir de mes rêveries salaces. Même si ma seconde épée aurait bien voulu mener à bien cette nouvelle bataille, ce n'est pas le moment. Je me retire de l’étreinte de cette charmante personne et retourne vers les gobelins, à la recherche des affaires du villageois.
D’un pas vif, je vais vers les deux gobelins morts que je fouille rapidement. Quelques pièces de cuivres dans leurs pagnes en peau, mais pas de trace de la sacoche ou de sa broche en cuivre. Forcément, ça ne pouvait pas être aussi simple…
Après une investigation plus poussée des lieux, je remarque que l’herbe est un peu plus écrasée à certains endroits, marquant comme un petit chemin.
Une fois remonté, je trouve facilement un arbre creux dont sort une odeur nauséabonde. Dans ce trou, au milieu de restes d’animaux et de nourriture, je trouve le sac avec sa broche, rempli de pièces d’argent et de cuivre, surement le butin de toutes leurs attaques récentes, un petit extra appréciable.
Redescendant le chemin, mon regard croise les cadavres des gobelins. Avec toute cette histoire de seins et de seconde épée, j’ai failli oublier qu’il me fallait aussi la preuve que j’ai bien tué ces monstres. Je me dirige donc de nouveau vers les cadavres de mes victimes. D’un coup sec de la dague, je leur sectionne les oreilles gauches, les plaçant ensuite, non sans un certain dégoût, dans un linge qui s'imbibe rapidement de leur sang putride.
Satisfait, je retourne vers la route où est toujours Linda. Je constate que malgré ses avances, elle ne m’a pas suivi, j’espère ne pas trop l’avoir déçue. Mais si elle est toujours là, alors peut-être me reste-t-il une dernière bataille à mener avant de rentrer ?
Je retourne vers elle, espérant reprendre notre conversation de tout à l’heure mais son regard est devenu plus sérieux, préoccupé même. Merde.
- Excuse-moi, Malakai c’est ça ? Ecoute, je ne t’ai pas tout dit… Désolé pour mon comportement un peu cavalier mais j’aurais quelque chose à te demander.
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