II - La Lettre - Partie 1
Les jours mourraient les uns après les autres, et Darkodem ne revenait toujours pas. Lunera n'en pouvait plus. Tantôt bercée par l'espoir de le voir franchir le seuil du Palais des Chimères, tantôt frappée par une angoisse terrible, elle avait l'impression de devenir folle, tant ses nerfs étaient mis à rude épreuve. La pauvre fille redoutait le jour où le sceau de la lettre se briserai.
On était le matin. Le soleil s'épanouissait dans les cieux, tandis que Lunera venait de se réveiller après une nuit abominable. Des songes étranges et inquiétants, dans lesquels sont père allait et venait. En se levant de son lit, massant ses tempes déjà douloureuses, Lunera s'attarda quelques instants sur un calendrier de fortune, qu'elle avait elle-même conçu.
Mais... une semaine est passée !
Elle se précipita sur son lit, qu'elle retourna à la recherche de l'enveloppe, oubliant même son mal de crâne. Son cœur battait tellement vite et fort, qu'il menaçait de rompre ces côtes. Lunera fouilla de fond en comble les tiroirs de sa table de nuit, puis se dirigea vers son armoire. Elle jeta ses vêtements à travers la pièce, ne s'arrêtant que pour reprendre son souffle.
— Mais où est-elle passée ? Maugréa-t-elle, la voix haletante et fiévreuse.
Contrariée, la jeune fille cessa de malmener son armoire. Scrutant le reste de sa chambre, elle se demandait où elle pouvait bien poursuivre sa fouille. Son regard s'attarda sur sa commode, sur laquelle un petit coffre était posé.
Ah oui ! C'est vrai !
Elle se rua dessus, et l'ouvrit. Quelques bijoux, bracelets, et bagues, s'y trouvaient, mais surtout, le plus important, la lettre, descellée. Les mains parcourues de tremblement, la jeune fille déplia le papier, et put enfin lire les derniers mots de Darkodem.
« Le 16 octobre 1874
Lunera,
Si tu me lis, alors je ne suis plus de ce monde. »
Lunera poussa un cri. Terrassée par une annonce aussi crue, ses jambes se dérobèrent, et elle tomba par terre. De grosses gouttes coulaient sur ses joues, avant de tomber en un ploc ! audible sur la feuille de parchemin.
« De ce fait, je pense qu'il est temps de te révéler certains choses sur toi et moi. Il me semble que tu le sais, mais nous sommes originaires d'une tribu de sorciers au sud-est de Terhera, les Arkos. J'ai quitté notre peuple il y a presque dix-sept ans, suite à un furieux malentendu avec le chef. Je suis donc arrivé au Palais des Chimères, avec ta mère, dont la grossesse était presque à terme. Le malheur nous a immédiatement frappés, et elle mourut juste après t'avoir mise au monde.
J'ai essayé de t'élever du mieux que je pouvais, mais je devais mener mon projet. Celui d'obtenir une puissance surnaturelle, d'apaiser mon âme par la vengeance, et de reprendre ce qui m'appartenait de droit. Je t'ai souvent laissée seule, depuis tes cinq ans. Je suis sûr que tu comprendras mes motivations.
J'ai commencé par chercher un artefact magique dans lequel je pourrais puiser des forces. Le Cœur Arkhale, bien sûr. C'est un cristal pur, le noyau de notre planète, dont le pouvoir est fascinant. Son énergie déverse un flux continu de magie sur les terres de notre monde, d'où l'origine de nos formidables facultés.
Plus que cela. Le Coeur Arkhale déverse une énergie d'une extraordinaire force chaque année, à une période bien précise. Certains s'accordent à dire que ça arrive aux alentours des 27 janvier. J'ignore ce qu'il en est, mais il est indéniable que cette force rejetée existe bel et bien. Je suis sûr que ça te rappelle non pas une, mais deux choses... Naturellement, la première, ta propre date de naissance, et la seconde... le Conflit des Trois Sœurs. Je t'en ai déjà parlé, te souviens-tu ? Ça s'est déroulé il y a très longtemps. Cette guerre est à l'origine des 6 continents de Terhera. L'ardeur magique déployée fut à l'origine de séismes destructeurs que séparèrent la grande terre qu'était Terhera en plusieurs morceaux. Depuis ce jour, chaque fois qu'une naissance arrive aux alentours des périodes de transe du cristal, l'enfant né bénéficie du pouvoir du Coeur Arkhale. Il est alors appelé Sorcier Hératerra. Tu es donc une des rares chanceuses, à qui une grande force a été confiée.
Je désirais étudier le Coeur Arkhale. Sais-tu pourquoi m'intéresse-t-il autant ? De ce que mes recherches m'ont apporté, ce cristal permet de modifier la vie, de supprimer des personnes ou de ramener leurs âmes. Cet objet m'intrigue. Modifier la vie pour moi, c'est devenir immortel. Transcender le temps. Se détacher du passé, du présent et du futur. Être dans l'essence la plus noble qui soit.
Le trajet vers ce lieu interdit n'est pas aisé, mais il a été encore plus compliqué pour moi. On s'est interposé devant moi, et on m'a dévié de mon projet. Les rois de l'Adrastée se sont tous alliés pour me mener la vie dure, et avec Assad Sulta à leur tête, le roi de Sultakara, on m'a terriblement ralenti.
Mon objectif ne demandait pas tant de temps, mon bel oisillon. Je devais très rapidement en finir avec ça, et revenir vivre des jours heureux avec toi. Outre mon propre intérêt, je voulais agir pour le tien également, en ramenant l'âme de ta défunte mère.
Assad et leurs stupides compagnons de l'Adrastée, comme je te l'ai dit, m'en ont empêché. Ils ne cessaient de me pourchasser, de me défier dans des combats terribles. Je devais répliquer, autant pour ma propre vie, que pour le salut de l'âme de ta mère. Ces abominables crapules refusaient net de me laisser accomplir cette noble tâche, et ne désiraient, pour une raison que j'ignore, me mener la vie dure. Alors, j'ai répliqué en menant plusieurs assauts destructeurs dans leurs pays. Je ne suis jamais parvenu à les détruire, mais je gagnais à chaque fois un temps précieux pour poursuivre mon avancée dans cet objectif. Comprends-moi, chaque fois que je les combattais, ce n'était que pour assurer ma propre défense.
Lunera, ils m'ont tout pris ! Ils m'ont tout pris ! Ils m'ont refusé le bonheur, et à toi aussi, ils ont refusé le bonheur. Il est tard, et j'écris ces derniers mots sous la lumière blafarde de la lune, dans ma chambre. Ce cadre m'inspire tant de mélancolie. J'ai tant de regrets, Lunera. À ton égard, au mien, mais également à celui de ta mère. Je regrette de ne pas fourni suffisamment d'efforts pour être parvenu à nous donner cette vie béate qui nous fait tant rêver. C'est à cause de mes ennemis ! Je conserve à leur égard une haine farouche, et une rancune maladive.
De ce fait, je désire que tu prennes tes dispositions. Il serait ingrat de te demander une faveur après toutes tes souffrances, mais je voudrais que tu laves mon honneur. Il le faut. Termine la tâche que j'ai laissé en suspens, et venge-moi d'eux. C'est bien de leur faute, si jamais la vie m'échapperait.
Voici quelques conseils pratiques. Il te faudra récupérer les Slames à Io. Elles te permettront d'ouvrir la protection de Callisto pour récupérer les Gemmes Sidérales. Dépose-les dans les Sanctuaires de l'Oracle. Le chemin s'ouvrira de lui-même, près de l'Archipel Oublié.
Pardon.
Je t'aime, Darkodem.
PS : Tu trouveras dans le premier sous-sol certaines armes que j'ai ramenées avec moi. Des armes que j'ai acquis dans mes voyages. Avec, tu pourras te faire quelque chose d'intéressant. La lune te guidera toujours. »
Interdite, Lunera acheva sa lecture, en observant avec des yeux ronds les derniers mots de Darkodem.
— Le Coeur Akhale, père... murmura-t-elle. Rien que ça ?
Elle se sentait sonnée par ce flot d'informations. Elle relut rapidement la lettre, ses yeux allant si vite d'un bout à l'autre, qu'on en aurait eu le tournis.
— Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas être prise pour une idiote, père... marmonna Lunera, amère. Je ne saisis pas... Pourquoi n'es-tu pas clair ? L'immortalité, ou mère ? Qu'est-ce qui t'importe vraiment ?
Elle se releva, et se mit à faire les cent pas, son cerveau en proie à d'intenses réflexions. Faire revivre sa mère ? Elle n'avait jamais lu qu'une telle chose était possible dans leur grande bibliothèque. C'était si grand comme projet, pourtant ! Elle imaginait bien ce qui avait pu poussé son père veuf à entreprendre des recherches pour ramener à la vie celle qu'il avait aimé. Il était aisé de se représenter les motivations qui l'avait poussé à agir. Elle-même éprouvait ce chagrin et cette douleur à la perte d'un être cher. Une tendresse enfantine la saisit à l'idée de son père, faisant des mains et des pieds pour retrouver son épouse. Elle l'imaginait le visage désespéré, mouillé de larmes, comme elle à cet instant. Cet attendrissement se mua en peine en se rappelant de la mention de l'immortalité. À ses yeux, cet idéal était bien piètre. Elle ne parvenait à se délester de l'impression que Darkodem tentait d'utiliser sa mère comme un prétexte.
— Quand bien même tu cherchais vraiment l'immortalité, comment as-tu pu m'abandonner et t'adonner à de telles sottises ? bredouilla-t-elle, les mains tremblantes.
Lunera était terriblement déçue. Mise à mal par la nouvelle de sa mort, elle attendait, pour soulager son coeur langui par la tristesse, une explication honnête et légitime. Un éclat de colère saisit alors la pauvre fille, et elle fit une boule avec la lettre, et la jeta furieusement à l'autre bout de la pièce.
— Cette lettre est inutile ! beugla-t-elle, hystérique.
Elle se remit à faire les cent pas, ses pieds foulant avec force les dalles de marbre de sa chambre, comme si chacune d'entre elles l'avait offensée. Ses nerfs, usés par un trop plein d'émotion après toutes ces années d'attente, explosèrent.
— Me laisser ainsi, cria-t-elle, comment as-tu pu me faire ça ! Des regrets, hein ! Es-tu seulement capable d'éprouver des regrets ? Je t'ai imploré de toutes mes forces, je t'ai supplié comme une folle, je me serais damnée pour toi, mais tu m'as tout refusée. Tu savais que tu allais mourir en quittant la maison, tu le savais, et tu es quand même parti !
Elle tomba à genoux. Lunera essuya d'un revers de main les larmes de rage qui coulaient, avant de se saisir de ses mèches noires et de tirer dessus comme si elle avait succombé à la folie.
— TU AS PROMIS ! TU AS PROMIS, ET TU AS TRAHI TA PROMESSE !
Sa voix se cassa, et un silence s'installa, ponctué parfois de reniflements et de pleurs désespérés.
— Nous aurions pu... répéta-t-elle, nous aurions pu être très heureux, tous les deux. Tu as préféré partir à la chasse aux chimères...
Ne trouvant pas la force de se relever, Lunera rampa vers la lettre qu'elle avait jeté tout l'heure. Elle déplia la feuille, la lissa, et la parcourut à nouveau. Plus elle avançait dans sa lecture, et plus ses sourcils se fronçait. Le dernier paragraphe particulièrement, la laissait perplexe.
— Quels sont donc tout ces lieux ? Les Slames ne me sont pas inconnues, j'ai lu quelque chose dessus dernièrement, mais Io ? Callisto ? L'Oracle ? Argh...
Un mal de tête terrible s'empara d'elle, Lunera crut qu'on lui enfonçait des clous dans le crâne. Une cacophonie sans nom se répandait dans son cerveau, elle sentait qu'on lui hurlait dans les oreilles. Sans même qu'elle ne se souvienne de s'être déplacée, elle se retrouva allongée dans son lit, toujours rongée par cette migraine atroce.
— Père... Pourquoi as-tu tout rendu difficile ?
L'oreiller moelleux qui l'accueillit fut un réconfort, et Lunera se laissa aller dans un demi-sommeil, désireuse d'apaiser ses nerfs fous.
☾☾☾
Lunera avait passé la journée et celle qui suivait, à méditer. Le matin du troisième jour, elle se surprit à être réveillée en plein milieu de la nuit, en forme. Elle s'était alors glissée hors de son lit, s'était juchée sur son fidèle poste d'observation près de la fenêtre, et s'était laissée aller à une contemplation béate de la lune. « La lune te guidera toujours. » avait écrit son père, à la toute fin de la lettre. Aussi, au petit matin, une décision fut prise : elle lui accorderait sa confiance. Elle avait tant besoin d'être consolée, qu'au moment où son esprit consentit à accepter les explications de Darkodem, elle se sentit mieux, comme soulagée d'un poids.
Alors, elle reprit le flambeau des convictions de son père. Ses longues réflexions parvinrent à la convaincre du mal que leur avait infligé les « ennemis de l'Adrastée », comme elle les appelait maintenant. Petit à petit, une rancune farouche avait enflé dans sa poitrine, et s'était manifestée dans la moindre parcelle de son corps. Elle se complaisait dans ce ressentiment. Ah ! Il était plus facile d'éprouver de la haine, et de décharger l'intensité de son accablement sur les autres. Pour sûr, Assad et ses compagnons étaient responsables. C'est eux, qui avaient retardé les plans de Darkodem, qui avaient détruit tout espoir de bonheur en elle, et qui l'avait tué.
Darkodem les décrivait d'une bien atroce façon, et Lunera imaginait ces vils pourceaux en train de festoyer sur le corps de son père, heureux de lui avoir arraché la vie. Cela la mettait hors d'elle.
Ce matin-là, donc, Lunera ne prit pas la peine de déjeuner, et descendit directement dans les sous-sol du palais, prête à suivre les indications de son père. Elle redoutait cette partie de la maison. Chaque fois qu'elle avait voulu s'y introduire, elle était repoussée par de puissantes protections qui scellaient le début des escaliers. En empruntant la première marche, elle ne put s'empêcher de frissonner, mais rien ne vint perturber sa descente.
Les sortilèges ont dû mourir avec lui, cette nuit-là...
Elle se rendit directement dans le premier sous-sol, une pièce sombre, et poussiéreuse. L'humidité battait son plein, si bien que Lunera ne cessait de tousser. D'un geste de la main, elle alluma les torches fixés au mur, et les flammes vives dévoilaient les détails de cette petite salle. Au centre, il y avait une dizaine d'armes posées de sorte à former un cercle et une feuille aux bords déchiquetés comme arrachée d'un livre. Venant probablement d'un grimoire ancien, la page était jaunie, et en piètre état.
Lunera observa les armes, et vit qu'il s'agissait de dagues courbées. Leurs lames noires semblaient être taillées dans un métal semblable à de la roche volcanique. On aurait dit des griffes de démon. La jeune fille prit alors le parchemin, et le parcourut avec attention. Lunera réprima un hoquet de stupeur. C'était une recette. Et pas n'importe laquelle ! On y expliquait la fabrication de la Lame Jahanama, une épée légendaire.
Comment, diable, Père a pu avoir tout ceci ?
Cette arme n'était pas anodine. Sa renommée surpassait clairement les Slames. On ne la connaissait qu'à travers des mythes épiques, relatant ses pouvoirs démesurés. La légende racontait que cette lame serait forgée avec le feu de l'enfer, par l'une de Trois Soeurs. Celle-ci, avant de mourir disait-on, l'aurait scindée en une dizaine de poignards, avant de les cacher à travers le monde. Que Darkodem ait mis la main sur un tel artefact la laissait bouché bée ! Lunera tourna la feuille, et reconnut l'écriture calligraphiée de son paternel.
Utilise l'atmosphère d'eau.
Décidée, Lunera commença à suivre les instructions. Son père avait déjà organisé leur disposition, essentielle au bon déroulement de la forge. C'était un bon début.
— Atmésphérus Agua.
Surgissant du néant, de l'eau mouilla le sol, les armes et les murs. Les gouttes formées s'assemblèrent, et formèrent ensemble un dôme d'eau. Une délicate fraîcheur s'installa, rendant les lieux plus respirables.
Il est temps. Concentre-toi.
— Bien... Jahanama ! lut-elle.
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